Ce qui se passe à Fukushima est d’une gravité extrême et doit bouleverser la donne énergétique mondiale. La raison a définitivement changé de camp. L’Allemagne vient d’en prendre acte. Et en France, quelle leçon notre gouvernement a-t-il tiré de Fukushima ? Aucune ou presque.
Alors que les citoyens réclament un grand débat sur l’énergie, le président de la République a invité à déjeuner les associations qui ont participé au Grenelle de l’Environnement pour leur proposer de remettre le couvert.
Le nucléaire n’est pas un détail
La manœuvre est adroite : au prétexte de dépasser le clivage entre partisans et opposants à l’atome, on ne parlera que d’efficacité énergétique. Et pour ceux qui n’ont toujours pas compris le message, Nicolas Sarkozy s’est rendu à Gravelines pour manifester sa confiance dans le nucléaire. Les Japonais apprécieront.
Le plus incroyable, c’est que certaines ONG « écologistes » tombent dans le panneau. Nous leur laisserons le soin d’expliquer leurs motivations mais nous n’irons pas à cette table ronde, qui a tout l’air d’un Grenelle sans oser en porter pas le nom.
Ne soyons pas dupes, le nucléaire n’est pas un détail de la politique énergétique française. Il la façonne, la déforme et hypothèque toute transition. Il n’est pas possible de parler d’efficacité ou de lutte contre les gaspillages énergétiques sans parler de nucléaire. Pour au moins trois raisons :
Le nucléaire absorbe des crédits publics qui pourraient être consacrés aux économies d’énergie et au développement des énergies renouvelables. Plus de deux tiers des fonds de recherche du budget de l’État et des entreprises publiques sont aujourd’hui encore réservés au nucléaire.
Le nucléaire est incompatible avec les économies d’énergie. Comme pour un incinérateur que l’on doit bourrer de déchets, une centrale nucléaire n’est rentable que si elle tourne à plein régime, jour et nuit, pour amortir l’investissement. Alors, on pousse les ménages français à installer des radiateurs électriques pour se chauffer l’hiver, une hérésie pour tout énergéticien qui se respecte. Et un cadeau empoisonné pour les personnes les plus modestes qui voient leur facture gonfler chaque année.
Le nucléaire est symptomatique de la crise démocratique que nous traversons. Il n’y a jamais eu de débat public sur le nucléaire en France, c’est un choix qui a été décidé et imposé par un corps d’élite, les ingénieurs des Mines, niché au cœur de la République. Les mêmes qui ont tenu le stylo à Jean-Louis Borloo pour autoriser les permis d’exploration de gaz de schiste.
Monsieur le Président, nous pensons que l’heure est grave et qu’un vrai débat sur l’énergie doit s’ouvrir. Sans tabou ni faux-semblant. C’est l’ensemble de notre système économique, de nos modes de production et de consommation qu’il faut repenser en prenant enfin conscience des limites écologiques de notre planète et en replaçant l’intérêt commun avant les intérêts privés.
Le débat aura lieu !
Ce débat sur l’énergie que vous refusez, nous l’ouvrirons dès cet été. D’abord, à Notre-Dame-des-Landes, les 9-10 juillet. Àu-delà de la lutte contre le nouvel aéroport, nous débattrons d’un autre modèle d’aménagement du territoire qui privilégie les solidarités villes/campagnes plutôt que la mise en concurrence de quelques métropoles européennes, à coup d’aéroport, de ligne grande vitesse ou d’autoroute.
Puis, dans les Cévennes, les 28 et 29 août, pour un rassemblement international contre les gaz de schiste et pour une autre politique énergétique. Nous y invitons des militants des pays du Sud confrontés à l’extraction des sables bitumineux à Madagascar, au pétrole dans le delta du Niger ou encore aux plantations de palmiers à huile pour fabriquer des agrocarburants en Indonésie.
Ces rassemblements sont l’occasion d’établir des passerelles en montrant que le nucléaire, les gaz de schiste ou encore les agrocarburants relèvent de la même logique : la course à la consommation et au gaspillage énergétique.
Il n’y aura pas de petits fours, mais des idées et des alternatives pour construire des sociétés soutenables au Nord comme au Sud.
Sylvain Angerand, Les Amis de la Terre