Paris Match. Le 22 Juin 2011 par Caroline Fontaine (publié par Marie)
Modifier génétiquement les plantes pour les protéger des mauvaises herbes et des insectes,c’est la méthode adoptée de plus en plus par de nombreux agriculteurs. Résultat : maïs, viandes, produits laitiers... contiennent des protéines potentiellement mortelles.
L’industrie OGM a de gros moyens et ses adversaires dénoncent : campagnes de publicité et de communication, noyautage de groupes agricoles et industriels, débauchage d’experts chargés d’évaluer les OGM, financement de chercheurs, pressions sur les politiques, voyages offerts… voire promotion dans les écoles ! En 2008, le sénateur UMP de la Manche Jean-François Le Grand, alors président de la Haute Autorité sur les OGM, et au départ plutôt favorable, recommande l’interdiction du MON810 (un maïs OGM). Dans une lettre ouverte, il pointe « l’influence » du lobby des semenciers et leur « force de frappe », qualifiée de « phénoménale ».
Le film de Marie-Monique Robin « Le monde selon Monsanto » diffusé sur Arte et vendu en DVD a dénoncé les relations troubles entre les producteurs d’OGM et les agences publiques chargées d’évaluer les risques liés à la chaîne alimentaire et donc à ces OGM. En Europe, c’est sur les avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) que s’appuient les décisions de l’Union et des Etats membres. Créée au lendemain de la crise de la vache folle et du poulet à la dioxine, cette institution devait permettre de séparer l’expertise de la décision politique et garantir ainsi des avis indépendants. Sur le dossier OGM, c’est désormais de l’inverse qu’on la soupçonne.
Septembre 2010. José Bové accuse Diana Banati de « conflit d’intérêts » : présidente du conseil d’administration de l’Efsa, elle siège également à la direction de l’International Life Sciences Institute (Ilsi), une organisation d’industriels de l’agroalimentaire actifs dans les OGM. Elle démissionne de ce poste mais est reconduite, malgré le tollé, à la tête de l’Efsa. Corinne Lepage et José Bové s’indignent : « L’Efsa se comporte comme un clan qui tente de protéger un des siens. » Sans effet. D’autres autorités publiques, chargées de donner des avis sur des médicaments (Mediator...), des aliments, sont soupçonnées de liens incestueux.
Comme l’Efsa n’a pas les moyens de financer elle-même ses recherches, elle est accusée de s’appuyer sur les articles scientifiques disponibles. Les dossiers fournis par les industriels seraient incomplets pour cause de... secret de fabrication !
Paris Match. Pourquoi recourir aux OGM* ?
Yann Fichet. Les potentialités de cette technologie n’ont pas fini d’être exploitées. Par exemple, le maïs 810 se défend lui-même des insectes ravageurs qui détruisent la plante. C’est une alternative aux traitements chimiques.
Selon de nombreux scientifiques, les modifications génétiques seraient très dangereuses pour la santé.
Quand on invente un produit, à partir de quand peut-on être certain de sa sûreté absolue ? La transgenèse exige des autorisations de mise sur le marché. Etudes et dossiers sont soumis à l’autorité d’experts – médecins, toxicologues, environnementalistes… – qui disent s’il y a un risque. Le maïs BT qui est autorisé en Europe (mais suspendu en France) a été examiné plus de trente fois. Les experts ont conclu à l’absence de risques.
Les OGM ne seraient pas dangereux ?
Je ne peux pas généraliser. Mais ceux qui sont cultivés ont reçu les autorisations de mise sur le marché.
Certaines expertises sont contestées. L’Union européenne veut les renforcer.
Il y a eu deux directives européennes, un règlement… Et on voudrait en rajouter ! Les OGM existent depuis trente ans. Ils sont cultivés depuis 1996, et consommés sans problèmes avérés. Aujourd’hui, la connaissance scientifique offre de nouveaux moyens de comprendre le fonctionnement des cellules et d’identifier les modifications génétiques. Nous travaillons pour des agriculteurs du monde entier. Ils ont des besoins : selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la production vivrière devra croître de plus de 70 % d’ici à 2050 pour nourrir une population estimée à 9 milliards de personnes.
Selon la FAO, les OGM ne permettront pas de résoudre seuls la pénurie alimentaire.
C’est vrai. Il faut utiliser différents moyens : les OGM, les engrais, les outils de production, les infrastructures pour accéder au marché. Mais les agriculteurs doivent avoir le choix des moyens. Nous avons pris l’engagement de doubler le rendement du maïs, des oléagineux (colza, soja) et du coton tout en utilisant un tiers d’entrants en moins, c’est-à-dire moins d’énergie, moins d’eau, moins de pesticides… et surtout moins de sols. Nous travaillons aussi sur des plantes qui résisteront au stress hydrique.
Plus de 90 % de la production d’OGM est pourtant destinée à résister à un herbicide ou à un insecte !
En effet, les agriculteurs veulent des semences résistant aux insectes, et plus seulement un trait d’OGM, mais deux ou trois. Pour preuve, les surfaces cultivées en OGM continuent d’augmenter : plus 10 % entre 2009 et 2010.
Mais, à force, les OGM résistent de moins en moins...
Non. Protéger la plante donne l’assurance d’une bonne récolte. Aux Etats-Unis, les compagnies d’assurances protégeant des mauvaises récoltes ont réduit les cotisations pour les agriculteurs qui sement des plantes avec ces trois gènes différents.
Pourtant, les mauvaises herbes résistent de plus en plus aux OGM et mettent à mal les rendements. Ainsi, aux Etats-Unis, les agriculteurs doivent revenir à des outils manuels pour éliminer “l’herbe à cochon” !
Avec l’apparition des produits chimiques, de nouvelles résistances sont apparues, Les premières, contre le Roundup (créé en 1974), datent de 1995. Ce produit est le plus utilisé au monde pour le désherbage. Pour déjouer les résistances, on alterne par exemple des cultures différentes qui ne sélectionnent pas les mêmes types de mauvaises herbes…
Vous dites que les OGM permettent d’augmenter le rendement, or beaucoup d’études vous contredisent.
A la limite, je ne devrais même pas avoir à répondre. Les agriculteurs veulent des OGM. Leurs rendements et leurs revenus ont augmenté. Ils doivent avoir le choix.
Justement, aux Etats-Unis, ils n’ont plus le choix de revenir en arrière. Pour certaines plantes, il n’existe plus de semences non OGM.
C’est faux. Il existe des semences sans OGM. Les sociétés semencières en ont dans leurs réserves.
Mais Monsanto est dans une situation de quasi-monopole : 80 % des OGM vendus par les semenciers américains le sont sous son brevet.
Il y a beaucoup de variétés de semences. Entre 200 et 300, rien que pour le maïs en France ! En ce qui concerne les outils OGM, Monsanto a mis au point des “traits OGM” qui sont mis à disposition, selon des accords commerciaux, de tous les semenciers. Ils vendent alors leur propre semence avec un trait de Monsanto s’ils le souhaitent.
La plupart des OGM ont été créés pour être compatibles avec votre Roundup. Or, selon de nombreuses études, c’est un produit cancérigène.
C’est un peu la même problématique que pour les OGM. La matière active du Roundup est un produit chimique. Il existe une réglementation. On doit soumettre à l’autorité compétente nos études sur les risques. Et, tous les dix ans, on réexamine le produit en fonction de l’évolution de la connaissance scientifique.
Mais ce ne sont pas les réglementations qui déterminent la dangerosité d’un produit !
Si on respecte les modes d’emploi, il n’y a pas de danger.
Mais il est désormais présent partout, dans toutes les eaux du monde, y compris celle du robinet !
Oui, c’est vrai. Notre profession fait de grands efforts pour expliquer qu’il ne faut pas l’utiliser près de cours d’eau. C’est écrit sur l’étiquette. Mais ces traces dans l’eau ne sont pas, a priori, dangereuses pour l’environnement. Grâce aux processus de traitement de l’eau et à la dégradation de la matière active, on ne retrouve pas de principe actif dans l’eau du robinet.
D’autres études lient l’augmentation des allergies aux OGM.
C’est la stratégie du bouc émissaire. Monsanto porte l’image d’une société américaine sur laquelle on fait des films et des livres qui rapportent gros. Il n’y a pas de culture du secret : je réponds à vos questions aujourd’hui, et nos résultats sur la sécurité de nos produits sont à la disposition des experts.
Interview Caroline Fontaine
* OGM : organisme génétiquement modifié.
Paris Match. Les OGM sont-ils dangereux pour la santé ?
Robert Bellé. Les cellules contiennent des gènes et à partir de ces gènes sont fabriquées des protéines. Introduire un gène étranger dans une cellule peut entraîner la fabrication de protéines indésirables. Or il existe des protéines, comme le prion, qui contaminent la personne qui les mange et peuvent déclencher des maladies graves – vache folle, maladie de Creutzfeldt-Jakob… On ne peut pas anticiper ces processus. Ils sont très nouveaux, encore mal connus des biologistes.
Quelle est la probabilité d’une transformation ?
Sûrement très faible. Pour l’instant, je n’ai pas connaissance d’une telle transformation avec les OGM. Mais la possibilité existe. Le mécanisme de contamination par ingestion est prouvé. Aujourd’hui, celui qui mange une plante OGM peut ingérer des protéines potentiellement dangereuses. Et plus on consomme d’OGM, plus le risque augmente.
Pour les consommateurs en France, ce risque existe-t-il ?
Les rares OGM à la vente sont étiquetés. En revanche, quand on achète de la viande ou des produits laitiers, c’est l’animal (sauf rares exceptions) qui a consommé des OGM. On peut retrouver alors des protéines indésirables dans nos assiettes. Sans le savoir.
Plus de 90 % des OGM sont créés pour résister à un herbicide – essentiellement le Roundup de Monsanto – ou pour produire leur propre insecticide. Est-ce sans risque ?
Plus de 75 % des OGM sont tolérants au Roundup. On asperge une plante non pour la tuer mais pour éliminer les mauvaises herbes autour d’elle. On va alors retrouver du Roundup dans la chaîne alimentaire puisque la plante qu’on mangera aura été traitée avec ce produit. En outre, souvent, on le pulvérise par avion ou par hélicoptère : les nuages sont emportés par les vents et vont contaminer d’autres endroits. Or ces produits sont toxiques : ils interviennent entre autres dans la division des cellules. Ils peuvent donc être potentiellement à l’origine de cancers.
C’est-à-dire ?
Le Roundup est créé à partir d’un cocktail d’éléments dont le glyphosate. On en trouve désormais dans toutes les eaux du monde, y compris celle du robinet. Dans la nature, cette molécule se dégrade en ce qu’on appelle l’acide aminométhylphosphonic (l’Ampa) encore plus toxique que le glyphosate.
Pouvez-vous le prouver ?
Que le Roundup soit toxique est une certitude, comme nous et d’autres l’avons démontré dans des publications internationales. A terme, un produit potentiellement cancérigène peut provoquer des cancers. On ne peut dire dans quelle proportion, dans combien de temps, mais on sait que cela arrivera. Ces incertitudes bénéficient aux fabricants dans la législation actuelle. Pour ces mêmes raisons, ceux du tabac ont longtemps pu nier le lien entre la cigarette et le cancer. J’ai fait des demandes de financement pour poursuivre l’étude de ces molécules. Mes projets de recherches dans ce domaine n’ont pas été acceptés, à mon grand étonnement, étant donné que ce sont des questions de santé publique traitées par des organisations publiques. Cependant de nouvelles études ont été et vont être publiées par d’autres chercheurs. Déjà en Suède, une équipe a montré que les gens exposés au Roundup déclenchaient plus de cancers que les autres, et cela seulement dix ans après l’exposition !
Que pensez-vous de la réintroduction des farines animales dans l’alimentation des animaux ?
Les dégâts sanitaires provoqués par les farines animales sont connus. Si celles-ci étaient réintroduites dans la chaîne alimentaire, il faudrait des garanties extrêmement solides de l’absence de risque. Et à tous les stades de production.
Interview Caroline Fontaine
Les semenciers OGM ont déjà investi l’Amérique. Et devant les réticences des opinions publiques européennes, ils se tournent vers les pays en développement, désormais leur principal marché : 46 % des surfaces plantées en 2009 l’ont été dans ces pays, et seuls 10 % des 14 millions d’agriculteurs cultivant des OGM vivent dans des pays industrialisés. L’enjeu est crucial pour l’indépendance des agriculteurs : « L’appropriation par une poignée de compagnies des ressources génétiques des plantes est un grand danger », alerte Arnaud Apoteker (Greenpeace). Quand ils sont cultivés, les OGM dominent très vite le marché : ainsi, en Inde, le coton transgénique représente 90 % de la production du pays, neuf ans seulement après son introduction ! Aux Etats-Unis, 90 % des surfaces cultivées en soja le sont en OGM Roundup Ready, une semence de Monsanto conçue pour résister à l’herbicide du même nom. Les semences OGM sont brevetées et les agriculteurs doivent, année après année, racheter des graines. Pas question de les recycler la saison suivante. Elles sont conçues pour être vendues avec d’autres produits de la compagnie – pesticides, etc. « C’est une logique de marché captif : rendre le paysan prisonnier du semencier et de ses produits », dénonce José Bové. Quatre plantes représentent 99 % des OGM vendus : le soja (60 % de la production mondiale est OGM), le maïs (30 % de la production mondiale), le coton et le colza. Et près de 100 % des OGM commercialisés sont tolérants aux herbicides, résistants aux insectes, ou les deux. Les semenciers cherchent à mettre au point d’autres OGM, notamment le riz, céréale la plus consommée dans le monde. Le National Institute of Plant Genome Research à New Delhi annonce la création d’une pomme de terre transgénique dont la concentration en protéine est 60 % supérieure à celle de la pomme de terre. Budget de recherche et développement de Monsanto : environ 1,2 milliard de dollars. C.F.
Officiellement, les OGM concernent principalement l’alimentation animale et, en Europe, les produits destinés à la consommation humaine doivent être étiquetés « avec OGM » s’ils contiennent plus de 0,9 % d’ADN transgénique. Ces derniers sont peu nombreux, environ une trentaine – huile de soja, pop-corn, Chamallows… En dessous, l’étiquetage n’est pas obligatoire. En France, les animaux sont nourris principalement avec des plantes OGM importées ; ceux-ci se retrouvent donc dans nos assiettes sous forme de laitages, viandes, conserves, soupes, préparations pour gâteaux, viennoiseries, céréales, pâtes, purées, produits à base d’œufs, biscuits d’apéritifs, condiments, sauces « à l’agneau », « au poulet ». Même
les labels et les AOC ne garantissent pas une alimentation sans OGM. « En outre, rappelle Arnaud Apoteker, les OGM ne peuvent être mesurés partout. On ne peut les détecter dans l’huile, par exemple. Il faudrait remonter la filière jusqu’au champ pour savoir s’il est planté en OGM… » Les OGM se propagent d’un champ à l’autre et contaminent les cultures conventionnelles. Notamment dans le maïs, présent dans un quart des biens de grande consommation – céréales, huile, polenta, whisky, poulet… En 2007, le soja conventionnel au Brésil a été contaminé à hauteur de 9 % par des OGM. Malgré les strictes mesures de ségrégation entre les champs OGM et non OGM et entre les récoltes, ces transmissions ne sont pas toujours évitables : les abeilles butinent des lieux parfois éloignés, et des gènes OGM sont souvent retrouvés dans le miel. Le Japon ne cultive pas de colza. Pourtant du colza OGM a été trouvé près des ports, sans que le pays arrive à s’en débarrasser car il résiste aux herbicides. En France, ce même colza a été identifié près des voies ferrées. En 2006, Greenpeace détectait des cargaisons de riz venues des Etats-Unis et de la Chine contaminées par du riz transgénique autorisé dans aucun pays du monde. Une inévitable contamination génétique… irréversible. C.F.
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