Les actualités du droit. Le 10 mai 2011 par Gilles Devers, Avocat (publié par Marie)
La loi sur la réforme de la psychiatrie est examinée par le Sénat aujourd’hui, avec un vote prévu demain. Une loi tellement ouf qu’une partie de la majorité s’est rebellée, et a proposé en commission sénatoriale un retour à la pensée cartésienne. Insupportable affront pour le groupe UMP, accro aux sensations du délire collectif, avec une Nora Berra, cheftaine outrée dans le rôle de la mère castratrice, devenue rempart du si vulnérable surmoi de notre Bien-Aimé-De-Sa-Dame Président. Aussi le groupe UMP a joué au SAMU politique, votant contre les travaux de la commission, ce qui élimine tout le travail préparatoire du Sénat. C’est donc l’œuf de l’Assemblée nationale qui arrive en direct live en séance publique au Sénat.
Tout ceci serait assez drôle si ces funestes encravatés ne gouvernaient pas le pays, et n’assouvissaient leurs fantasmes électoraux en niant les réalités de la connaissance scientifique et de la pratique.
La psychiatrie a toujours fricoté avec la loi car le trouble psychique pose la question de l’étiage social, pour parvenir çà une prise en charge globale, et celle de l’ordre public, car l’extériorisation de la souffrance psychique peut venir le troubler. Il a toujours été admis que la loi devait se doter de processus vigoureux pour prendre le relais quand l’être humain chancelle. Personne ne conteste le principe de la contrainte, mais tout se joue dans les modalités.
Fallait-il une réforme pour la psy ? Oui
Une réforme était attendue pour traiter les insuffisances du système actuel et percuter toutes les pesanteurs. Mais les bases étaient saines. Elles résultent d’un droit patiné depuis la loi 30 juin 1838, un peu aménagée par la loi du 27 juin 1990, le tout réinterprété au regard de la magnifique jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Les pratiques n’étaient pas toujours au top, loin de là, mais le droit était dans les clous. Il suffisait de l’appliquer en combattant les facilités.
Les pratiques étaient évaluées, et les rapports se sont succédés. Dernier de la série, l’intéressant rapport Couty de janvier 2009 qui ne niait pas les questions de sécurité, mais soulignait la priorité : l’intégration des malades dans la cité. Il fallait donner un coup d’accélérateur aux pratiques sur le terrain, à l’articulation ville / hôpital. Ce qui passe par des données connues à doper et à financer : le logement, le travail et la disponibilité d’équipes médicales hors hôpital. Là, on est dans le réel. Vu de loin, tout est simple, mais essayez la pratique… Négociez depuis votre chambre de l’hôpital psy la reprise du travail, la recherche d’un logement et un rendez-vous avec le psy du coin. Vous m’en direz des nouvelles. Ce sont les familles qui sont sollicitées jusqu’à leur ruine.
Aussi, on attendait une loi un peu sanitaire et très sociale, pour faire face à la solitude, à la rechute et à tous ses troubles.
Fallait-il cette réforme de la psy ? Non
Mais patatras, la fièvre sécuritaire a repris le dessus, après la dramatique affaire de Grenoble, en 2008. Un patient psy bascule e t poignarde un passant. Des faits aussi graves que rares, et pour lesquels aucune loi ne pourra jamais rien faire. Oui, mais voilà, le prétexte était trouvé pour les cyniques qui nous gouvernent. Ils savent très bien que leur loi à la gomme n’empêchera jamais de tels faits, mais c’était une occasion de rêve pour renforcer ce pré-carré du sarkozysme : faire consensus en stigmatisant ceux qui dérangent, et renforcer le contrôle social. Il faut que les Français apprennent à obéir, et intègrent les bienfaits de l’autorité. L’objet de la loi n’est plus de définir les limites des libertés mais de dire ce qu’il faut faire.
Les bases étaient tordues, Grenoble n’étant qu’un prétexte, et la loi de santé mentale, devant définir le nouveau cours de la psychiatrie, passait aux oubliettes. Ca s’appelle marcher sur la tête.
Là-dessus est venue la décision du 28 novembre 2010 du Conseil constitutionnel, imposant le recours à un juge pour le renouvellement des hospitalisations sous contrainte, avec obligation de modifier la loi avant l’été 2011. Il a donc fallu ajouter ces adaptations au projet, qui est devenu un joyeux fourre-tout, promettant un pataquès fameux quand il faudra l’appliquer.
Que dit cette loi ?
Hospitalisation sous contrainte
La loi garde les deux procédés existants, hospitalisation d’office par le préfet ou hospitalisation sur demande d’un tiers, à l’initiative des proches, mais elle ajoute un dérivé simplifié en cas de péril imminent. On peut prévoir que les faiblards vont voir des périls imminents de partout. Pas de problème : je prépare les recours, et j’ajuste les plaintes disciplinaires contre les médecins trouillards qui diront n’importe quoi dans leurs certificats sécuritaires.
Sortie à l’essai
Ca, c’est le lupanar du fantasme sarkozien : les fous sont si méchants qu’il faut les enfermer. Tout esprit lucide comprend que la vraie solution passe par la capacité à gérer au plus tôt la sortie, comme un passage progressif, sans désocialisation, sans stigmatisation, en renforçant la confiance avec l’équipe médicale, pour parvenir à garder le lien hors les murs. La loi fait pile l’inverse, enfermant strictement pour casser la relation, minorant le rôle du psychiatre et renforçant le rôle du préfet. C’est une véritable piste d’envol pour les décisions arbitraires, qui seront mesurées au regard des critères européens : je prépare quelques fournées de recours en légalité et en responsabilité. Une bonne indemnisation des patients pour atteinte à leurs droits fondamentaux – liberté d’aller et venir, vie familiale, droit au travail – leur fera un joli pactole. Faites-vous soignez et enrichissez-vous… le grand luxe !
Le contrôle des mesures d’hospitalisation sous contrainte
La loi limite les recours au juge des libertés, rendus obligatoires à dates fixes. Mais le patient sera bien libre de déposer les recours dès qu’il le voudra, et notamment dès le premier jour de la mesure. Par ailleurs, il ne fait pas de doute que les multiples obstacles administratifs créés par la loi, bloquant le rôle fondamental du psychiatre, la thérapie, vont conduire à des abus, avec autant de recours.
A prévoir aussi un volet sur la violation des droits de la défense, car cette impayable assemblée UMP, contrainte d’avaler les recours que lui a imposé le Conseil constitutionnel, ne veut pas de patients psy dans les tribunaux. Aussi, elle a ouvert toutes les vannes à l’audience… en vidéo conférence. Le patient schyzo entrain de parler à une caméra pour demander sa liberté : ils sont trop forts ! Et je vous laisse imaginer à quoi ressemblera la défense. Allez hop, une nouvelle fournée de splendides recours. Les patients-psy font faire condamner l’Etat pour violation des droits fondamentaux. J’adore.
Soins sans consentement
Cà, c’est le pompon. Ce que l’on a toujours admis, c’est la contrainte imposant le séjour à l’hôpital, cadre dans lequel les soignants recréent une relation. On a toujours connu aussi la nécessité d’agir, en engageant sa responsabilité, lorsque le patient est dans un état de crise empêchant toute expression réelle d’un consentement. Mais ici, la loi pète les plombs : elle invente le soin sans consentement pour le patient qui a réussi à triompher des obstacles préfectoraux et à retrouver la ville. « Bonjour, je suis le psychiatre, et je viens vous soigner sans votre consentement ». Sacré Sarko, il n’y a que toi qui pouvais nous inventer ça !
La commission du Sénat a dénoncé ce spasme législatif, manifestement anticonstitutionnel dès lors que le consentement est un élément de la sauvegarde de la personne. La commission avait aussi souligné que la loi ne disait rien de cette notion nouvelle et renvoyait à un hypothétique décret, avant d’exprimer un vote négatif.
Furie de notre Nora Berra, sous-ministre de la santé administrée, dont voici la puissante réponse : « Le Gouvernement est défavorable à cet amendement car il vide le texte de sa substance. Aujourd'hui, la seule réponse qui est proposée, c'est l'hospitalisation. En ce début de XXIe siècle, il est normal que les modes de prise en charge évoluent, comme ce fut le cas dans d'autres disciplines médicales. Alors que vous parlez de modernisation de la prise en charge, vous la refusez ici ! Les malades même non consentants ont le droit d'être traités dans leur environnement, d'autant que les chances de succès thérapeutiques sont alors bien plus élevées. Pourquoi refuser une prise en charge plus moderne des malades ? »
Eh oui, tout est là ma chérie : c’est « plus moderne » ! C’est la modernité de la bulle.
Je vais être riche
Dans des temps anciens, il y aurait eu de quoi flipper, car le juge devait appliquer la loi et une loi faite par des cinglés donnait une jurisprudence folle. Mais tout ceci est fini, car la loi est encadrée par des principes, et chaque citoyen peut se saisir de ces principes pour contester cette loi et les mesures prises en application devant les tribunaux.
Ce sera donc une très belle opération, et pas seulement pour ma maison sous les tropiques. Par une belle bataille judiciaire et rangée, nous allons combattre tous les fantasmes sécuritaires qui polluent la psychiatrie, et ce sera l’œuvre des patients eux-mêmes, amenés à défendre leurs droits pour pouvoir bénéficier de soins compétents, intelligents et confiants.
Le seul péril pour mon petit commerce serait que François Hollande soit élu, car je ne doute pas qu’il abrogerait illico cette loi nourrie de la fange.
Vincent Van Gogh, Au seuil de l'éternité, 1890
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