Nous étions entourés d’hommes en noir, capuche et écharpe leur servant à se couvrir le visage

Témoignage publié sur le blog de Guy Birenbaum. 16 octobre 2010

Comme des millions de français, je suis allé manifester le samedi 16 octobre en compagnies de trois amis. Après avoir rejoint le cortège à Bastille, nous nous somme dirigés en compagnie de la foule compacte vers Nation. Dans la rue, l’ambiance était bon enfant, familiale et la présence policière se faisait à peine remarquer.
Arrivés Place de la Nation, les appels à la dispersion se sont multipliés et  nous avons décidés de rester là un moment, à chanter, en mangeant un “frites-merguez” avec les chars immobilisé. Nous n’étions pas pressés.

Une trentaine de minutes plus tard, nous avons vu une banderole qui faisait deux fois le tour de la Place, entrainant dans son sillage au moins trois cents personnes. Nous avons décidé de la suivre. Nous savions que cette manifestation était illégale, mais nous savions tout autant que des actions ciblées comme celles qui avaient eu lieu à la Gare d’Austerlitz, la semaine précédente, pouvaient avoir un très grand impact médiatique.

Ce jour là, j’étais particulièrement remonté. La veille, un jeune d’un lycée voisin s’était fait abimer l’œil par un tir de flash-ball.
Je ne pense pas que beaucoup de personnes étaient dans un esprit de “casse” sur le chemin qui nous menait de Nation à Bastille. Peut-être deux ou trois personnes, au plus. Sur trois cents personnes, ce n’est vraiment pas beaucoup. Par contre, on voulait faire du bruit, ça c’est sûr. Nous avons donc remonté la rue en criant  “Paris, debout, soulève-toi !” et  “Montreuil, œil pour œil !”.
Je connais ce genre de manifestation où les manifestants jouent “au chat et à la souris” avec la police. Souvent deux ou trois poubelles sont renversées et les CRS nous bloquent immédiatement et nous dispersent par la suite.

Ce samedi, j’ai tout de suite senti que c’était différent. Tout d’abord,  aucun CRS en vue. Certes, nous avions remonté le trajet initial de la manif mais ce n’était pas une grande surprise. La semaine précédente, la même stratégie avait été adoptée avec la même banderole ouvrant le chemin : “Face au gouvernement, bloquons l’économie !”.
Nous étions entourés d’hommes en noir, capuche et écharpe leur servant à se couvrir le visage. Je me suis dit un moment que cette manif était très bien organisée, les personnes qui semblaient les plus “énervées”, se situant aux endroits qui sont les plus dangereux dans ce type d’action, à l’arrière et sur les côtés.

C’est à ce moment là que ça a commencé à dégénérer. La vitrine d’une banque a été défoncée par un “casseur ” en toute impunité jusqu’à ce qu’une personne  âgée intervienne. Sur le moment, je me suis dit que ce “casseur” avait eu beaucoup de chances de trouver un plot juste devant la banque et qu’il était bien inconscient de s’attaquer à une banque seule de cette manière. Mais bon, la présence policière étant invisible, pourquoi pas après tout…
Je ne pense pas qu’on faisait vraiment peur et personne ne l’a relevé. Si on était vraiment les 300 casseurs saccageant le centre de Paris tel qu’on nous a présentés plus tard dans les médias, je ne crois vraiment pas que la personne âgée serait intervenue.

Je me suis approché de la vitrine pour éviter que ce la dégénère car j’avais vu de loin la personne âgée se faire prendre à parti. Mais un mystérieux individu avec une matraque nous a dit de dégager et qu’il n’y avait rien à voir. C’est le même homme que l’on voit mettre un coup de pied par derrière sur la vidéo de Reuters.

Ndgb Il s’agit de cette vidéo…

Je suis sûr que c’était un flic, il avait la même façon de parler et les mêmes mouvements. J’ai cherché du regard si le mec qui avait cassé la vitrine se faisait interpeller mais je n’ai rien vu. Pas d’interpellation, rien.

Sur le moment, c’est allé super vite et j’ai arrêté de me poser des questions.

J’me suis dit qu’il fallait que je m’en aille. J’aurais dû partir à ce moment là, mais ça faisait longtemps que je n’avais pas participé à une manif. Un mec s’était fait tirer dessus au flash-ball à côté de chez moi et j’avais envie de poursuivre l’action, d’autant plus que j’avais de grandes chances de me faire interpeller si je quittais la masse informe qui se dirigeait vers l’Opéra.

Nous sommes entrés dans l’Opéra où se déroulait une émission de radio, mais nous sommes sortis rapidement  car tout le monde sentait que c’était un piège et qu’on était en train de s’offrir aux flics. Mais c’était trop tard. Impossible de quitter les environs, toutes les issues de la rue étaient condamnées par des CRS.

On  est ainsi sorti de l’Opéra par une petite sortie et on a essayé de partir par un chantier car les CRS étaient de chaque côté de la rue. Mais lorsque les premiers ont atteint la sortie, ils se sont mit à crier “C’est mort demi-tour, ils sont partout” car les sorties étaient bloqués par les CRS. Une personne  a essayé d’escalader un mur qui débouchait sur les grands escaliers de Bastille mais il s’est fait directement interpeller violemment.  Tout le monde a fait marche arrière en courant. C’était un peu la panique. Lorsque l’on est revenu dans la rue, les cordons de CRS se sont rapprochés et on s’est rendu compte que l’on ne pourrait pas partir.
Un policier en capuche m’a dit de dégager et de sortir. Au moment où j’ai tenté de passer le cordon de CRS, un autre m’a dit de ne pas bouger et de “fermer ma gueule”. Il me l’a répété plusieurs fois, violemment et c’est à ce moment là qu’un collègue à lui s’est approcher et lui a glissé  discrètement “Fais attention X, on n’est pas tous seuls”. J’ai tourné la tête et j’ai vu de nombreux caméramen qui filmaient notre altercation.

Certains ont réussi à partir, la moitié environ du cortège qui se trouvait au bon endroit au bon moment. Sur le coup, je ne me faisais pas trop de souci. Quelques poubelles avaient été renversés, il y avait eu l’étrange incident de la banque (mais j’me disais que le mec avait été interpellé), mais cela ne valait pas 60 interpellations.

Ce ne sont pas les CRS qui nous ont interpelés mais les civils toujours encapuchonnés, couverts d’autocollant de manifestants.  Il devait être une cinquantaine, soit presque autant que nous. Sur le coup, ils n’ont même pas pris la peine de mettre leurs brassards de police, c’est leur chef qui 5 minutes plus tard leur a demandé de les mettre, une fois que l’on était pour la plupart contre le mur.

Serflex aux mains, tête contre le mur, à chaque mot, ils nous répétaient la même phrase : “Ferme ta gueule !”. Sur le moment, j’ai été étonné mais j’me suis dit que c’était le risque de participer à une manifestation qui n’était pas autorisée par la préfecture…

Non, c’est quelques heures plus tard que j’ai vraiment été surpris,  garde à vue  pour  “dégradation de biens en bande armé”

C’était quoi ce délire ?

On a ainsi fini par être embarqués dans deux fourgons différents au bout d’une heure environ. On a été emmenés dans le commissariat du 12e où un caméraman nous a filmés menottés. Certains se sont énervés de sa présence. De mon côté, je lui ai parlé pour en savoir plus sur sa démarche. Il venait de TF1 et travaillait sur le “phénomène de bande”. On a tous éclaté de rire en l’entendant dire ça.

On nous a dispersés dans trois commissariats. Je me disais que j’allais sortir le lendemain matin. J’ai alors découvert la garde à vue.

Nous sommes arrivés environ à 1h au commissariat. J’ai fait l’erreur (de débutant) de laisser mon sweat dans mes affaires. C’était apparemment impossible de le récupérer. Pourtant, il faisait un froid pas possible dans le sous-sol du commissariat. J’ai dû atteindre que l’avocate fasse une demande officielle pour le récupérer. Jusqu’à l’interrogatoire, je n’ai pas pu dormir. Si on dormait, on se faisait réveiller  environ toute les deux heures par des questions du genre “C’est quoi ton nom ?”.

J’ai été interrogé vers 5h du matin. Vu le début de l’interrogatoire très agressif, j’ai décidé de ne rien déclarer. A chaque question , je répète en boucle la même phrase : “rien à déclarer”. Je n’ai rien fait mais les questions sont tournées de telle sorte que je me sens en danger.

La journée est passée lentement. La plupart des manifestants étaient en cellule individuelle avec le sommeil comme seule occupation mais on pouvait se parler en beuglant. On ne pouvait rien faire, les murs étaient pleins de merde et de sang. Les flics nous disaient de leur dire merci car ils avaient la gentillesse de nous rendre service en nous emmenant aux toilettes.

Lorsqu’au bout de 24h, on nous a dit que nous étions prolongés, ça a été la douche froide pour tout le monde, vu que nous pensions tous être libérés rapidement.

Les policiers nous ont dit à tous lors de l’interrogatoire que la personne âgée avait eu la mâchoire fracturée et les cervicales défoncées, que l’Opéra avait été saccagés tout comme le reste du centre de Paris. Personne ne s’était rendu compte d’une telle violence, mais ils sont arrivés tout de même à nous mettre le doute : on se disait que l’on avait peut-être pas vu ce qui s’était passé en fin de cortège, vu que nous étions tout de même assez nombreux.

Au bout de 40h, on commençait à craquer et lorsque la PJ est revenu pour nous demander à tous si nous n’avions toujours rien à déclarer, ils nous ont signalé que si cela continuait, nous allions sûrement passer dans un régime d’exception avec la possibilité de faire 96 heures de garde à vue. J’ai alors repensé à l’affaire de Tarnac et je me suis dit que c’était possible. Quand la machine d’État est lancée, difficile de l’arrêter.

J’ai ainsi repensé à toute l’argumentation du gouvernement sur la violence des casseurs et des manifestants et j’me suis dit qu’on s’était fait avoir bêtement. On nous avait dirigés dans une souricière à Bastille, on s’était fait interpeller et on allait servir d’exemple.

Putain… Si on était ces fameux “anarcho –autonomes”, jamais on aurai agi de façon aussi maladroite ! Jamais on aurait gueulé de la sorte et jamais on aurait fait deux fois le tour de Nation, histoire de rameuter tous les policiers !

Pourtant c’est le discours que j’ai entendu à la sortie de mes 48h de garde à vue.

Aux différents JT on a passé et repassé l’image de la vitrine de la banque se faisant détruire et du vieux se faisant agresser par derrière. On a dit que le centre de Paris avait été ravagé. Que l’Opéra Bastille avait été détruit ! Et enfin que les fameux “blacks blocks” avaient été interpellés.

Quel délire ! Comment une telle désinformation est-elle possible ?!

Personne ne s’est interrogé sur la totalité de la vidéo passée au JT. Les gestes de la personne à la matraque télescopique, tellement étranges, tellement éloigné sde ceux d’un casseur. Aux dernières nouvelles, il n’y a pas encore de service d’ordre chez les casseurs.

Personne ne s’est interrogé sur la réalité de ces “anarcho-autonome”. Je suis étudiant et animateur, je n’ai jamais été interpellé pour quelques motifs que ce soit et la plupart des personnes qui étaient avec moi sont dans le même cas !

Personne ne s’est interrogé sur la réalité des destructions. Aucun journaliste n’est entré à l’Opéra après notre action, les CRS en interdisaient l’accès sous le motif qu’il avait été “ravagé”. Pourtant, aucune dégradation n’a eu lieu, il suffit de demander au personnel sur place !

Les médias ont ressorti exactement le même discours que j’ai entendu au commissariat et j’ai été profondément  choqué !

À quand une enquête sur le comportement des policiers en civils qui “chauffent” depuis des années  les manifestations ?

En ces temps où le mouvement syndical commence à se disloquer sous la violence des casseurs, en cette période où le gouvernement cherche à discréditer le mouvement avec ces violences , n’y aurait-il pas matière à approfondir ?

Pourquoi  y avait-il tant de caméras au moment de notre interpellation ?

Pourquoi TF1 était présent au commissariat au moment de la notification de notre garde à vue ?

Pourquoi personne ne s’est interrogé sur la réalité des destructions ?

Finalement, c’est avec énervement que l’on nous  a dit que nous étions relâchés.

Ils nous ont  mis dehors sans nous nous laisser le temps de nous rhabiller, de remettre nos lacets et nos ceintures.

Aujourd’hui, plusieurs manifestants sont passés en comparution immédiate et j’ai entendu les premières interrogations vis-à-vis du discours officiel…

“Tiens, c’est étonnant, les casseurs n’ont pas le profil décrit par le gouvernement”…

Je risque de la prison ferme et je suis suspendu à la décision du procureur de me poursuivre ou non.

Je suis davantage atterré par le manque de distance des médias vis-à-vis du discours officiel que par la peine que j’encoure.

Puisse ce témoignage rétablir quelques vérités…

 

Ndgb : J’ai choisi de mettre quelques passages en gras. Je tiens les coordonnées de ce garçon à la disposition des journalistes qui souhaitent enquêter. Pour ma part, je n’ai rien vérifié, je lui ai simplement donner la possibilité de s’exprimer et de donner sa version.


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Dernière mise à jour de cette page le 24/10/2010

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