Le Lot en Action mag n°13. 25 mars 2010 par Bluboux
La créosote, les traverses, Sidénergie… les barbecues… ça vous rappelle quelque chose ? Pour ceux qui ne connaissaient pas encore le journal au mois de novembre, rappelons que la SNCF, sur le site de Biars, traite les traverses en bois à la créosote et a été épinglée par la préfecture du Lot en février 2009 pour pollution et mise en demeure de réaliser des travaux urgents pour y remédier. A la suite de l’enquête que nous avons menée, est apparue la problématique des traverses anciennes, qui sont considérées aux yeux de la loi comme des déchets dangereux. Ces déchets doivent être suivis jusqu’à leur destruction, dans des centres ou par des procédés agréés, ce dont la SNCF se passerait fort bien compte tenu du coût engendré par cette loi contraignante.
Nous avions alors constaté que la SNCF s’en passe d’ailleurs fort bien, puisque elle refourgue ses déchets toxiques à la société Sidénergie, installée à Laval de Cère (à quelques kilomètres de Biars). Cette dernière transforme tout « naturellement » ces traverses en charbon de bois pour barbecue. Nous avions publié les photos de sacs de charbon, notamment de la marque « Braisal » sur lesquels apparait la mention « produit naturel ! Si vous n’aviez pas suivi l’affaire, vous voilà maintenant mis au parfum (n’hésitez pas à commander les numéros 5 et 6 du journal pour avoir tous les détails).
L’enquête nous a amené à rechercher des informations sur Sidénergie, et ce que nous avons découvert nous a laissé sans voix. Le dossier sur la SNCF était important, il a fallut saisir les élus, organiser une réunion publique et nous avions alors décidé d’ajourner cette deuxième affaire. Des éléments nouveaux venant de nous parvenir, il semble aujourd’hui opportun et nécessaire de vous informer.
Comme vous pouvez l’imaginez, lors de la parution du premier article concernant la SNCF, la société Sidénergie n’est pas restée sans réaction. M. Rueyres, le pdg de l’entreprise, nous a fait parvenir rapidement, par l’intermédiaire de sa fidèle assistante Madame Marie-Louise Martin, un épais dossier de 2 kg, nous expliquant en long, en large et en travers que nous n’avions rien compris au film, que son entreprise avait toutes les autorisations requises, qu’il n’y avait aucun danger prouvé pour la santé, qu’il faisait du développement durable et que son sens aigu des affaires faisait de lui un entrepreneur très précieux pour la région. Copie de ce dossier de 2 kg envoyé à toutes les huiles de la région, y compris les députés européens fraichement élus ! (16 destinataires plus le lot en Action, soit près de 35 kg de photocopies, coté développement durable, ça commençait mal !)
Nous avons épluché ces deux kilos de documents, pas très digestes, mais riches en enseignements. Pour obtenir les autorisations nécessaires, Sidénergie a du faire analyser son charbon auprès d’un laboratoire montpelliérain, la CIRAD (Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement) ainsi que par la faculté de pharmacie de Lyon. Et les résultats d’analyse de cette dernière nous apprennent que le lot de charbon qui a été présenté contient tout un tas de saloperies, mais en prenant bien la précaution de signaler que ces saloperies, celles qui ont été recherchées, sont dans les normes admissibles. Les métaux lourds, par exemples, sont présents et dus, selon le laboratoire, « à des contaminations diverses, type produits de combustion d’essence avec le Pb-tétraéthyle dan les moteurs à explosion, par exemple, et contamination des traverses par l’usure des pièces métalliques à base de chrome dans les locomotives ». Si ces métaux lourds sont en deçà des normes admises, il convient tout de même de constater qu’ils ne seraient pas présents sur du charbon de bois naturel. La conclusion de cette étude est également intéressante : « Dans ces conditions et sous réserve que, d’une part l’approvisionnement en traverses reste de la même qualité, et que, d’autre part, le procédé soit utilisé ultérieurement dans les mêmes conditions opératoires que dans le cas de la fabrication du lot analysé, nous estimons que le risque pour la santé humaine est très faible ». Vous remarquerez tout d’abord que le risque n’est pas nul, et que le laboratoire ne se prononce que pour le lot utilisé. Et on imagine que Sidénergie a expédié à ce laboratoire un lot de charbon de première qualité… Quand aux résultats de la CIRAD, mêmes constatations : « la majeure partie des hydrocarbures issus de la dégradation thermochimique du bois issus de la créosote d’imprégnation, sont distillés. » La majeure partie… no comment, enfin si, une petite remarque pour la route, pour nous faire sourire (jaune). Ce même laboratoire précise un tout petit peu plus loin : « Les essais réalisés en 93 par le CIRAD sur la pyrolyse des bois créosotés ont confirmé (selon les performances analytiques de notre laboratoire de 93) l’absence de dérivés de la créosote dans sa fraction solide : le charbon de bois. Ces données n’ont malheureusement pas été archivées lors de la délocalisation du CIRAD-Forêt vers Montpellier. » Le genre de remarque qui n’a rien à faire dans un rapport d’analyse. Le genre de remarque qui vous fait immédiatement penser que l’on à faire à des gens pas très objectifs. D’autant plus que dans ses conclusions, ce rapport fait mention des analyse de la faculté de Lyon en lui faisant dire que les qualités hygiéniques de ce charbon sont les mêmes que les charbons de bois déjà présents sur le marché. Nous venons de voir qu’en ce qui concerne les métaux lourds, ceci est faux.
Il est à noter que toutes les autorisations obtenues par Sidénergie, sont basées sur ces deux rapports. Celui de la faculté de pharmacie mettant en avant le problème de la qualité des traverses et du mode opératoire (continuité), ces autorisations reprennent ces réserves, et y ajoutant (Conseil Supérieur d’Hygiène Publique) que les créosotes de pétroles soient exclues.
Suivent pas mal d’analyses, dont certaines révèlent la présence de dioxines, ce qui, tout le monde le sait, est excellent pour la santé. Sur ces analyses, la fidèle assistante Marie-Louise Martin s’est empressée de noter, au crayon : « taux de dioxine inférieur au lait de consommation courante », histoire de faire oublier que dans le charbon de bois naturel, il n’y a pas de dioxine…
On apprend également qu’à la suite de plaintes portées par des riverains et des habitants de Laval de Cère, Sidénergie a fait effectué à ses frais des analyses des sols, des poussières et des végétaux dans un périmètre autour de l’usine, et que toutes ces analyses concluent à un environnement extrêmement sain ! Bref tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Pourtant nous nous sommes rendus sur les lieux, histoire d’entendre les plaignants, les empêcheurs de tourner en rond, les grincheux comme les qualifient la très fidèle Marie-Louise Martin. Et ils ne sont pas contents du tout ces grincheux. Je dirais même plus, ils sont terrorisés. Lors de l’enquête publique qui a eu lieu en 2002, naïfs, ils se sont déplacés pour voir le commissaire enquêteur, pensant que ce dernier prendrait en compte des observations pertinentes. Que nenni ! Et ça les lecteurs avisés du Lot en Action le savent, les commissaires enquêteurs sont en liaison avec Super Préfet, qui est en liaison avec la place Beauvau, qui est en liaison avec… (cf le dossier sur la carrière de Thémines dans le dernier numéro).
Quelques jours plus tard, ils ont eu la surprise de voir leurs noms placardés sur les vitrines de commerçants de Laval de Cère, à l’entrée de l’usine Sidénergie, à la mairie et celles de villages environnants, les dénonçant comme d’acariâtres grincheux qui risquaient fort de faire perdre des emplois sur la commune ! Une histoire qui vous fait froid dans le dos, retour en plein pétainisme, on dénonce sans autre forme de procès, on jette à la vindicte populaire. L’étape suivante est de promettre une récompense pour qui rapportera le scalp ou l’oreille des malheureux. Et cette histoire ne s’arrête pas là. Totalement assommés par cette ignominie, nos valeureux résistants ont fait passer un huissier pour constater les délits et porté plainte auprès du procureur. Les responsables de cette affaire ont été entendus, y compris le maire de Laval de Cère, ceux des communes avoisinantes, le pdg de Sidénergie, la très fidèle Marie-Louise, les commerçants. Délits constatés, remontrance et… rien. Rien de rien jusqu’au jour où ils ont reçu un courrier du procureur, se confondant en excuses en leur apprenant que le délai était passé, les difficultés de la justice, manque de moyens, bla bla bla, bref, l’affaire est oubliée, il n’y aura pas de procès ! Je vous passe les témoignages concernant les émissions de fumées « anormales », les jours où « l’on sait que la DRIRE va venir, la fumée n’a pas la même couleur », ceux rapportant des animaux malades, la pollution de la rivière, les doutes sur le fonctionnement des bacs de décantation, sur l’étanchéité des surfaces de stockage, etc. Ces pauvres gens sont à bout, ont peur. Un couple a même déménagé, effrayés par l’ampleur que prenait cette affaire. Alors toujours aussi clair de ça Sidénergie ?
Je vous parlais d’éléments nouveaux. Depuis deux semaines, des camions chargent de la matière noire et grasse sur le site de l’usine et vont la déverser dans la carrière de Mansergues, sur la commune de Carennac. Cette matière est ensuite poussée dans une combe. Et sur ce même lieu un gros stock de traverses (je vous rappelle que les traverses sont des déchets classés dangereux et que leur commerce est illicite). Nous avons contacté le GADEL pour tirer cette affaire au clair, et compte tenu du classement du site, Super Préfet et la DRIRE seraient bien inspirés d’aller contrôler tout cela. Je tiens d’ailleurs à leur disposition des échantillons de cette fameuse matière noire et grasse ! Ainsi que des photos du site.
Mais bon sang, quelle est cette logique criminelle qui pousse des individus à vouloir faire du pognon avec tout, contre toute bon sens, soit avec la complicité des administrations et de l’état, soit en les trompant ? Pourquoi aller utiliser des déchets dangereux pour faire du charbon de bois pour barbecue, alors que des milliers de tonnes de bois sont en train de pourrir partout autour dans le Ségala ? La SNCF connait parfaitement les activités de Sidénergie mais dit s’en laver les mains, trop contente de se débarrasser de ses encombrantes traverses pour pas trop cher, mais ne faudrait-il pas lui rappeler ses obligations ? Les marques qui commandent et commercialisent le charbon de bois de Sidénergie ne veulent pas que cela se sache, et pour cause, alors pourquoi les laisser imprimer sur les sacs « Charbon de bois naturel » ?
Si vous avez des témoignages ou des informations sur cette affaire, merci de nous contacter.
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