Le New York Times est en train de mettre une belle pagaille dans l'industrie américaine des gaz de schiste. Le journaliste Ian Urbina a réuni de nombreux éléments tendant à montrer que les réserves exploitables et la rentabilité de la production de ce gaz naturel non-conventionnel, en plein boom depuis cinq ans aux Etats-Unis, ont été largement surestimés.
Puits de gaz de schiste de Chesapeake, au Texas. D'après un document interne de cette firme, spéculer sur les concessions est plus rentable que forer. [DR]
Les cours des actions de plusieurs producteurs de gaz naturel ont chuté en début des semaine, suite à la publication de l'enquête du New York Times. Des porte-parole de l'industrie et de l'administration Obama ont vivement réagi, rejetant les accusations mises en avant par le quotidien new-yorkais. Plusieurs parlementaires américains viennent d'interpeller la SEC, le gendarme de Wall Street, afin qu'elle tire l'affaire au clair.
Certains propos de spécialistes rapportés par le New York Times ont de quoi refroidir l'ardeur des investisseurs, qui ont permis à l'industrie américaine des gaz de schiste de se développer à vitesse grand V, faisant des Etats-Unis le premier producteur mondial de gaz naturel, devant la Russie.
« L'argent coule a flot », alors même que les gaz de schistes « sont intrinsèquement non-rentables. (...) Ça fait penser (à la bulle) des .com », écrivait en février un analyste du groupe d'investissement PNC Wealth Management. Un analyste d'IHS, la firme de référence dans le domaine du conseil en investissement dans l'énergie, affirmait en août 2009 : « Ce qui se dit dans le monde des (industriels) indépendants, c'est que le business des gaz de schiste n'est qu'une chaîne de Ponzi géante, et qu'économiquement, ça ne tient tout simplement pas la route. »
Le New York Times rend également compte de l'analyse d'un pétrogéologue de Houston, Art Berman, d'après lequel les plus gros industriels américains actifs dans le boom des gaz de schiste au Texas surestiment de 73 à 350 % le montant des réserves qu'ils sont capables d'exploiter dans cet Etat, producteur n°1 aux Etats-Unis.
Pour extraire le gaz naturel piégé dans les schistes, il faut fracturer cette roche peu perméable en y injectant, sous très haute pression, de l'eau agrémentée d'un cocktail impressionnant de produits chimiques toxiques.
Cette technique ne permet de récupérer le gaz naturel que dans un périmètre limité autour de la zone fracturée. Il est très fréquent de voir les extractions d'un puits chuter de moitié dès la première année.
Pour maintenir un niveau de production élevé, il faut donc sans cesse creuser de nouveaux puits.
Un géologue de la société Chesapeake, l'un des leaders du secteur, écrivait en mars à un fonctionnaire fédéral : « Ici, nos ingénieurs font des projections sur la production de ces puits qui s'étendent sur 20-30 ans, mais pour moi, il reste à prouver que c'est viable. (...) En fait, je suis moi-même assez sceptique, quand vous voyez le (pourcentage) de déclin dès la première année de production. »
Dans un courrier datant de 2008, le directeur exécutif de Chesapeake explique qu'il est plus rentable de spéculer sur les titres des concessions que de creuser des puits d'extraction.
Le New York Times réussit là l'un des plus beaux coups de la courte histoire du datajournalism, en mettant en ligne des centaines de courriels et de documents internes.
Aucune des critiques qui émergent de l'enquête n'est fondamentalement nouvelle. Ce qui est impressionnant, c'est de voir à quel point ces critiques sont répandues à l'intérieur même de l'industrie.
Un géologue à la retraite affirme que la combinaison de « démesure et de mauvaise science » risque de conduire à un scandale comparable à la faillite d'Enron., rapporte le New York Times.
Tandis que le Texas fait face cette année à la pire sécheresse jamais enregistrée dans l'Etat, l'industrie des gaz de schistes continue à engloutir des milliards de litres d'eau.