Politis. Le 10 Septembre 2010 par Sébastien Fontenelle
Les mecs se pointent, et disent au directeur de la banque : nous allons maintenant passer parmi toi, et tu vas nous donner tous ces dollars que tu gardes sottement sous ton fauteuil massant.
Le directeur, admirablement concentré, leur fait savoir qu’en échange de sa pleine et entière coopération, il aimerait bien qu’on ne tire pas sur sa clientèle, et en même temps qu’il parle, qu’est-ce qu’il fait ?
Il appuie sur le bouton vert qui fait sonner l’alarme au commissariat du 87e District (ou chez Bush & Rumsfeld Security, mais le résultat est le même), et cinq minutes après la banque est cernée, t’as cent vingt police cars en vrac dans les rues alentour et du tireur d’élite positionné sur les hauteurs par lots de quinze, mais voilà : aucun des braqueurs n’a l’intention de faire sa reddition, ils se proposeraient plutôt d’abattre un otage toutes les dix secondes, si on ne leur procure pas vite fait un avion à leur nom, avec le plein d’essence et un film un peu bien - pas un de ces vieux trucs anxiogènes où Charlton Heston choisit toujours le mauvais Boeing-, histoire qu’ils trouvent le temps moins long durant qu’ils voleront vers Acapulco, avec le fric aux soutes.
Bon, que fait la police ?
La police appelle Kevin Spacey.
Le Négociateur, avec un grand « N ».
Que fait le Négociateur ?
Il passe aux mecs le rude message qu’il veut bien leur faire livrer quelques doughnuts, mais qu’à la fin des fins ils vont prendre si cher, qu’il préfère ne pas y penser, vu que ça lui gâcherait sa digestion : tu vois ce point rouge, Telly, juste sur tes couilles ?
C’est la visée laser du capitaine Collateral, dont le score en Irak,circa 1991, tient sur quinze annuaires tassés.
Issue : les mecs se rendent, sauf Telly, naturellement, qui a toujours eu cette propension à faire le mariolle, et qui a l’air un peu con, avec ses balles dans les couilles.
Prenons maintenant un autre cas de figure, où d’autres pilleurs se pointent, et disent à Lucienne Dupont, qui vient de cotiser pendant quarante ans, qu’elle ne prendra finalement pas du tout sa retraite mardi prochain, comme elle avait d’abord prévu, mais en juin 2045.
Fort bien, répond Lucienne, qui a senti qu’elle avait là des fanatiques - et hop, elle appuie sur le bouton jaune qui fait sonner l’alarme boulevard de la Villette (75019, Paris), au siège de la CFDT.
(Pauvre, pauvre, pauvre Lucienne.)
Que fait la CFDT ?
La CFDT envoie Kevin Chérèque et son fidèle second, Bernard Thibault.
(PAUVRE, PAUVRE, PAUVRE LUCIENNE.)
La suite nous est narrée par Kevin Joffrin, hier, dans Libération :« Il y a décidément quelque chose de changé dans le monde syndical » [1].
En effet : « Officiellement, nous sommes », pour ce qui relève de l’assaut lancé contre des millions de pensionné(e)s par l’un des plus dangereux gangs de l’histoire du capitalisme, « dans un bras de fer » entre, d’une part, « le gouvernement », et d’autre part« les syndicats ».
Mais « en fait, la négociation continue » - étant rappelé qu’elle n’est pas du tout conduite par Kevin Spacey, qui a du goulot, mais par Kevin Chérèque et Bernard Thibault, qui sont moins pugnaces.
Et en effet (bis), Heckle & Jeckle pourraient fort bien faire ce qui généralement se fait, en de si tendus cas : on bloque tout, et au trentième jour de grève totale on prévient les trancheurs de pensions qu’ils vont en reprendre pour trente looooongues journées au moins, s’ils ne sortent pas de Matignon en levant très haut les mains - plus haut, les mains -, et pas de mouvements brusques, s’il vous plaît, ça serait dommage qu’on doive encore annuler tous ces vols.
Mais nos deux animateurs sont d’époque : ils ont tellement lu de rédactions d’Alain Duhamel, qu’ils prévoient « une nouvelle manifestation nationale, appuyée par une grève d’une journée », raconte Kevin Joffrin, qui relève - bien vu, Kevin - que ces deux-là ont très ostensiblement fait le choix de ne guère (du tout)« dramatiser l’affrontement ».
Matignon retentit de joyeux ris (François, redis-nous celle de la nouvelle journée de mobilisation ; arrête, Éric, je vais me pisser dessus), la pauvre, pauvre Lucienne salue ses collègues (mais Lucienne, t’étais pas en retraite ?), et finalement Kevin Joffrin, que tant d’urbanité ravit, se met en pâmoison : « Par des voies indirectes - et bien françaises -, sous le couvert d’un langage qui reste rude, un syndicalisme de négociation se substitue progressivement au syndicalisme de protestation ».
Ite missa est.
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