No hay cosa más sin apuroque un pueblo haciendo la historiaNo lo seduce la gloriaNi se imagina el futuroMarcha con paso seguroCalculando cada pasoY lo que parece atrasoSuele transformarse prontoen cosas que para el tontoSon causas de su fracasoAlfredo ZitarrosaIl n’y a rien de moins presséqu’un peuple faisant l’histoireIl n’est pas séduit par la gloireEt n’imagine pas le futurIl marche d’un pas sûrEn calculant chaque pasEt ce qui semble être un retardBientôt se transformeraEn ce qui pour le bêtaSera causes de son échec.
Dimanche soir on a fêté jusqu’à tard dans la nuit la victoire d’Evo Morales, avec plus de 63% des voix — et encore, il reste à comptabiliser les chiffres des zones rurales, qui lui sont généralement plus favorables.
Evo Morales est sans doute le Nelson Mandela de l’Amérique Latine. L’arrivée au pouvoir en Bolivie d’un indien, qui se revindique comme tel, qui représente les exclus de 500 ans d’état colonial et qui entreprend des changements profonds dans ce pays, est clairement comparable à la fin de l’apartheid en Afrique du Sud.
Quoi qu’il arrive, rien ne sera jamais plus comme avant en politique en Bolivie. Les postes de pouvoir ne sont plus réservés aux blancs. La corruption n’est pas un mal inévitable. Changer la constitution pour servir l’intérêt général, c’est possible.
Ayant commencé sa trajectoire politique en ’97, avec un peu moins de 4% des voix, arrivé en 2002 dans une deuxième position qui ébranle les pouvoirs établis, Evo Morales gagne les élections en 2005 avec une majorité absolue de plus de 54% au premier tour. Entre temps il a fallu des luttes populaires, “la guerre de l’eau” et “la guerre du gaz”, “octobre noir”, lorsqu’en 2003 “Goni” envoie tirer sur la foule, puis, suivant une mode grossière et trop habituelle en ce début de millénaire en Amérique Latine, plutôt que de renoncer, ce président assassin et décrié s’enfuit à l’étranger en hélicoptère.
Après une période transitoire, dont on retiendra les référendums populaires qui donnent aux dirigeants le mandat clair d’une réforme profonde des institutions et de récupération des ressources naturelles du pays, Evo Morales arrive au pouvoir, porteur d’un immense espoir populaire de changement. Rapidement il entreprend l’organisartion d’une assemblée constituante et met en oeuvre son programme de nationalisations. Rapidement, mais dans le plein respect de l’ordre constitutionnel, en dialoguant avec l’opposition – qui garde une majorité au Sénat et dans les régions –, avec les entrepreneurs boliviens et les entreprises étrangères, avec les mouvements sociaux, avec les instances internationales, avec la presse.
L’opposition, propriétaire de tous les medias, lui fait une guerre systématique et déloyale. Prévoyante, et alors que le pays clamait un changment complet, elle avait fait passer une “reformette”, transformant les préfets –jusque là représentants de l’état central– en sortes de gouverneurs élus directement. Jouant sur cette opposition historique à un centralisme abusif qu’elle a elle même construit, cela lui donne une majorité des départements, même si tous ceux-ci réunis sont loin d’atteindre la moitié de la population.
Elle met des exigences sur la loi électorale pour la constituante, puis elle sabote le travail de l’assemblée. Fin 2007, le gouvernement fait aboutir la constitution quelque peu aux forceps, mais sans entrave au processus démocratique. Premier trimestre 2008, la droite régionaliste organise unilatéralement dans plusieurs départements des référendums “autonomistes” (quasi sessessionistes, en fait), qu’elle gagne par absence de l’officialisme. Pour la constitution, son slogan est “majorité = dictature, 2/3 = démocratie”, évocant la forme de vote qu’elle exigeait. Pour les “status autonomiques”, pas de problème à ce qu’ils soient rédigés hors de toute instance élue, et largement méconnus du public.
On finissait alors par croire à ce que nous assénait constamment la presse : que si une élection avait lieu, Evo Morales n’aurait plus que l’ombre du soutien initial. Pourant, l’opposition refusait obstinément l’idée d’un référendum révocatoire de mi mandat pour le président, le vice président et les préfets élus. Mais quand cette consultation a finalement eu lieu, elle est déjà sans appel : plus de 67% des boliviennes et boliviens ratifient Evo Morales et Alvaro García Linera. Le soir même, Costas, le préfet de Santa Cruz, traite Evo Morales de “dictateur” et de “macaque”.
Peut être par réflexe de bête blessée, en septembre 2008 l’opposition tente sa dernière cartouche d’un coup d’état violent, appelant à l’insurrection, se vantant à la télévision d’attentats contre un oléoducs et autres infrastructures vitales du pays. Les paysans marchent sur les villes de l’orient riche en pétrole et bétail. Les fonctionnaires publics voient, impuissants, les vandales détruire les infrastructures publiques. Les policiers respectent scrupuleusement l’ordre de ne pas répondre aux provocations et, se faisant eux mêmes frapper et au risque de leur vie, ils ne tirent pas un seul coup de feu.
Le crime a lieu à Pando, en ce troisième 11 septembre, des milices et paramilitaires liés à la préfecture de ce département isolé dans la jungle tendent une embuscade à une colonne de gens du peuple venant défendre l’état national contre l’insurrection putchiste. Plus de 20 morts sous les balles, plus de 80 disparus, indiens ne sachant pas nager qui n’ont d’autre échapatoire que de se jetter dans un fleuve turbulent et profond au milieu de l’amazonie. Quelques mois après, un rapport d’enquête internationale de l’Unasur et du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme de l’ONU conclut qu’il s’est agi d’une tuerie, d’un crime contre l’humatiné relevant de la justice ordinaire.
Et voilà qu’aujourd’hui, ayant négocié pas à pas avec une opposition malhonnête et déloyale tout au long d’un chemin de croix démocratique pour aboutir aux premières élections générales de l’État Plurinational de Bolivie, Evo Morales et son équipe sont réélus avec plus de 63% des voix jusqu’en 2015. Une victoire franche, plusieurs départements de la “media luna” rejoignent la majorité d’un gouvernement pluriel et de dialogue. Un gouvernement qui s’acharne à démontrer qu’une autre Bolivie est possible, une Bolivie qui déjà dit haut et fort au monde qu’un autre monde est possible.
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Ayant participé pendant ces deux dernières années, avec ma petite goutte de labeur et de passion, aux changements qu’entreprend ce pays, je m’en sens très heureux. Et même, avouons-le, un peu fier.
Dans un pays qui hérite de 500 ans d’état colonial et de bureaucratie importée, organiser et conduire un ouvrage n’est pas chose facile. Des tas de démarches à chaque étape, et chaque démarche est une entrave. Un système construit par deux décennies de neo-libéralisme qui, sous argument "d’efficacité", réduit l’état à son plus simple appareil, le dépouillant de son devoir de servir l’intérêt général mais conservant les fils de marionettiste nécessairs au intérêts des puissants. Pourtant dans sa sagesse, le gouvernement d’Evo Morales a donné consigne de respecter la loi et la règle. On changera cela peu à peu, démocratiquement et légalement.
Cela peut être exaspérant pour qui attend des changements plus radicaux. C’est surtout injuste pour qui espère simplement l’équité et la justice sociale. Mais la tactique est claire : face à la violence, la paix, face aux fantaisistes accusations de limitations de liberté, patience et respect scrupuleux de la règle, même sous les insultes et le mépris. Quand on y regarde de près, simultannément aux immenses changements entrepris et malgré les innombrables entraves, ce premier mandat d’Evo Morales est sans doute l’une des plus longues périodes de stabilité du pays depuis des siècles.
Nous sommes ainsi plusieurs, venus spontannément et individuellement soutenir cette révolution démocratique. Venus comme les birgades internationales étaient venues au secours de la république espagnole, menacée par le fachisme de Franco. Et nous la soutenons et l’encourageons encore.
L’heure n’est pas au “bilan”, l’heure est à l’engagement, sachant simplement que cette fois-ci nous n’avons plus droit à l’erreur. Ce premier mandat, où l’opposition fait tout ce qui est permis (et ce qui ne l’est pas) pour tenter de renverser ou faire échouer un gouvernement populaire, cette phase de processus constitutionnel, ont donné à ce mouvement sa pleine légitimité institutionnelle et un deuxième mandat franc. C’est mainteant qu’il faudra montrer la capacité de construire un appareil d’état juste et efficace, pour mettre en oeuvre les règles et les projets démocratiquement établis.
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Dans tout ceci, alors, comment peut-on parler “d’être décu” ? Pourquoi ce mot incongru à la fin du titre de ces lignes-ci ? Eh bien c’est simple : dans un article du JDD, je me retrouve avec trois autres “expatriés” comme l’un des “décus de Evo Morales”.
Après avoir pris soin de parler explicitement avec chacun, j’informe ici que ni Victor Roldán, ni Hervé do Alto, ni Louca Lerch, ni moi-même ne nous considérons comme des “décus d’Evo Morales”. C’est à dire qu’AUCUNE des quatre personnes qui sont interviewvées, ne se sentent en quoi que reflétées dans le titre de l’article. 100%, la TOTALITÉ des personnes citées, considrent leur propos trahis par le titre et par le contenu de cet article mensonger du JDD. Un “attentat idéologique”, me disait Víctor scandalisé, le seul des quatre que je ne connaissais pas jusqu’à ce matin, où je l’ai appelé pour lui demander son avis.
Qu’on le dise et qu’on le répète : AUCUN D’ENTRE NOUS N’EST UN DECU D’EVO MORALES. Et plusieurs, au contraire, nous nous considèrons comme de fervents défenseurs et supporters de cette révolution démocratique. Même si les citations sont exactes, elles sont à un tel point sorties de leur contexte et absolument contraires à l’essence de notre pensée, qu’elles constituent des mensonge éhontés et déloyaux.
Vous venez de me lire au sujet de la Bolivie. De plus de deux heures d’interview sur le même ton et avec un contenu similaire, Jean-Baptiste et Julie Mouttet, les deux pigistes en vacances (qui ne parlent pas un traître mot d’espagnol, moins encore d’Aymara ou de Quechua) ne retiennent que trois mots : “une bureaucratie crasse”.
Oui, j’ai probablement dit ces mots. Mais je parlais de la bureaucratie héritée de 500 ans d’état colonial, qui malheureusement sévit encore.
Les systèmes corrompus sont en fait les plus bureaucratiques. Il y a plétore de règles inutiles et contradictores. En fait, dans un système corrompu, la règle n’a pas de solution viable. La seule manière de résoudre les choses, c’est de sortir de la règle, par la corruption justement. Et une des immenses difficultés de la situation actuelle, c’est que des fontionnaires intègres, révolutionnaires, et souvent peu formés, ont le souci et l’instruction d’appliquer cette même règle. Ce système n’ayant pas de solution, et face une lutte drastique contre la corruption, les choses ne se font pas, ou se font moins. Et c’est bien difficile de faire comprendre et faire valoir qu’aujourd’hui ce qu’il faut appliquer en premier lieu, c’est la nouvelle Constitution, approuvée par plus de 62% du vote populaire.
Sortir de leur contexte ces trois mots : “une bureaucratie crasse”, c’est de la malhonnêteté pure et simple.
Comment sommes nous tombés dans ce piège grossier ? Avant le rendez-vous, j’avais demandé : “si c’est pour faire un article qui casse du sucre sur Evo Morales, c’est pas la peine, je refuse l’interview”. “Oh ! Non, pas du tout ! D’ailleurs en géneral on travaille surtout pour Politis”. “On a fait l’école de journalisme”. Et tout un tas d’arguties du même genre pour gagner la confiance.
Même, une fois la pige publiée, ils essaient de passer pour les gentils naïfs : “Nous avons été aussi étonnés que vous en le lisant puisque notre titre était : "Bolivie : le bilan positif mais désillusionné des expatriés".” Leur texte initial est certes un peu moins grossier, mais à peine. Je ne me sens pas non plus “desillusiónné”, je ne me reconnais aucunement dans ce terme "d’expatrié", et les quelques citations coupées sont tout aussi tendentieuses, décontextualisées et malhonnêtes.
In fine, la tactique derrière leurs questions insistantes est claire comme de l’eau de roche. Les deux pigistes apprentis de la presse de vendeur d’armes, Jean-Baptiste et Julie Mouttet, avaient en fait une commande de la rédaction du JDD : trouver les “expats” décus (ou “desillusionnés”) de Evo Morales. De préférence quelques gauchos un peu ringard, histoire de continuer de conclure à “la fin de l’histoire”.
Ils les cherchent, mais ne les trouvent pas. Et l’article est pour ce dimanche. Alors tant pis pour la déontologie —faut bien bouffer—, on découpe quelques mots qui vont bien pour que la pige réponde à la commande. D’ailleurs, ils le disent eux-mêms, en réponse à mes protestations : “Nous ne pensons avoir déformé tes propos, nous les avons seulement sélectionnés en fonction de nos besoins dans l’article.” Édifiant.... Maintenant, la “déontologie”, c’est comme jadis le droit d’auteur (lorsqu’on ne le confondait pas avec les oxymorons de la “propriété intéllectuelle”) : ca porte sur la forme, pas sur le fond.
Dimanche, dans le “forum” de l’article, je tente de poster une réaction : “Je suis l’un des interviewvés de cet article, qui est un tas de mensonges, et j’exige un droit de réponse, au moins aussi long. La Bolivie effectue actuellement un changement profond, avec une nouvelle constitution, laÏque et plurinationale, plus de justice sociale, etc. Contre insultes, mensonges, tentatives coups d’état, rascisme et violence, elle maintient paix, démocratie, et libertés.”
Le JDD s’en fout. Même envoyé aux deux pigistes et dans l’espace “abus” du site du torchon, histoire qu’ils puissent vérifier que j’en suis la source, pas de réponse. Un seul commentaire via “3615 Claire” ensence l’article : “Très bon article, bien renseigné et bien argumenté, merci”. Mardi suivant, alors l’article n’est plus en homepage, s’ajoute un deuxième commentaire, un peu contestataire histoire de faire polémique, mais toujours ignorant allégrement la malhonnêteté journalistique des procédés. Non content de pervertir la vérité, le JDD a la malhonnêteté de refuser un droit de réponse et le mépris de ne même pas y répondre.
Il y a quelques mois, un article dans le Diplo soulignait les ravages de l’absence d’investigation dans la presse d’aujourd’hui. Les journalistes sont évalués à l’abondance, à la réguliarité et surtout à “l’audience” de leur production – même s’il ne s’agit que de strip tease de blogeur – et non pas sur leur capacité et le sérieux de leur investigation, pilier du journalisme comme quatrième pouvoir s’il en est. Mais c’est peut être bien moins et bien pire que cela : quelle est la proportion du contenu de la presse qui n’est qu’un mensonge éhonté, construit selon un procédé où la conclusion conforme aux intérêts suprêmes des patrons du journal est posée d’avance, et dans laquelle il s’agit, coûte que coûte, contre tout critère d’étique et d’honnêteté, de trouver les justifications qui serviront ces intérêts ?
On peut même se demander quel besoin ils ont de payer des pigistes, quel besoin ils ont d’interviewver des vraies personnes, quelle différence il y a à tout simplement tout inventer ? Le risque d’un procès en diffamation ? Non, ne me faites pas rire...
Peut-être ces justifications sont-elles du même ordre que celles qui conduisaient l’inquisition – et qui conduit encore plus d’un pouvoir fascsite – à chercher coûte que coûte “des aveux”. Même obtenus sous la torture, même construits de toute pièce par des conjonctures de piège plutôt que d’investigation et d’intime conviction de juges impartiaux, des aveux et des preuves restent importants pour les aspirants maîtres du monde qui confondent la vérité et le théâtre de leurs mensonges. Étrange espèce humaine...