Le Lot en Action n°22. 23 septembre 2010 par Bluboux
Le numéro du Lot en Action de la rentrée (n°20 du 26 août) avait pour Une : « L'été de toutes les abjections » en regard notamment du « dérapage » xénophobe de notre gouvernement (discours du 28 juillet du Visionnaire, démantèlement des camps de roms partout en France et expulsion de leurs occupants). Devant la vague de protestations et d'indignation internationales, Brice Hortefeux et Eric Besson sont montés au créneau pour affirmer haut et fort que la France respectait les droits de l'Homme, était même exemplaire en la matière, et démentaient formellement vouloir stigmatiser le peuple roms. La circulaire du 5 août dernier (voir notre dernier numéro), émanant du ministère de l'intérieur vient les contredire : les consignes sont claires, et il est écrit noir sur blanc que les efforts doivent être portés en priorité sur les camps de Roms.
Or la loi Besson de 2000, stipulant l'obligation pour les communes ou communautés de communes de mettre à disposition des aires d'accueil dignes de ce nom n'est pas respectée, puisque plus de la moitié des villes concernées ne respectent pas la loi. Pourtant la loi prévoyait une mise en conformité au plus tard en 2004. Le Lot faisant partie des 17 départements n'ayant fourni aucune information sur le sujet, nous vous avions annoncé que nous allions mener une enquête sur cette affaire. C'est chose faite. Nous avons interrogé la préfecture, la Communauté de Communes du Grand Cahors, les mairies de Cahors, Figeac, Gourdon, Souillac et Gramat, et différents intervenants (services sociaux, police, etc.). Les résultats sont édifiants à plus d'un titre et force est de constater que les communes traînent des pieds. Les avancées obtenues l'ont été sur la pression exercée par Super Préfet qui, nous devons le reconnaître, a pris ce dossier au sérieux et engagé un travail de fond. Cependant la situation est loin d'être satisfaisante et le respect à minima de la loi pour l'ensemble du département n'interviendra pas avant plusieurs années.
Que s'est-il passé dans le Lot depuis cette loi ?
Le département du Lot a mis en place en 2003 un schéma départemental d’accueil et d’habitat des gens du voyage, signé le 10 juillet 2003, qui prévoit notamment 7 aires d'accueil pour les gens du voyage et un total de 107 emplacements dont une aire de grand passage, située à Cahors. Quatre aires sont actuellement opérationnelles suivant les informations confiées par Lydie Bottero, chargée de communication pour le Préfet du Lot : Cahors, Gourdon, Figeac et l'aire dite de grand passage. 2 sont en cours de réalisation. 6 aires bénéficieraient du concours financier de l'Etat. Selon le discours officiel, le Lot est donc en passe de rattraper son retard en Midi-Pyrénées.
Nous nous sommes, en tout premier lieu, intéressés à l’aire de « grand passage » à Cahors, qui est gérée par la communauté de communes du Grand Cahors. Malgré plusieurs coups de téléphone et une visite impromptue à l’Hôtel Administratif Wilson, les responsables ne semblent guère enclins à s’exprimer sur le sujet, puisque personne ne nous a rappelés, malgré les promesses des secrétaires… de quoi piquer au vif notre curiosité ! Après une petite enquête, nous avons appris que cette aire toute récente, équipée à merveille, est en fait réservée essentiellement aux missions évangéliques (sic !) Mais que sont les missions évangéliques ? Vous avez certainement croisé, durant la période estivale, des jeunes gens qui vous accostent dans la rue pour vous parler de l’Eglise machin chouette, des Mormons, des Protestants etc. Et bien ces jeunes gens font partie des fameuses missions évangéliques, qui se déplacent dans toute la France et occupent lors de leur passage les aires de grand passage, essentiellement dans la période estivale. L’aire est ensuite fermée, même si la place fait cruellement défaut pour les « autres » gens du voyage…. Pour compléter le tableau, il me faut ajouter un « détail » important : la plupart de ces organisations figurent sur la fameuse liste des sectes de 1995 ! Nous finançons donc avec nos impôts des organisations religieuses considérées comme des sectes, qui plus est sur des fonds qui sont destinés aux gens du voyage, alors que la situation de l’accueil en France est dramatiquement déficitaire. Voilà une information que se gardent bien de nous donner les ministres plus haut mentionnés et qui explique également le silence gêné des responsables du Grand-Cahors.
Toujours dans la ville-préfecture du Lot, une autre aire d’accueil est prévue, sur le site du Port Saint-Mary, avec 45 emplacements. En cours de travaux, cette aire devrait prochainement ouvrir (actuellement les caravanes sont placées derrière la gare, entre la maison de retraite et les remparts) et offrir 30 emplacements dans un premier temps. La plupart des familles qui utilisent ces aires sont là à l’année puisqu’elles scolarisent leurs enfants. La majorité de ces familles sont en voie de sédentarisation, et selon nos informations c’est près de 300 places qu’il faudrait pouvoir proposer pour être en mesure d’accueillir les familles de passage, soit près de 30 fois plus que la capacité d’accueil actuelle ! La municipalité prévoit une aire de sédentarisation, sur le site de Cap Nau, mais cette dernière ne proposera que 19 emplacements.
A Figeac, où nous avons pu interroger le maire, Madame Nicole Paulo, la situation n’est guère plus reluisante : si l’aire d’accueil vient d’être terminée (précédemment les gens du voyage étaient parqués dans de tristes conditions près de la station d’épuration), elle ne propose que 24 places. A l’instar de Cahors, la majorité des familles présentes sur cette aire sont en voie de sédentarisation. La commune entreprend des démarches de sensibilisation pour la scolarisation des enfants et l’alphabétisation des familles. Madame Paulo admet aisément que le nombre de places offertes n’est pas suffisant : « Nous avons fait de gros efforts budgétaires pour la réalisation de cette aire d’accueil. Je ne pouvais plus supporter de voir ces gens si mal installés près de la station. Aujourd’hui ces familles bénéficient d’une aire aux normes et sont accueillies dans de bonnes conditions, même si le nombre de places est insuffisant au regard de la demande.. Il y a même une navette gratuite qui assure la liaison avec le centre ville ». Nous lui avons demandé si la commune de Figeac envisageait de créer une aire de sédentarisation : « Non, ce n’est pas programmé, mais nous constatons que plusieurs familles se sont sédentarisées et ont fait construire une maison ».
A Gourdon, l’aire d’accueil comporte 24 emplacements, respecte le plan départemental et est aux normes. On peut cependant regretter qu’elle ait été réalisée à juste à coté de la station d’épuration…
En ce qui concerne les aires de Souillac et de Gramat, prévues par le plan départemental, non seulement aucune démarche n’a été entreprise par les municipalités respectives, mais la situation laisse craindre le pire : il faudra probablement que Super Préfet intervienne et se substitue à la commune, ce que la loi lui permet, pour que ces aires voient le jour. En ce qui concerne la ville de Souillac, la municipalité invoque l’héritage encombrant de l’ancien maire, feu Monsieur Chastagnol, qui aurait décidé d’assumer financièrement ce « fardeau » sans en avoir les moyens. Aujourd’hui l’équipe municipale demande que le projet soir pris en charge par la communauté de communes. « De toutes façons, nous n’avons même pas le terrain nécessaire » nous a déclaré Bernard Hutin, maire-adjoint. Quant à Gramat, le maire, Monsieur Theil, Arpagon sur sa cassette pour les lecteurs du LEA, refuse catégoriquement l’idée d’avoir des gens du voyage sur sa commune. Trop cher c’est sûr, trop sale et dégradant pour l’image certainement.
Car c’est bien là que réside tout le problème. L’accueil des gens du voyage, personne n’en veut, « ça ne rapporte rien, si ce n’est des galères. Les habitants n’en veulent pas et pour un maire, imposer ce genre de projet, c’est un suicide électoral » nous confiait un maire d’une petite commune. Les idées reçues ont la vie dure. Les gens du voyage, qu’ils soient Roms, Gitans venus du Sud, Tsiganes venus de l’Est ou Manouches (les retrouvailles des Gitans et des Tsiganes, qui originellement viennent du même endroit), sont depuis tout temps considérés comme des « voleurs de poules », de « petites gens » qui n’amènent avec eux qu’une cohorte de soucis et de troubles à l’ordre public ! Nous avons interrogé des agents de police sur ce sujet, et leur avis est des plus intéressants : « Il n’y a pas d’augmentation de l’insécurité autour des aires d’accueil, c’est une idée reçue. A une époque nous avions constaté que le nombre de délits augmentait avec la venue des forains. En fait, après enquête, on s’est aperçu que c’étaient des gens du coin qui profitaient de cette période pour faire des conneries ». … « A Brives ils se sont plaint d’avoir dû refaire l’aire d’accueil à deux reprises, puisqu’elle avait été vandalisée. Mais ils n’avaient prévu ni gardiennage, ni entretien quotidien. C’est comme un camping, il est nécessaire que quelqu’un accueille les arrivants, soit là pour les départs, fasse l’entretien des sanitaires, règle les problèmes. Quand on veut économiser, voilà ce qui se passe ». … « Quand une aire est décente, et donc ni près d’une autoroute ou d’une rocade, ni près de la décharge ou de la station d’épuration, que l’accueil existe, que l’entretien est fait, bref que les gens se sentent considérés, les choses se passent bien ». … « Cette histoire de l’expulsion des Roms, ça renforce l’incompréhension : sur les aires, des Roms, il y en a peu. Par contre il y a beaucoup de gens qui sont français, des fois lotois même, avant d’être gitans ou tsiganes ». Paroles étonnantes dans la bouche de policiers…
Il va donc encore couler beaucoup de saloperie dans les stations d’épuration avant que le Lot respecte la loi adoptée en 2000… Cette loi qui pourtant est déjà obsolète dans les objectifs qu’elle fixe. Et que penser des expulsions de Roms, surtout lorsque Brice Hortefeux et Besson insistent sur le fait que la France est un pays dans lequel « il convient de respecter les lois ». Que penser du président de la communauté de communes de Cahors, qui couvre par son silence l’aberration qui consiste à réserver une aire d’accueil aux évangélistes, fussent-ils membre de sectes, sur le dos des gens du voyage ?