Le gouvernement engage aujourd'hui le projet d'ouverture à la concurrence des barrages. Une cinquantaine d'ouvrages sont concernés par la procédure d’appels d’offres d'ici à 2015. Etat des lieux du chambardement hydroélectrique, en 6 questions.
Pourquoi est-ce un enjeu important pour les industriels ?
Attribuées pour une durée de 75 ans depuis... 1920, les quelque 400 concessions hydroélectriques du pays arrivent à expiration. Une poule aux œufs d'or pour les industriels qui les exploitent : les investissements sont en effet déjà largement amortis. A Génissiat par exemple, le plus gros barrage de l’Hexagone, chacune des six turbines rapporte 4000 euros par heure et produit 60 à 70 MWh d’électricité (le prix de vente moyen de l’électricité se situant autour de 55 euros le MWh). Or le coût de production, lui, se situe 20 euros par MWh, soit 1400 euros maximum par turbine. Le calcul est des plus rapide : chaque heure GDF Suez dispose d’une marge substantielle.
A partir d’aujourd’hui néanmoins, l'eldorado hydroélectrique va progressivement être soumis à la concurrence. De quoi offrir des marges copieuses à de nouveaux concessionnaires, qui remporteront le gros lot pour 30 à 40 ans. Une première grappe d’une cinquantaine de barrages a été rassemblée dans dix concessions, qui seront remises en jeu d'ici à 2015. Il faudra compter cinq ans entre la réalisation d'un dossier de fin de concession par l'exploitant actuel d'un ouvrage et l'arrivée d'un nouveau concessionnaire.
L’Etat est propriétaire
Les barrages sont une délégation de service public. Le cahier des charges confie de larges prérogatives au concessionnaire, qui procède aux différents aménagements pour le compte de l'État. Responsable de la sécurité et la protection de l'environnement, le concessionnaire a l'obligation d'entretenir les ouvrages afin de les remettre en bon état à la fin de la concession.
Quelle capacité représentent les barrages bientôt remis en jeu ? Près de
5.3 GW soit environ 20 % de la puissance du parc hydroélectrique français. Le ministère de l’Energie a décidé de regrouper les ouvrages hydrauliquement liés dans chaque vallée. Pour cela, il a fallu anticiper le renouvellement de concession d'une quinzaine d'ouvrages de
2,3 GW au total, et définir une méthode pour dédommager l’ancien concessionnaire en cas de changement. Le dédommagement sera égal à l'actualisation de l'excédent brut d'exploitation moyen sur les cinq meilleures des sept dernières années ou sur la dernière année si celle-ci est plus avantageuse. A cela s’ajoutent
2,8 GW de concessions qui arrivent à échéance naturelle. Enfin, le ministère du Développement Durable demandera également au moins
200 MW de suréquipements.
Quels seront les premiers barrages ouverts à candidatures ? Dès 2010 pour les ouvrages de la vallée de l'Ossau (Pyrénées-Atlantique), et du Lac Mort (Alpes). Les gros morceaux tels que la vallée de la Truyère (2.014 MW), de la Dordogne (1.551 MW) et de Bissorte (882 MW), lanceront leurs appels à candidatures entre mi-2011 et mi-2012. Les concessions hydroélectriques dans les Alpes (Vallée du Drac, chaîne du Beaufortain et station de pompage de Bissorte), les Pyrénées (Vallées d'Ossau, du Louron et de la Têt) et le Massif Central (vallée de la Dordogne et de la Truyère) seront attribuées entre 2013 et 2015. (
Voir plus bas le calendrier complet)
Une source renouvelable, et réactive
L'hydroélectricité représente 12 % de la production nationale. Lorsqu'elle est associée à un réservoir (lac, barrage, etc.), elle permet un démarrage rapide et une montée jusqu'à la pleine puissance en quelques minutes. Plutôt précieux, en cas de perturbation voire d'écroulement des réseaux électriques.
Qui détient les barrages actuellement ? Sur une puissance totale concédée de
25,3 GW,
EDF exploite environ 80 % des barrages de l'Hexagone avec
20,3 GW, le reste étant essentiellement détenu par deux filiales de
GDF Suez, la
CNR (Compagnie nationale du Rhône) se voyant déléguer
3,5 GW et la
Shem (Société hydroélectrique du Midi)
900 MW. Enfin,
600 MW ont été attribués à d’
autres producteurs. Pour EDF, l'ouverture des barrages à la concurrence constitue un enjeu clef. Grâce à ce processus, GDF Suez espère disposer de 4 à 4,5 GW de capacités hydrauliques d'ici à 2013, contre 3,7 aujourd'hui.
Qui sont les nouveaux entrants potentiels ? Le renouvellement des concessions suscite la convoitise de poids-lourds étrangers comme le norvégien
Statkraft, qui exploite déjà 225 centrales hydrauliques en Norvège, en Suède, en Allemagne, en Finlande et au Royaume-Uni, l'allemand
E.ON, qui a pour objectif de produire 36%d’électricité issue de sources renouvelables en 2030, ou l'italien
Enel. Le suisse
Alpiq, qui s’est déclaré candidat par voie de communiqué, exploite en Suisse, en France et en Italie une trentaine d'ouvrages, pour la plupart de très grande taille, pour plus de 2.800 MW de puissance installée. En complément des projets de centrales à cycle combiné gaz qu'il développe en France, de sa présence dans l'éolien et la petite hydraulique qui correspondent à des volumes d'investissements très significatifs, le renouvellement des concessions hydroélectriques constitue pour le groupe une belle opportunité.
Egalement intéressé, l’autrichien
Verbund, actionnaire à 48% du français
Poweo, a récupéré, en 2008, treize barrages allemands d’une puissance de 312MW, propriétés d’E.ON. Le fournisseur d'électricité alternatif
Direct Energie lui emboîte le pas. Menant des projets dans la biomasse, le photovoltaïque, l’éolien offshore et on shore pour plusieurs centaines de MW, il possède et gère 5 petites centrales hydroélectriques de moins de 10 MW également, et compte sur deux futures centrales à gaz à cycle combiné de 800 MW chacune. Plus discrets, l’espagnol
Iberdrola et l’allemand
Vattenfall sont également sur les rangs, tout comme à son échelle le petit
Maïa Power.
Pourquoi plafonner la redevance ?
Pour des raisons historiques, ni les barrages d’EDF ni ceux de la Shem ne paient de redevance à l'Etat : seuls des ouvrages gérés par la CNR s’en acquittent à hauteur de 24 % de leurs revenus. Le vote de la loi Grenelle 2, début mai, va changer la donne. Le niveau de cette redevance, proportionnelle au chiffre d'affaires de l'ouvrage, sera défini vallée par vallée et réparti à 50/50 entre l'Etat et les collectivités locales.
Afin de sélectionner les nouveaux concessionnaires, l'Etat tiendra compte de leurs propositions en matière d'environnement, d'efficacité énergétique et de redevance. Reste que cette redevance sera plafonnée afin d'éviter de donner trop de poids au critère financier. Une idée défendue par les exploitants historiques EDF et GDF Suez : pour les nouveaux candidats attirés par les concessions arrivant à expiration, il serait trop facile de promettre des niveaux de redevance juteux à même de remplir les caisses vides de l'Etat, afin de gagner les prochains appels d'offre... et de rogner ensuite sur la maintenance et la sécurité. La mesure va probablement se traduire par un alignement de tous les candidats sur le plafond choisi. GdF Suez souhaite que ce plafond ne dépasse pas 30% du chiffre d’affaires. Il se situerait, in fine, autour de 25%.