Ça y est, on nous refait le coup de la « chienlit » ! Après quelques séquestrations de patrons, tous les épouvantails sont de sortie : Villepin parle de « risque révolutionnaire », Alain Minc rappelle doctement à « ses amis de la classe dirigeante » que 1789 a commencé en 1788.
François Fillon, à propos de deux photocopieuses cassées à la sous-préfecture de Compiègne, dénonce les agissements d'« une petite minorité très violente ». Très violente ? Lorsque les paysans cassent des équipements publics, on n'en fait pas une telle histoire.
Plusieurs médias brodent autour de la « spécificité française » que représenterait une telle « radicalité » des conflits sociaux. Tiens donc, il y aurait, chez ce peuple « régicide » (comme dirait Nicolas Sarkozy), une incapacité à accepter avec flegme et dignité d'être viré de sa boîte (généralement sans perspective de retrouver un emploi), et de ne trouver en face de soi aucun patron avec lequel discuter ?
Les salariés qui séquestrent leur patron ne sont pourtant pas des enragés. Ce sont des salariés désespérés de ne trouver en face d'eux personne à qui parler. Car quels sont les points communs entre tous ces conflits : Caterpillar, Continental, 3M, Sony, Molex ?
Ils ont pour cadre des usines appartenant à des groupes étrangers. Lorsque les salariés apprennent que l'usine ferme, ils doivent bien constater que cette décision a été prise non pas par leur patron -celui qui était jusque-là considéré comme tel- mais par une direction lointaine, dans un autre pays.
Vers qui se tourner ? Vers le seul centre de décision qui prétend avoir un pouvoir de décision sur leur sort : le pouvoir politique. Nicolas Sarkozy n'a-t-il pas promis qu'il sauverait le site de Gandrange, puis celui de Caterpillar ? Pour attirer l'attention, ils n'ont d'autre choix que d'engager des actions médiatiques. Et la séquestration, ou la destruction de photocopieur, ce sont des bons hameçons à média.
Dans d'autres pays, en Allemagne ou dans les pays nordiques, les conflits se passent différemment. On discute en amont, sérieusement, en se respectant. S'il y a une spécificité française, elle ne tient pas forcément à l'intensité de la colère des salariés.
Elle tient avant tout à l'absence de dialogue social dans ce pays, à la gestion des ressources humaines par le « fait accompli », à la désyndicalisation quasi complète du salariat et à une culture de « capitalisme d'héritier » dans laquelle les patrons considèrent souvent le dialogue social comme une perte de temps et les syndicats comme des adversaires.