Votre label écolo en dix minutes
Fakir. numéro 46 (novembre 2009) par François Ruffin
Fakir consacre le dossier de son superbe numéro 43 (en vente dans beaucoup de kiosques) à l'écologie: la Fabrique de l'hypocrisie. Avec nos "vraies solutions", contre toutes leurs "solutions bidons". Parmi elles, le "label vert".
Nestlé, Véolia, Bouygues, TF1, etc. Tous ont tous leur label « Respecte l’environnement ». Alors, pourquoi pas Fakir ?
Toutes les multinationales sont devenues « éco-responsables ».
Avec des jolis logos sur leurs emballages.
Alors, on est jaloux : pourquoi pas nous ?
Pour se rhabiller en vert, on appelle des « agences conseil en développement durable ». C’est pas ça qui manque, y en a plein la toile : Azémis, Utopies, Commenterre, O2France, Greenisbeautiful… des noms oniriques, avec leur part de rêve pour un monde meilleur, imagine
all the people. Sur chaque site, à peu près, les mêmes « aides » pour « concevoir les messages les plus efficaces pour transmettre les valeurs de responsabilité de votre entreprise », pour « mettre en valeur votre contribution à la société », pour « donner la priorité à l’innovation responsable », pour « créer avec vos équipes votre propre " esthétique de l’éthique ", celle qui fait corps avec ce que vous avez entrepris et qui porte votre marque ». Et partout, une rubrique « clients », gage supposé de sérieux : Accor, Alcatel, Aéroport de Lyon, JC Decaux, LVMH, etc. Fakir, bientôt.
Je m’auto-labellise
« Bonjour. Je vous contacte parce que notre journal, qui est un peu engagé, un engagement citoyen pour la planète quoi, on a fait des articles sur l’écologie, et en retour, des lecteurs nous ont engueulé : “ quoi, vous délivrez des leçons ? alors que vous faites un gâchis de papier ? alors que vous partez en Guadeloupe par avion ? alors que vous prévoyez de vous construire une piscine privée ? ” Du coup, le directeur de notre groupe a décidé de contre-attaquer. On veut lancer un label “ presse verte ”. On a conçu un logo, une planète dans un oeil. Mais avant de le mettre, on voulait savoir s’il y a des contraintes pour tout ça,des lois pour indiquer “ Votre journal respecte l’environnement ” ? »
Au bout du fil, toujours, de jeunes gens. Courtois :
« Non non, il n’y a aucune contrainte. Tout le monde peut avoir un label, un “ label auto-proclamé ” on appelle ça. » Un autre expert nomme ça de « l’auto-déclaration environnementale ». Tout en demandant : « Mais vous croyez que vos lecteurs seront dupes ?
- Oh, nos lecteurs, vous savez, ce ne sont pas des lumières.
- Peut-être qu’il vaudrait mieux un label officiel…
- C’est pas trop compliqué, ça ? Et puis, à part vous, personne ne les reconnaît, de toute façon, les labels officiels…
- Sinon, vous avez pensé à une charte ? »
C’est leur métier, là, même à l’oeil. Faire franchir, à moi, à d’autres, un petit pas. Et mettre de grands mots autour de ce petit pas.
« Oui, on avait réfléchi à ça. Comme quoi on n’imprime pas en Pologne, donc y a moins de transport. Comme quoi, dans notre salle de rédaction, on a une poubelle spécial paperasses – et une pour les cannettes.
- C’est un début.
- Comme quoi, comme véhicule de fonction, on a choisi la BMW ‘Efficient dynamics’ avec un voyant qui s’allume pour changer de vitesse et moins consommer d’essence. Comme quoi, on est imprimé avec des forêts renouvelées…
- Mais ça, c’est un label officiel ! Vous pouvez indiquer " papier certifié ".
- Ah bah super. On faisait du développement durable sans le savoir.
- Voilà. »
Avec les mêmes efforts, avec de pareilles concessions, l’Oréal, La Poste, France Télécom et compagnie ont, elles aussi, gagné leur label. Leurs médailles « éco-responsables ».
« Vous devez en avoir, du boulot, en ce moment, avec Copenhague, le film de Nicolas Hulot, toute la pub sur le développement durable ?
- Ça oui. Les demandes arrivent de partout. Toutes les entreprises s’y mettent.
- Bon bah je vous laisse travailler, alors. Et merci.
- De rien. »
Réalisme du porte-monnaie
On aurait préféré tomber sur des cyniques. Mais non. Ils y croient, un peu, à leur boulot. Ils sont réalistes : c’est-à-dire que leurs convictions s’adaptent, tant bien que mal, à leurs intérêts matériels. Transformer la société, radicalement si nécessaire, voilà qui ne rapporte rien, coûte souvent. Établir, pour les sociétés, un « diagnostic développement durable », avec la « définition d’objectifs et de plans d’action », « d’indicateurs de pilotage »,« des axes de communication », voilà qui permet de ramasser des miettes de budget. De nourrir son équipe. De payer les traites de l’appart.
D’où la profusion de ces agences.
De ces conseillers.
De cette petite écologie, taillée sur mesure pour le grand Capital.
Qui lui apporte son supplément d’âme verte…
(article publié dans Fakir N°43, novembre 2009)
Le journal Fakir est un journal papier, en vente chez tous les bons kiosquiers ou sur abonnement. Il ne peut réaliser des enquêtes, des reportages, que parce qu'il est acheté.
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Dernière mise à jour de cette page le 18/12/2009