Les militants égyptiens formés à Washington et chez OTPOR

Agora Vox. Le 5 Mars 2011 par Ceri

 

Il est temps de regarder de plus près ces "révolutions" au Maghreb et au Moyen Orient, puisque nous commençons à avoir le recul nécessaire. Plusieurs éléments amènent à se poser des questions quant au caractère "spontané" desdites révolutions, d'autant plus qu'on a déjà connu les pseudo révolutions 'orange', 'des roses' etc. en Europe de l'Est et dans le Caucase il y a peu.

Premiers éléments d'interrogation, comme ça, à chaud : le rôle déterminant de l'armée dans l'ensemble de ces revolutions, l'emballement médiatique international, le silence relatif des Etats-Unis, la répétition très rapide du même scénario : facebook, manifestations, tergiversations, retournement de l'armée, pas de changement radical.

Dans le cas de l'Egypte, c'est un mouvement appelé "mouvement de la jeunesse du 6 avril" (April Six Youth Movement) qui a été l'un des moteurs principaux du mouvement de contestation. Un câble de l'ambassade US au Caire dévoilé par Wikileaks évoque ce groupe (10CAIRO99) daté de janvier 2010 évoque ce groupe et un autre, Kifaya, dont certains membres ont été arrêtés par les autorités égyptiennes en raison d'un rassemblement illégal. Le câble, renseigné par les avocats de ces groupes, précise que "certains des détenus étaient des participants du progamme 'New generation' de la Freedom House qui procurait un entraînement aux jeunes activistes". Il y avait même, en janvier 2010, un programme en cours intitulé "Project on Middle East Democracy Program", probablement le POMED. Parmi les interpellés présents lors du programme d'entraînement, Israa Abdel Fatah, bloggueuse et co fondatrice du mouvement du 6 avril.

Elle avait fait 17 jours de prison pour avoir réuni 70.000 personnes via Facebook le 6 avril 2008, mais on va y revenir.

La Freedom House avait aussi un programme spécial pour les militants du Moyen Orient et d'Egypte (qui était parmi les quatre pays prioritaires pour la Freedom House), New Generation of advocates, destiné à donner du pouvoir à "la société civile" égyptienne et du Moyen Orient. Notamment en coachant des blogueurs reçus à Washington début 2010. Parmi les activités dudit programme :

  - "procurer un entraînement avancé en matière de mobilisation civique, de réflexion stratégique, de nouveaux médias" etc.

  - professionnaliser la société civile en matière d'information sur les atteintes aux droits humains et à "militer pour une réforme légale"

 - amener les politiques et le public à dénoncer la situation des libertés via les médias, forums etc.

En rentrant en Egypte, les militants avaient une "petite donation" pour lancer des initiatives, mais aussi des contacts à Washington et ailleurs.

La Freedom House est financée en grande partie par les Etats-Unis : en 2006, par exemple, le gouvernement fédéral lui avait versé près de 21 millions de dollars sur ses 26 millions de budget annuel. Parmi ses grands contributeurs privés (+ de 100.000$ versés en 2006, date du dernier rapport annuel disponible en ligne), on a Peter Ackerman, membre du Council on Foreign Relations de Rockefeller et adepte de la réunion Bilderberg, ainsi que diverses fondations et l'incontournable National Endowment for Democracy qui finance lui aussi moult programmes démocratiques à travers le monde.

La Freedom House a publié en 2009 une "carte de la liberté" pour chaque continent, qui différencie les pays suivant le degré de démocratie qu'elle leur attribue. Ainsi, on apprend que le seul pays totalement libre de la zone Maghreb-Proche orient aux yeux de la Freedom House est Israël. Cinq pays sont "partiellement libres" : Maroc (sans la partie saharaouite), Jordanie, Liban, Yémen, Bahrein. Tous les autres pays de la région sont considérés comme "non libres". Il convient donc, bien sûr, de les amener vers la liberté.

D'un coup, on s'étonne moins de l'ampleur de cette 'révolution facebook' en Egypte, dont le logo (un poing fermé en blanc 150px_Otpor19fev20111sur fond noir) est le même que celui du mouvement OTPOR !, créé en 1998 et qui avait lancé les "révolutions" en Serbie en 2000 contre Milosevic, en Géorgie, avec le mouvement Kmara en Biélorussie avec Zubr et en Ukraine avec le mouvement Pora, mais il y a eu des tentatives ailleurs, comme en Azerbaïdjan avec le mouvement Kelkel ou au Kirghizistan. Des révolutions qui avaient été largement poussées par le NED (National Endownment for Democracy), l'USAID, l'Albert Einstein Istitution de Gene Sharp et la fondation Soros, qui injectaient les fonds dans divers mouvements tels qu'OTPOR.

Les révolutions en Europe de l'Est ont été pilotées savamment par la CIA et autres agences US, qui ont financé des associations, commandé moult sondages publiés dans moult médias, secoué le bananier des agences de presse pour qu'elles répercutent les infos partout dans le monde, etc.

Bref, les scénarios tunisien, egyptien etc. ont des airs de déjà vu.

A noter : OTPOR a mis en place à partir de 2003 une sorte de centre de formation pour activistes appelé Centre for Applied Nonviolent Action and Strategies (CANVAS), auquel serait passé le porte parole du mouvement égyptien du 6 avril, Mohamed Adel. Il se serait en effet rendu en Serbie au cours de l'été 2009, pour y apprendre à regrouper les gens et mener des manifestations non violentes.

CANVAS publie aussi beaucoup de manuels sur les révolutions non violentes, sans se rendre compte que si les Etats Unis n'étaient pas derrière eux, les choses se seraient passées comme d'habitude avec les révoltes populaires. L'une de ces publications est intitulée "la lutte non violente en 50 points", publié dans de nombreuses langues dont le français, et qu'on retrouve sur le site du mouvement du 6 avril.

Exemple d'application de ces superbes formations, lors d'une grève dans une usine textile au printemps 2008, des militants ont crée une page facebook pour les soutenir, mais aussi organiser des actions de soutien et autres manifestations, ce qui a donné le regroupement du 6 avril. Début décembre 2008, six militants du 6 avril étaient venus deux semaines aux Etats Unis, où ils avaient rencontré des "officiels US" et de membres de différents think tank, et s'étaient rendus à l' "Alliance of Youth Movements summmit", dont le but était un "changement démocratique en Egypte", comme le mentionne ce câble diplomatique de décembre 2008. Pas de bol, les services égyptiens leur ont piqué tous leurs documents quand les militants blogueurs sont arrivés à l'aéroport du Caire.

A ce moment, il semble que les mouvements d'opposition, "6 avril", Kifaya, Frères Musulmans, Parti socialiste, s'étaient déjà mis d'accord pour lancer une action avant les élections présidentielles égyptiennes de 2011, un plan que l'ambassadeur qualifiait alors d' "irréaliste".

Suite à cela, les US et les activistes ont cherché à mieux préserver leurs identités, conseillés par les Etats unis, qui leur ont aussi filé un peu d'argent à cet effet.

Mubarak_2_1_11_webEntre parenthèses, Moubarak avait dénoncé un complot de l'extérieur, de même que Ben Ali, et comme par hasard ils se sont tous les deux retrouvés dans le coma quelques jours après leur éviction.Enfin passons.

Dans la nuit du 2 au 3 février, donc, le mouvement du 6 avril a lancé un appel "à tous les défenseurs des droits de l'Homme". 

En fait, les Etats Unis se demandent depuis un bon moment qui va succéder à Moubarak, et en mai 2007 déjà, l'ambassadeur US décrivait l'incertitude qui régnait à ce sujet. Son fils Gamal ? Un coup d'Etat militaire ? D'autres câbles montrent l'attention portée par l'ambassade US aux tracas rencontrés par les blogueurs subversifs en Egypte, ou bien l'attention tout particulière pour El Baradei, ex chef de l'AIEA (agence de l'énergie atomique), qui semblait avoir le vent en poupe il y a un an. A ce moment, le mouvement du 6 avril et le parti d'opposition El-Gahd travaillaient à ce qu'il arrive au pouvoir, et un groupe Facebook lancé pour sa candidature avait déjà 64.000 membres.

Mais il semble que la rue n'ait pas embrayé. Aujourd'hui, c'est le Conseil Suprême des Forces Armées qui a pris le pouvoir en Egypte, et ses propositions pour un changement démocratique seront votées par référendum avant les élections prévues d'ici six mois. Mais, l'armée ne semble pas pressée d'accorder plus de libertés démocratiques, comme par exemple en facilitant la création de partis politiques, ce qui agace quelque peu une partie des opposants à Moubarak. En outre, elle a aussi laissé en place nombre de ministres de Moubarak, comme ceux de la Défense, de la Justice, des Affaires étrangères ou de l'Intérieur, placés par Moubarak avant son départ.

Les procès en cours contre d'anciens ministres et contre des hommes d'affaires véreux proches du régime montrent que la population veut solder les comptes. Des manifestations dénoncent encore la corruption et réclament le départ d'Ahmad Shafiq, qui dirige le gouvernement par intérim, ainsi que des ministres de la Justice et des Affaires étrangères, ainsi que celui des gouverneurs nommés par Moubarak et qui sont encore en poste.

Déjà, des manifestants accusent l'armée de trahison. Ils veulent rester sur la place Tahrir, mais l'armée , qui veut absolument empêcher une contre révolution, en a décidé autrement et n'a pas hésité à tirer sur la foule et à arrêter des "insurgés" dans la nuit du 25 février. Reprise en main sévère, donc, de la part des forces armées. Le risque pour la population est de se retrouver avec un régime militaire imposé, ou bien avec des gouvernants fantoches qui font exactement tout ce que les Etats-Unis leur demandent. L'option religieuse est également possible, mais il serait très étonnant que Washington laisse faire.

 

La prochaine au Venezuela ?cartel_huelga_hambre_oea_2011

On notera que les Etats Unis n'ont pas financé les révolutions zapatistes au Mexique, les associations paysannes de Bolivie ou les jeunes Grecs qui s'insurgent contre les mesures d'austérité du FMI. Par contre, ils financent des mouvements de jeunes libéraux au Venezuela, où le plan a échoué jusqu'à présent. D'ailleurs, même les coups d'Etat classiques ont raté dans ce pays.

La Freedom House s'intéresse également beaucoup au Venezuela, où elle travaille avec les "défenseurs des droits de l'homme" auxquels elle procure une "assitance technique", un "entraînement", à qui elle fournit de la documentation afin qu'ils compilent consciencieusement toutes les violations des droits de l'homme dans le pays. Cela va sans dire, le Venezuela est aux côtés de la Bolivie, de l'Equateur, de la Colombie ou du Mexique notamment dans la catégorie des pays à moitié libres.

J'ai déjà évoqué les tentatives de déstabilisation du Venezuela de la part des Etats Unis, et les nombreuses associations civiques ou d'entrepreneurs dynamiques financées par les agences US et autres fondations : USAID, National Endowment for Democracy (NED), Office of Strategic Influence (OSI), Rendon Group... L'USAID y est très active depuis l'électiond e Chavez en 2002, via son Office of Transition Initiatives (OTI), qui mène un programme gouvernemental de soutien à la stabilité "démocratique", via un financement d'organisations de "la société civile" et des "leaders politiques" triés sur le volet, c'est-à-dire favorables aux Etats Unis et à une politique libérale. Plus de 20 millions de dollars ont ainsi été versés par l'OTI et l'USAID depuis 2002.

Il se trouve que la Freedom House et OTPOR y ont essaimé également. Début février 2011, des étudiants, qui constituent avec les riches les principales forces d'opposition à Chavez, ont mené un grève de la faim pour réclamer la libération de "prisonniers politiques", grève qui, étrangement, a eu un impact médiatique considérable pour une grève menée par une dizaine d'étudiants au fin fond de l'amérique latine, où les indiens et paysans se font massacrer à chaque manifestation ou presque. A tel point que dès le 19 février, le département d'Etat US a affirmé son "soutien inconditionnel" aux étudiants grévistes, et que le 23, le gouvernement Obama a dit qu'il était "préoccupé par ces jeunes qui risquent leur vie" (sic.). Tous les jours, les médias ont fait le compte du nombre de grévistes de la faim, qui a pu approcher des 80 à un moment.

Les grévistes ont cessé leur action le 27 février. Ils réclamaient la venue de représentants de la Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme et de l'Organisation des Etats Américains (OEA, devant le siège delaquelle s'est déroulée la grève) pour observer les violations des droits de l'homme et les conditions de détention des "prisoniers politiques", ce pour quoi Washington les a fortement appuyés. Les "prisonniers politiques" dont ces étudiants réclamaient la libération sont des gens comme la juge María Lourdes Afiuni, qui a relaxé un banquier et homme d'affaires véreux de manière frauduleuse d'après les autorités, et s'est retrouvée en prison en décembre 2009. L'homme d'affaires dénommé Eligio Cedeno a fui aux États Unis, une vraie terre d'accueil pour les opposants vénézuéliens. Lui aussi a été qualifié de "prisonnier politique" alors qu'il était poursuivi pour banqueroute frauduleuse et trafic de devises. 

Autres "prisonniers politiques" visés, des députés comme Biagio Piglieri ou Freddy Curupe, poursuivis pour corruption (une pratique des plus courantes sur le continent, mais les députés de gauche massacrés en Colombie inquiètent moins les Etats Unis), ou José Sanchez, poursuivi pour homicide. Tous passent pour des martyrs du chavisme auprès de l'opinion US et tous sont passés de la prison à la détention -préventive- à leur domicile à la suite du battage médiatique en leur faveur. 

Le leader de ces étudiants, un "fils à papa", s'appelle Lorent Saleh, le porte parole de "Juventud Activa Venezuela Unida" (JAVU), qui a sa page Facebook, à laquelle moult blogs sont reliés. La JAVU affirme être soutenue par un groupe dénommé "Organismo Táctico Para Orientar la Resistencia" : OTPOR.

Comme en Tunisie et en Egypte, on a vu au Venezuela certains membres de l'armée affirmer franchement leur sympathie avec les étudiants, comme le General Antonio Rivero, ce qui constitue en gros la deuxième étape dans le processus de "transition", après la mobilisation des gens et des médias, et avant que l'armée retourne sa veste. Il se trouve que ledit général s'épanche depuis un moment dans les médias, expliquant que l'armée vénézuélienne -insulte suprême- est en cours de "cubanisation" et infiltrée par les cubains. Juste avant de défendre la cause des grévistes de la faim, Rivero a rejoint le parti Voluntad Popular, financé lui aussi par l'USAID qui a offert plus de 600 "donations" à des partis, associations et universités du pays.

On peut donc dire que le décor est planté en ce qui concerne le Venezuela. Comme, d'ailleurs, d'autres pays sur les listes de l'USAID etc.


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Dernière mise à jour de cette page le 05/03/2011

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