Plume de presse. 4 novembre 2009 par Olivier Bonnet
Adopté hier à l’Assemblée nationale, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale entérine la baisse du taux de remboursement de 35% à 15% d’une centaine de médicaments - que les mutuelles ont annoncé ne pas pouvoir prendre en charge - et la hausse du forfait hospitalier de 16 à 18 euros. Il ne touche pas aux 31,5 milliards d’euros d’exonérations de cotisations patronales en 2010. L’occasion de relire l’entretien publié par l’édition papier de La Provence du 17 septembre dernier avec Serge Jacquet, président des mutuelles France-Sud. Il ne mâche pas ses mots sur l’augmentation du forfait hospitalier : "Pour nous, c’est une aberration totale. Nous avons toujours été contre ce forfait journalier du temps où il était à 20 francs, nous le sommes encore aujourd’hui qu’il s’élève à 16 euros et vous imaginez bien que nous le serons plus encore demain (...). Imaginez : une personne qui est hospitalisée pendant un mois devra payer 600 euros de forfait (il part à l’époque de l’hypothèse d’un forfait à 20 euros. A 18, ça représente 540 euros, NdA). Beaucoup ne peuvent se le permettre. Envisager cette mesure, comme celle du déremboursement de certains médicaments, repose à chaque fois le problème endémique du déficit de la Sécurité sociale." Ne sortez pas tout de suite les fourches, camarades, à l’évocation du fameux "trou" dont la propagande néolibérale nous enseigne constamment qu’il prouve que l’on ne peut plus s’offrir une Sécu solidaire. Sans évidemment aborder la question du financement, comme si celui-ci, tel qu’il est actuellement, ne pouvait être remis en question. Typique des adeptes de Tina (pour there is no alternative) : avec des présupposés faux, on justifie ses choix politiques en invoquant une mensongère inéluctabilité. Et malheureusement, la thèse porte dans l’opinion : le vieillissement de la population fournit aux fossoyeurs* de la Sécu un argument de poids. Alors qu’il faut poser le problème dans le bon sens : c’est le devoir de l’Etat de garantir que la société ne laisse pas crever ses faibles, donc il doit s’en donner les moyens. Tina répond : "c’est impossible, les caisses sont vides". Mais lesquelles ? Il nous semble que certaines sont bien pleines... Revenons à ce que dit Serge Jacquet : "Il faut revoir complètement le système des cotisations. Ne plus les récupérer sur la seule masse salariale mais sur la totalité des plus values des entreprises. Lorsque les entreprises dégraissent, la masse salariale diminue, les recettes de la Sécu aussi. Mais ce n’est pas pour autant que ces mêmes entreprises ne font plus de profit. En fait, le problème n’est pas dans les dépenses mais dans les recettes" (lire à ce sujet Les charognards de la sécu). Le dogme de Tina veut qu’on ne touche pas aux entreprises : sur elles est censée reposer la régulation sociale pour le bien du plus grand nombre. Contre l’évidence : la redistribution des richesses par les entreprises est tout sauf équitable, les bénéfices étant accaparés par les actionnaires et grands dirigeants tandis que la majorité n’en voit qu’une portion de plus en plus congrue. Bonus, caviar et champagne pour l’oligarchie, pain noir pour le peuple. Résultat ? "Il y a de plus en plus de Français qui renoncent à prendre une couverture complémentaire car ils n’ont plus les moyens financiers de l’assumer, constate Serge Jacquet. On estime aujourd’hui que 8% de la population ne bénéficie pas d’une mutuelle, c’est un pourcentage énorme." Sans mutuelle, on ne peut plus se soigner. Mesure après mesure - dont les franchises médicales ne sont pas les moins scandaleuses -, nos gouvernants ont patiemment rogné les remboursements. La logique de ce système n’aboutit ni plus, ni moins qu’à instaurer un eugénisme économique : les privilégiés accèdent aux soins et les victimes de la guerre des classes*, s’ils tombent malades ou ont un accident, n’ont plus qu’à mourir. Dans cette société où la valeur d’un individu se mesure à son pouvoir d’achat, les pauvres ne méritent pas de vivre.
PS : L’illustration ci-dessus est l’oeuvre du dessinateur Goubelle.
* Relire les excellents ouvrages de notre ami Christian Lehmann, Les fossoyeurs, et de François Ruffin, La guerre des classes. Qui met en exergue la phrase suivante : « La guerre des classes existe, c’est un fait, mais c’est la mienne, la classe des riches, qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la remporter. » Warren Buffett, première fortune mondiale.
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