« C’est Bagdad… c’est comme s’il y avait eu une guerre, mais il n’y a pas eu de guerre », décrit un habitant de la ville de Kankoyo, en Zambie. La région de la Copperbelt (Ceinture de cuivre) est rongée par les pluies acides et les pollutions industrielles, les habitants ne mangent pas à leur faim. La guerre ? C’est le pillage organisé par des entreprises minières, notamment européennes, dans le plus grand mépris des populations et de l’environnement. Avec la bénédiction de l’Europe, qui sponsorise via la Banque européenne d’Investissement (BEI) le développement de ces compagnies d’extraction. Depuis 10 ans, la BEI, plus grande institution financière publique mondiale, a accordé 650 millions d’euros de prêt à des mines de la Copperbelt. L’État français apporte 37 milliards d’euros au capital de la BEI. Christine Lagarde, ministre des Finances, fait partie du Conseil des gouverneurs de la banque.
La BEI affirme qu’elle aide au développement durable de la région. Et ferme les yeux devant les très importants abus sociaux et environnementaux. Évaluer l’impact des mines ? Les entreprises font leur propre évaluation, ce qui semble suffire à la BEI. Pollution et exploitation ? Nulle part. Les entreprises ne payent pas d’impôt ? Elles affirment ne pas faire de bénéfices… Et le gouvernement zambien n’insiste pas pour augmenter la fiscalité. Selon l’Organisation mondiale du commerce (OMC), plus de 50% des exportations de cuivre de Zambie sont à destination de la Suisse [1]. Sans doute pour les grands besoins en cuivre de ce petit paradis fiscal !
Une destruction de l’environnement financée par l’Europe
En 2005, la BEI accorde un prêt de 48 millions d’euros au consortium Mopani Copper Mine (MCM), plus importante compagnie minière de Zambie, dont l’actionnaire majoritaire est la très controversée entreprise suisse Glencore. Objectif de ce prêt ? Créer une nouvelle fonderie sur le site de Mufulira, et diminuer la pollution de la zone, notamment les émissions de soufre, maintenir l’emploi et réduire la pauvreté. Une étude menée par l’ONG Les Amis de la Terre sur la mine de cuivre de Mopani montre que les effets sont à l’opposé des objectifs affichés par la BEI et MCM.
À proximité du site de Mufulira, l’air est lourd et métallique. Les émissions de soufre dépassent jusqu’à 72 fois les limites légales, celles de plomb atteignent 90 fois la norme. Les mesures effectuées révèlent aussi un taux d’arsenic jusqu’à 16 fois supérieur aux limites. Les émissions de soufre provoquent des pluies acides, qui détériorent les sols : « À Kankoyo, il ne pousse que des cactus et des avocatiers. Impossible pour les autres semences de survivre », témoigne Anne-Sophie Simpere, qui a réalisé une mission d’étude pour les Amis de le Terre. Les toits en tôle des maisons sont rongés par l’acide. « Du fait de l’acidité de l’air, la peinture ne tient pas trois mois. »
Des centaines de personnes intoxiquées à l’acide sulfurique
L’extraction produit d’énormes quantités de déchets : 110 tonnes de déchets sont extraits et 200 tonnes de matériaux déplacés, pour une tonne de cuivre produite. Les bassins de décantation où sont versés les résidus toxiques sont laissés à ciel ouvert, au mépris de toute sécurité. Et les canalisations qui évacuent ces résidus toxiques à travers les villes et les campagnes ne sont pas suffisamment protégées. Les habitants évoquent les fuites régulières ou explosions. Ce sont eux qui sont obligés de nettoyer les résidus toxiques, car le groupe Mopani se limite à réparer les tuyaux défectueux. En 2007, un rapport de l’ONG Citizens for a better environment a accusé Mopani de déverser des boues dans la rivière voisine. Tout signe de vie aquatique a disparu.
Depuis 2003, Mopani utilise une méthode d’extraction – la lixiviation – moins chère mais plus polluante, dont le principe est d’injecter de l’acide sulfurique dans les sols pour désintégrer le cuivre des gisements, avant de le pomper. Problème : la solution d’acide sous pression dans les gisements peut migrer. Et les gisements sont à proximité des nappes d’eaux souterraines. Malgré de nombreux accidents, qui entraînent des coupures d’eau pendant parfois plusieurs semaines, l’entreprise n’est pas inquiétée. En 2008, 800 personnes se rendent à l’hôpital après avoir bu de l’eau contaminée par l’acide sulfurique. Conséquence pour l’entreprise MCM ? Quelques centaines de dollars d’amende. Plus inquiétant : c’est MCM elle-même qui fournit les évaluations de la contamination de l’eau, car le Conseil environnemental de Zambie n’a pas les équipements nécessaires.
Exploitation salariale et aveuglement meurtrier
Pour la BEI, Mopani est un projet qui préserve l’environnement. Le prêt accordé doit permettre de réduire les émissions de soufre, qui « seront conformes à la réglementation zambienne » en… 2015. Un engagement à se mettre aux normes neuf ans après l’octroi du prêt de la BEI, pendant que les populations sont empoisonnées… un tel laxisme de la part de la banque européenne laisse songeur. « Comme le projet est réalisé dans une zone industrielle existante, la question du préjudice éventuel pour la préservation de la nature et la biodiversité ne se pose pas (...) L’impact environnemental est largement positif », détaille le rapport de la BEI en 2004. « Aujourd’hui la BEI est sur la défensive, explique Anne-Sophie Simpere. Les représentants de la BEI continuent à affirmer qu’il n’y a pas de pollution. En allant sur place, on ne peut pas se raconter d’histoires. Mais ils ne voient que ce qu’ils veulent voir. »
Un argument de la BEI ? Le projet doit permettre de « sauvegarder directement au minimum quelque 1.210 emplois et d’en stabiliser 4.800 autres chez MCM ». Mais en 2008-2009, l’entreprise licencie 1.000 personnes, sans préavis. En 2006, plus de la moitié des salariés sont sous-traitants, pouvant être payés jusqu’à deux fois moins que les salariés. Le nombre d’accidents du travail est d’ailleurs jugé alarmant : plus de 20 salariés de Mopani sont morts en 2005, année de l’octroi du prêt de la BEI.
Des entreprises qui soi-disant ne réalisent aucun bénéfice
Depuis l’effondrement du prix du cuivre dans les années 1970, la Zambie a subi une politique d’ajustements structurels dans les années 1990 pour apurer sa dette. Résultat ? À la fin de la décennie, les compagnies nationales de cuivre sont démantelées et les mines privatisées, sous l’influence de la Banque mondiale. Dans un contexte de corruption gouvernementale, les mines sont bradées : vendues à 627 millions de dollars, alors que les experts estimaient leur valeur minimale à 3 milliards de dollars [2]. En 2004, le cours du cuivre atteint des niveaux record : le prix est 350% celui des années 1990. Pour le plus grand bénéfice des sociétés européennes installées sur place.
Le prix du cuivre ne bénéficie en rien à la Zambie. « En 2007, les revenus miniers contribuaient approximativement à 0,2% du PIB en Zambie : c’est de l’ordre de l’erreur statistique », souligne en 2009, M. Kapil Kapoor, représentant de la Banque mondiale pour la Zambie. Le gouvernement zambien a accordé de nombreuses exemptions fiscales, une taxe sur les sociétés de 25% au lieu de 35%, et un taux de royalties dérisoire de 0,6% (passé à 3% en 2008). En comparaison, les royalties des industries d’extraction du cuivre au Chili devraient bientôt se situer entre 5 et 14%. Des « accords de développement » prévoient aussi des « périodes de stabilité » pour les entreprises minières en Zambie, les protégeant de toute nouvelle législation qui pourrait être adoptée, pour une durée allant jusqu’à 20 ans.
La Zambie se fait escroquer la moitié de son PIB
Selon la Zambia Revenue Authority, autorité chargée de la collecte des impôts, depuis 2000 Mopani ne paye pas d’impôts sur les bénéfices. L’entreprise affirme ne pas faire de profits… mais refuse de donner accès à ses comptes. La ZRA invoque une « obligation de confidentialité » pour ne pas dévoiler le montant versé par le consortium à l’Etat zambien. Selon la ZRA, seule une compagnie minière sur 12 paye l’impôt sur les bénéfices, alors que l’activité minière représente 60% des exportations en valeur de la Zambie.
En 2008, à la douane zambienne, 50% des exportations de cuivre étaient supposées partir en Suisse. Mais les données suisses indiquent que la plupart du cuivre n’arrive jamais dans le pays… Et le cuivre (ré)exporté par la Suisse est vendu beaucoup plus cher que celui exporté par la Zambie. Évaporation de matières premières, bénéfices réalisés lors de transferts douteux par le paradis fiscal suisse... Heureusement, la BEI soutient l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives ! Selon l’ONG Christian Aid [3], si la Zambie recevait pour son cuivre le montant des prix à l’exportation de la Suisse, elle aurait en 2008 ajouté 11 milliards de dollars supplémentaires à son PIB, actuellement de 14 milliards...
Le lourd passif de Glencore, spécialiste de l’« optimisation fiscale »
Au vu de la situation en Zambie, les graves dérives de ce projet minier étaient prévisibles, souligne le rapport des Amis de la Terre. Comment la BEI peut-elle cautionner ce type de projet ? « Nous ne participerons à aucune pratique criminelle, frauduleuse ou de corruption », affirme sur son site l’entreprise Glencore, propriétaire de la mine MCM. « Nous offrons des emplois et de nombreux autres avantages, ce qui contribue directement et indirectement à la prospérité et au développement de nos pays d’accueil en général et dans les communautés locales en particulier. »
Voilà qui a dû rassurer la BEI… Et faire oublier le lourd passif du groupe Glencore, accusé de « complicité » et de « pillage systématique », pour avoir racheté puis liquidé la société française Metaleurop. Glencore avait transféré ses titres de Metaleurop dans une société offshore, Glencore Finance Bermuda. En Colombie, la multinationale, propriétaire de mines de charbon, est accusée d’être responsable de violations des droits de l’Homme. Avec l’aide de l’armée, elle aurait rasé des villages entiers et exproprié des habitants. En Zambie, elle est aussi soupçonnée de corruption sur le commerce de cobalt. L’entreprise est également citée pour avoir versé des commissions occultes à Saddam Hussein. Un vrai modèle de responsabilité sociale et environnementale…
Quand nos impôts financent des pratiques criminelles
Glencore, qui emploie 50.000 personnes à travers le monde, a réalisé un chiffre d’affaires de 106 milliards de dollars en 2009. Elle possède 66 milliards de dollars d’actifs [4]. Soit 5 fois plus que le PIB de la Zambie. Fondée en 1974 par Marc Rich, sulfureux homme d’affaires condamné par la justice américaine pour fraude fiscale et contournement de l’embargo d’Iran, l’entreprise est installée à Zoug, l’endroit le plus fiscalement favorable de Suisse. Elle s’est vue décerner en 2008 le Public Eye award de la pire entreprise de l’année. En quoi une telle entreprise mérite-t-elle de recevoir des fonds publics pour le développement ? Une aide de la BEI permet d’attirer des bailleurs de fonds, en jouant un rôle de catalyseur. Visiblement, Glencore n’a absolument pas besoin d’un tel soutien pour faire des affaires… L’entreprise, leader des traders de matières premières, prévoit de lever 10 milliards d’euros pour son entrée en bourse en 2011.
Le BEI finance beaucoup d’autres projets de ce type. Entre 2000 et 2007, 80% des financements de la BEI en Zambie sont allée au secteur minier. Évaluations et analyses indépendantes sont absentes. « Du moment que la BEI se fait rembourser, elle se fout du reste, s’emporte Savior Mwambwa, directeur de l’ONG zambienne CTPD. Cette industrie provoque des effets en chaîne sur d’autres secteurs, sur les écoles, les hôpitaux. Depuis la privatisation, tout le monde est conscient que ce n’est pas un problème local. Nous ne nous battons pas seulement contre le projet de Mopani, même s’il nous semble emblématique de ces dérives. »
La BEI, « banque de l’Union européenne », est spécialiste du financement du réchauffement climatique, des décisions opaques, des « prêts pourris » à l’Afrique. Avec un capital de 232 milliards d’euros, et près de 80 milliards de financements accordés par an, elle pourrait être un levier pour une transition vers un autre modèle de développement. Ses dirigeants, ministres des Finances des pays européens, préfèrent visiblement investir dans la destruction de territoires, l’exploitation de populations, et la promotion d’échanges commerciaux injustes. « La pauvreté induite par ces industries minières est celle d’un pays en guerre, constate Savior Mwambwa. Nous voulons nous battre contre ces compagnies, comme si nous étions en guerre ». Ce qui suppose aussi de combattre la politique de la BEI, bras armé de la guerre libérale, financée sur fonds publics.
Photos : Anne-Sophie Simpere, Les Amis de la terre