Les mots ont un sens. Le 15 Septembre 2010 par Napakatbra
Une fraude fiscale à plusieurs centaines de millions d'euros ? Un ministre possiblement impliqué ? Et tout cela qui se retrouve dans la presse... Aïe, aïe, aïe. Il fallait agir, et vite ! Le traître a été viré. Ouf, l'honneur de la République est sauf ! Ou quand le gouvernement ressemble de plus en plus à l'équipe de France de football...
"Le problème, ce n'est pas Anelka, c'est le traître. C'est lui qu'il faut éliminer du groupe" a déclaré le valeureux capitaine de l'équipe de France de foot après la révélation par l'Equipe de l'insulte d'Anelka à l'encontre de son sélectionneur préféré. Aujourd'hui, Evra pourrait quasiment demander des droits d'auteur à l'équipe de France du gouvernement. Car que se passe-t-il, au juste ? Un avant-centre du ministère de la justice, David Sénat, a balancé à la presse quelques infos truculentes sur une enquête de police. Embêtant... une femme de ministre aurait été embauchée après intervention expresse de son mari, dans une obscure TPE soupçonnée d'avoir couvert, sinon organisé, une fraude fiscale à plusieurs centaines de millions d'euros ?! Pas franchement du meilleur effet. Il fallait agir et vite... pour fusiller l'indic' qui a lâché l'information. Ce traître !
En attendant, la fraudeuse multi-milliardaire virevolte toujours en liberté, posant fièrement dans nos meilleurs canards aux côtés d'un gode en or massif. Une façon de dire "Allez vous faire [enfumer], sales fils de [prudes]", de façon un peu plus... subtile ?
Plus sérieusement (ou pas). "Dans le cadre de sa mission de protection de la sécurité des institutions", la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) a enquêté sur le félon. "L'Elysée a eu recours, courant juillet, à des procédés qui enfreignent directement la loi sur la protection du secret des sources des journalistes. En conséquence, Le Monde a décidé de déposer une plainte contre X pour violation du secret des sources", écrit la directrice de la rédaction du Monde. Quant à Monsieur "Y", à l'origine de la fuite, il a été recasé en Sibérie Guyane. Carton rouge !
François Fillon, le premier ministre que le monde entier nous envie, a défendu son clan en affirmant que "la République ne peut pas accepter" que soit "violé le secret de l'enquête". Soit. On attend dès lors avec impatience que le "journaliste" anonyme du Figaro qui publie des PV (tronqués) de cette même affaire fasse l'objet d'une enquête similaire. Et qu'on découvre qui est à l'origine de la fuite. Au vu de la (violente) réaction des journalistes de la gazette, l'info vient de haut, voire du Très Haut.
Morale de cette affaire ? Il y en a plusieurs, en fait :
♦ Un conseiller de la ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie, balance les petits secrets d'un camarade-ministre. On imagine l'ambiance au prochain Conseil des sinistres ! Sachant que c'est le procureur de Paris, dépendant du même ministère, qui mène l'enquête sur la barbouzerie de la DCRI, on peut imaginer que l'affaire ne va pas en rester là.
♦ L'Elysée a utilisé la DCRI, hors de tout cadre judiciaire, pour l'intérêt d'une clique. Une sorte de privatisation des services de police de la nation.
♦ Le pouvoir politique aurait enquêté sur les sources de journalistes, ce qui est totalement interdit... en théorie.
Le secret des sources, vu du creuset des fourbes...
"Cette affaire ne concerne pas que Le Monde mais l'ensemble de la presse" a déclaré Sylvie Kauffmann, directrice de la rédaction du quotidien. La belle affaire. Fin décembre 2009, une loi était votée, qui gravait dans le marbre la protection des sources journalistiques. Sauf... lorsqu'un "impératif prépondérant d'intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi". Certains y ont cru, dur comme fer. Sauf que... l'encre du Journal Officiel était à peine sèche qu'un journaliste se retrouvait en garde à vue. La police cherchait à savoir qui lui avait fourni les lettres de Jean-Pierre Treiber en cavale. Une information à faire tomber la République, vous en conviendrez...
La peste ou le choléra ?
A-t-on à ce moment là entendu Le Monde défendre "l'ensemble de la presse" ? Que nenni. L'information a tout juste fait l'objet d'une brève, quasiment passée inaperçue. La différence, c'est que dans "l'affaire Munka", c'est la justice qui s'était élégamment permis de juger que la publication des lettres d'un fugitif était un "impératif prépondérant d'intérêt public". Au contraire de l'affaire "Bettencourt/Woerth/DCRI/Sarkozy" (il commence à y avoir du Monde au portillon...), dans laquelle quelques barbouzes ont enquêté en sioux, peut-être sur ordre de l'Elysée. Dans un cas, le scandale est ponctuel, lié à la "privatisation" de la DCRI qui enquête de façon probablement illégale au service de l'Elysée. Dans l'autre, c'est la justice qui s'octroie à jamais le droit de coffrer n'importe quel journaliste, y compris dans des affaires sans aucune gravité, pour leur faire cracher l'identité de leurs indics.
Mais c'est un détail... Ça coule de sources !
Un petit Kikadikoi, pour la route ? (Toutes les bonnes réponses donneront droit à un ticket gratuit qui vous permettra de revenir sur ce site d'ici un mois pour consulter le classement RSF de la liberté de la presse 2010) : "Les journalistes, ce sont des nullards, il faut leur cracher à la gueule, il faut leur marcher dessus, les écraser. Ce sont des bandits. Et encore, les bandits, eux, ont une morale". Non, la boutade n'est pas l'oeuvre d'un poétique général birman ou d'un potentat turkmène, mais elle est attribuée à Nicolas Sarkozy soi-même (Canard enchaîné du 15 avril 2009).
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