Les Nouvelles News. Le 26 janvier 2011 par Arnaud Bihel
Accusé de pollution aux hydocarbures dans le delta du Niger, l'une des zones les plus polluées de la planète, le néerlandais Shell répond que plus de 90% des déversements sont dus à des actes de sabotage. Mensonge, estiment des ONG qui accusent la compagnie pétrolière de fuir ses responsabilités sociales et environnementales. L'affaire est suffisamment sérieuse pour être éxaminée par les parlementaires néerlandais.
Sale temps pour Shell. Le géant pétrolier va devoir répondre de ses activités dans le delta du Niger - le pays ogoni, au Nigeria - où il est implanté depuis près d'un demi-siècle. Le parlement néerlandais ouvre ce mercredi une session d'auditions consacrée à la responsabilité de l'entreprise dans la région. La veille, Amnesty International et les Amis de la terre ont porté plainte contre Shell, l'accusant de publier des chiffres mensongers sur les causes des pollutions aux hydocarbures.
Selon les ONG, la compagnie néerlandaise attribue à des sabotages une grande majorité des fuites dont elle est elle-même responsable. Une violation des principes directeurs pour un comportement responsable des entreprises édictés par l'OCDE.
Un autre procès pend au nez de Shell puisque, le 30 décembre dernier, un tribunal néerlandais a accepté de donner suite à une plainte émanant de quatre habitants. Ils demandent à être indemnisés pour les dégâts causés par les fuites de pétrole et subis par leurs exploitations agricoles et leurs étangs. Selon un rapport publié en 2006, plus de 1,5 million de tonnes de pétrole brut sont venues polluer le pays ogoni depuis 50 ans. Le delta est devenu une des zones les plus sinistrées de la planète.
Laisser faire
Les questions sont à la fois environnementales et sociales. Dans le delta du Niger, ce sont près de 30 millions de personnes qui vivent en payant le prix de la pollution, et sans voir la couleur des milliards de dollars de profit générés par l'exploitation pétrolière. En 2006, le Programme des nations unies pour le développement dressait un tableau particulièrement noir de la région. Les sabotages, qui existent en effet, sont dus à des rebelles autonomistes, mais aussi aux habitants qui récupèrent du pétrole brut en piratant les oléoducs.
Selon des députés néerlandais qui se sont rendus sur place pour préparer l'audition, les autorités nigérianes ont également leur part de responsabilité, en ne fixant pas de règles environnementales, et en profitant elles aussi du vol de pétrole. Reste que Shell, dénoncent les ONG, n'utilise en rien son poids économique pour inciter ces autorités à prendre en main ces questions environnementales.
Entre 1989 et 1994, la compagnie estimait que seulement 28 % des déversements de pétrole dans le delta du Niger étaient dus aux sabotages. En 2009, rappellent les ONG, Shell « a été contraint de rectifier des informations mensongères sur la cause des déversements de pétrole. Après avoir affirmé à maintes reprises que 85 % de ces déversements en 2008 étaient dus au sabotage, il a annoncé que la réalité était plus proche des 50 %. Ces 85 % pas plus que les 50 % n'ont été dûment explicités ». Et aujourd'hui, la compagnie estime à plus de 90% les déversements dus aux sabotages. Pour les ONG, ce chiffre est à nouveau trompeur. Et Shell n'a pas répondu à leurs demandes de présenter les preuves qui viennent l'appuyer
Au fond de l'affaire, une question de responsabilité... et d'argent. Car si Shell, selon le droit nigérian, doit prendre en charge la réparation et l'indemnisation des dégâts provoqués par les fuites dont elle est responsable, elle se décharge des autres. Et l'état nigérian fait de même.
Un sujet pour Davos
A l'heure du Forum de Davos, qui met en avant cette année la thématique de « Normes partagées pour une nouvelle réalité », Amnesty International entend profiter de cet exemple pour interpeller les décideurs.
« Ce forum offre la chance de repenser la manière dont on mesure le succès et de souscrire à de nouvelles règles qui ne prennent pas seulement en compte les profits, mais aussi les hommes et les femmes », souligne Salil Shetty, secrétaire général d'Amnesty International. « Davos doit inscrire parmi les normes partagées l'obligation pour les entreprises de veiller à ce que leurs activités ne piétinent pas les droits fondamentaux et l'obligation, le cas échéant, de rendre des comptes. Lancer des appels en faveur d'une bonne conduite est loin d'être suffisant. Il convient de promulguer des normes fondamentales. »
Image : fuite de pétrole dans le village d'Ikarama © Kadir van Lohuizen/NOOR
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