Le Lot en Action. 13 novembre 2009 par Bluboux
Quand Alcatel-Lucent s’installe à Timişoara en 1991, la Roumanie est un Eldorado pour les grosses entreprises : main d’œuvre sous-payée et droit du travail presque inexistant. Pour les salariés roumains, cette première implantation d’une entreprise étrangère dans leur ville est une aubaine : sécurité de l’emploi, bons salaires (le salaire minimum en Roumanie est de 195 €/mois en 2008), primes substantielles, prêts bancaires préférentiels...
Aujourd’hui l’entreprise française emploie 1.600 personnes sur ce site, et dans le cadre d’une restructuration européenne, envisage de « céder » 30% de ses effectifs à l’entreprise indienne Wipro, sous-traitant également installé en Roumanie. Là il est nécessaire de s’arrêter trente secondes pour remarquer que les effectifs d’Alcatel sont considérés comme faisant partie de l’actif de l’entreprise, au même titre que les stocks ou les réserves de papier hygiénique. Deuxième point, l’entreprise Wipro est « connue » des services citoyens de veille des salopards sans foi ni loi : en septembre dernier, cette dernière a fermé son site de Sophia Antipolis (Nice) après avoir encaissé des millions d’euros de crédit recherche et rapatrié les brevets en Indes, en laissant sur le carreau 61 salariés. Bref, du beau linge.
Donc Alcatel s’arrange avec son pote. Je te vends mes salariés de Timisoara et tu augmentes ta production en me garantissant des prix intéressants. Seulement le hic, le petit grain de sable de cette histoire, c’est que les salariés d’Alcatel, modèles exemplaires jusque là, parfaits petits esclaves corvéables à merci, jamais syndiqués, (bref des perles) ne sont pas d’accord, le font savoir, organisent une manifestation en novembre dernier (qui faisait écho à celles organisées simultanément en France, en Allemagne et en Italie contre la suppression attendue de plus de 4000 emplois dans toute l’Europe), et viennent de créer un syndicat :
« Avec près de 500 postes menacés sur 1600, nous sommes les plus touchés en Europe par le plan global d’économies lancé par le groupe », déplore Manuel Martin, 35 ans, président du premier syndicat de la société fondé en juillet dernier. « Les négociations avec le patronat ne débouchent sur rien de satisfaisant, il n’y a que par la grève qu’on pourra faire pression. » Le Syndicat libre d’Alcatel-Lucent Timişoara réclame notamment plus de garanties pour les employés du Centre technique roumain et du service financier qui seront transférés début 2010. (1)
Et ils comprennent très vite que leur combat est européen :
« Nous bataillons pour que chacun obtienne des compensations financières décentes », explique Laura Oprea, 25 ans, qui travaille au service financier. « Mais jusqu’ici, la direction a mis des offres de moins en moins intéressantes sur la table. Nos collègues allemands ont réussi à obtenir pas mal d’indemnités. Pourquoi n’aurions-nous pas les mêmes droits ? ».
Et forcément, ils découvrent qu’ils ont des droits et se battent pour les faire respecter :
Refroidis par le sort réservé à leurs collègues « vendus aux Indiens », les membres du Syndicat libre ont insisté, dans la foulée, pour négocier un contrat collectif de travail. Une négociation rendue obligatoire par la loi mais qui n’avait jamais eu lieu jusqu’ici, en l’absence de représentant des salariés. « Ce contrat va nous permettre de nous protéger en cas de licenciements massifs », estime Manuel Martin. « Nous ne sommes à l’abri de rien avec la crise... Et puis, c’est l’occasion de mettre les choses à plat en matière de congés payés, de primes d’ancienneté ou d’augmentation. C’était absolument nécessaire ! »
Mais où va-t-on aller si les Roumains commencent à avoir des prétentions ? C’est une question qui doit se poser dans les salons feutrés du Modem et de la République…
(1) reportage du Courrier des Balkans
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