La Revue des Ressources. Le 4 juin 2010 par Michel Tarrier
Les optimistes ne savent probablement pas ce que savent les pessimistes…
« La prophétie de malheur est faite pour éviter qu’elle se réalise ; et se gausser ultérieurement d’éventuels sonneurs d’alarme, en leur rappelant que le pire ne s’est pas réalisé, serait le comble de l’injustice : il se peut que leur impair soit leur mérite », écrivait Hans Jonas.
N’y a-t-il pas peur et peur ? Phobies irrationnelles et craintes justifiées ?
Il n’est nullement question d’entretenir la peur pour l’araignée, pour la nuit, pour l’étranger ou de prophétiser une quelconque apocalypse. L’obscurantisme et ses vieux démons doivent être décapités. Il n’est pas non plus question de tomber sous le « charme » du culte de la peur sécuritaire entretenue par le charlatanisme électoraliste. Ce dont il est question c’est de recourir à la prévention, au principe de précaution, au doute et à un scepticisme de rigueur pour éviter d’être abusé, pour éviter le pire. Même si le pire n’est jamais certain.
Le pire, nous le connaissons et nous n’allons pas en dresser de nouveau l’inventaire. Du risque climatique aux OGM et à l’opacité nucléaire, du déclin des ressources à l’extinction des espèces en passant par les pollutions, la liste s’allonge chaque jour davantage. Il y a de quoi s’affoler, s’insurger.
Il n’est pas un instant sans que l’on ne nous prévienne d’un nouveau danger…, pas un jour sans que les marchands du temple ultralibéral ne soient surpris à occulter des risques pris à notre insu pour faire leur beurre. Aujourd’hui, c’est au tour de l’impardonnable chienlit du nucléaire français, du danger des ondes des téléphones portables, d’une féminisation de la nature et de l’hypofertilité de l’homme causés par les perturbateurs endocriniens.
Pour ce qui est de notre assiette, maintenant que la pétro-tomate manufacturée a envahi le marché et conféré cancers du consommateur et mort biologique du sol, on nous propose un retour à la tomate de grand-papa ! Pommes de terre aux gènes de poulet, de phalène, de virus, de bactérie et d’humain ; maïs aux gènes de luciole, de pétunia, de blé, de scorpion ; riz aux gènes de haricot, de pois, de bactérie et d’humain ; tomates aux gènes de poisson, de virus, de bactérie, de scorpion et d’humain. C’est la grande parade des inconnus dans l’assiette. Ne serions-nous donc que des cobayes ?
Cultiver cette peur réaliste, c’est donc aussi résister aux couleuvres que le système veut nous faire avaler, tâcher d’inverser les tendances, de rétablir les vraies valeurs, de changer nos habitudes, de mettre l’écologie (la vraie, pas l’expression de son blanchiment) dans la politique pour faire en sorte de jouer les prolongations et que les enfants de nos enfants atteignent au moins la fin du premier siècle de ce troisième millénaire. Parce ce que après… ?!! Déjà, mes enfants m’accusent de ne plus voir, dans les bois et les champs, ce que voyaient leurs grands-parents.
« Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre », disait aussi Hans Jonas.
Notez cette simple pensée et réfléchissez-y : plus nous sommes nombreux, plus nous épuisons les ressources et plus nous perturbons les équilibres ; plus nous sommes nombreux et moins nous avons de valeur : un Monégasque, un Suisse, un Norvégien est mille fois mieux considéré qu’un Chinois, un Indien ou l’habitant d’un quelconque pays d’Afrique…, ce n’est pas un hasard.
Les optimistes ne savent probablement pas ce que savent les pessimistes…
Cette fois, l’hirondelle ne fait vraiment plus le printemps, le constat d’un printemps qui déchante fait grincer la conscience aiguë. User de l’alarme, recourir à un pessimisme constructif et non défaitiste, voire à un catastrophisme lucide, devrait porter le citoyen de la terre à se relever les manches, tendrait à induire une plus franche mobilisation qu’un optimisme béat seulement apte à se voiler la face. Il vaut tout de même mieux essayer de fédérer pour sauver les meubles que de se lamenter avec des ersatz de solutions à la petite semaine.
« Face au monde qui bouge, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement ! » avait dit Francis Blanche, un humoriste grinçant et pour cause oublié. Alors, pardon pour la tristesse ou la désillusion, mais qu’il s’agisse de la fonte des glaciers, du dessèchement des grands lacs, de l’extinction galopante des espèces ou de l’accablant constat de barbarie des élevages en batterie, si cela vous inspire la frivolité, moi pas. Mon écologisme est taxé de radical. Peut-être est-il aussi anxiogène puisque la réalité est angoissante. Pour être cohérent avec la demande optimiste, je propose que pour ne plus avoir peur, on supprime les tours de contrôle des aéroports…
En tout cas, le futur est négatif, il est minuit moins une pour l’humanité et son milieu, puisqu’en ce jour, loin du béton, point de salut. Telle est la pensée à voix haute la plus commune. Davantage qu’une prémonition, il faut peut-être y voir les préliminaires du monde difficile qui nous attend si la société occidentale ne change pas de cap, si nous ne bouleversons pas nos mentalités et nos habitudes, si nous n’opposons pas un véto formel à ceux qui entendent continuer à profaner la planète et à disqualifier les deux tiers de l’humanité.
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