Planète 89. 4 juin 2010 par Sophie Verney-Caillat
On dit Jean-Louis Borloo très affecté par la fin de la mission de La Boudeuse. Le seul trois-mâts goélette français devait nous faire rêver et donner un peu de concret au Grenelle de la mer. Las, son capitaine, Patrice Franceschi, vient d'annoncer que des raisons financières le poussaient à mettre en vente le bateau.
Séducteur, Patrice Franceschi se voyait comme le Bougainville des temps modernes, un Cousteau la science en moins, un Arthus-Bertrand à la mode Thalassa. Il fait profession d'« aventurier » et traîne dans son sillage quelques rumeurs. Sa première Boudeuse, une jonque, a coulé en Méditerranée dans des circonstances troubles. Il a aidé à contrer les Soviétiques en Afghanistan et on lui prête un passé dans les services secrets.
Mais le ministre de l'Environnement a été séduit, et a lancé le Grenelle de la mer en confiant officiellement la mission Terre-Océan au capitaine Franceschi, selon les termes très vagues de la lettre de janvier 2009 :
« Au service des objectifs majeurs que constitue l'étude de la biosphère, du réchauffement climatique, de la protection de l'environnement et du développement durable. »
Après trois ans et demi de circumnavigation à la rencontre des peuples de l'eau, sous le patronage de l'Unesco, et une halte remarquée à Paris en 2007, le navire était depuis l'an dernier en « mission d'Etat », comme l'explique son administrateur de bord. (Voir la vidéo)
Aujourd'hui, il fait route vers les Antilles, où il doit être mis en vente pour au moins 2 millions d'euros. La faute aux restrictions budgétaires, explique Patrice Franceschi, joint par France Info juste avant que les moyens de communication satellite ne lui soient coupés. (Ecouter le son)
Depuis le départ, un grand malentendu semble avoir été entretenu sur le plan financier, d'où l'impasse actuelle :
Une mission aussi énorme que peu définie et surtout dotée de très peu de moyens. Outre des subventions de l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) -50 000 euros en 2009-, l'armée a apporté un important soutien logistique. « Aucune demande de subvention n'a été déposée auprès des services de l'Etat », jure le ministre, fâché d'être traité de menteur.
Mais le malentendu est aussi sur le fond. Olivier Archambeau, géographe et président de la Société des explorateurs, se dit gêné par un « mélange des genres » entre le symbole véhiculé par le navire et ses missions scientifiques :
« Bien sûr il y avait des questions d'image. L'aventure, ça plaît aux jeunes. Il s'agissait de susciter des vocations et de montrer les valeurs de la France dans les eaux internationales.
Et puis on a pu inviter des scientifiques à faire des recherches nouvelles. C'était un “navire d'opportunité”, qui offrait la possibilité d'un terrain supplémentaire pour des chercheurs en perpétuel manque de moyens. »
Mais les études menées sur des insectes, des poissons, le milieu aquatique et la botanique lors de la première mission en Guyane ne sont pas connectées au Grenelle de la mer. Greenpeace remarque :
« Ce qui signera la réussite ou pas du processus, c'est la mise en place d'aires marines protégées et de réserves marines. »
Et un ancien haut-fonctionnaire du ministère de préciser :
« Le Grenelle de la mer, il n'y avait rien dedans, la pêche reste au ministère de l'Agriculture et l'essentiel a déjà été discuté dans le cadre du Grenelle de l'environnement et dans la loi Grenelle 2. »
Les soutiens de la Boudeuse ont beau clamer aujourd'hui qu« 1 million d'euros, c'est pas si cher, la France peut s'offrir ça », à l'heure où les caisses de l'Etat sont vides, il est logique que ce ne soit pas une priorité.
Photo : la Boudeuse au port autonome de Paris, en août 2008 (Raphodon/Wikimedia Commons) ; Jean-Louis Borloo à l'Assemblée nationale le 4 mai (Charles Platiau/Reuters)
Aucun commentaire