La tribune de l'art. 28 novembre 2009
28/11/09– Patrimoine – France – Malgré le vote de deux amendements positifs à l'article 52 de la loi de finance 2010 (voir article), le Sénat a entériné hier, avant passage devant la commission mixte paritaire, la possibilité pour l'Etat de céder n'importe quel monument historique lui appartenant à toute collectivité territoriale qui en ferait la demande1.
Les deux amendements satisfaisants sont les suivants :
- la décision d'autoriser la cession revient désormais au ministère de la Culture, pas au préfet ; il a fallu cette modification, venant des sénateurs communistes, pour que le ministre de la Culture conserve un rôle dans le dispositif, alors que celui-ci était tout prêt à y renoncer2... On saluera à cette occasion l'intervention admirable de Jack Ralite qui demandait la suppression pure et simple de l'article 52. Il était bien isolé dans l'hémicycle pour défendre le patrimoine national face à un ministre qui semble avoir renoncé à toute velléité dans ce domaine.
- les monuments ne pourront être cédés qu'entièrement, et pas par partie comme cela était prévu initialement, ce qui ouvrait la voie à leur démantèlement.
Malheureusement, un autre amendement, une nouvelle fois présenté par Jack Ralite, a été repoussé, Frédéric Mitterrand et le gouvernement s'y étant d'ailleurs opposés3. Cet amendement demandait que les collectivités territoriales ne puissent pas vendre à un privé les monuments qui leur auraient été cédés.
Le gouvernement et le Sénat n'ont accepté qu'une concession : la création d'un délai de vingt ans pendant lequel toute vente d'un monument cédé devra être signalée au ministère de la Culture, qui pourra s'y opposer4.
Jack Ralite a par ailleurs souligné que la mutualisation permettait aujourd'hui de faire vivre, grâce aux rares monuments rentables, tous les autres déficitaires. La conséquence logique de cet article de loi est la suivante : pour l'essentiel, seuls les monuments rentables seront, au moins dans un premier temps, transférés aux collectivités locales, ne laissant à l'Etat que les plus coûteux. Seuls six monuments, sur les 96 appartenant au Centre des Monuments Nationaux, sont rentables. Ce seront les premiers à quitter le giron de l'Etat.
Deux chiffres, disponibles sur le rapport d'activité 2008 du CMN, permettent de comprendre l'ampleur du problème. Le Mont-Saint-Michel et Carcassonne (les remparts et le château), deux sites appartenant à l'Etat et gérés par la CMN, rapportent respectivement 7 et 2,3 millions d'euros. On sait déjà qu'ils seront réclamés par des collectivités locales5. L'Etat perdra donc les recettes correspondantes. Face à cette situation, il n'aura que trois choix : soit dépenser davantage sur son budget pour l'entretien des monuments qui lui resteront, soit les laisser s'écrouler, soit élaborer une nouvelle loi lui permettant de les vendre directement au privé.
Dans sa rédaction actuelle, ce texte met pratiquement fin à l'inaliénabilité des biens du domaine public de l'Etat. Il permet de transférer n'importe quel monument et, pourquoi pas d'ailleurs, n'importe quel musée, puisque ceux-ci sont également concernés6, aux collectivités locales. Celles-ci pourront ensuite les brader, sous prétexte de finances défaillantes. Son adoption définitive porterait un coup gravissime, un de plus, au patrimoine français. Il n'est d'ailleurs pas indifférent que sur son blog, Jean-Jacques Aillagon se prononce fermement contre cet article de loi qui, selon lui, va beaucoup trop loin. Lorsqu'il était ministre, il avait pourtant initié ce mouvement de vente (voir l'article). Nouvelle illustration de la fable de la boîte de Pandore.
1. Les débats peuvent être lus intégralement ici.
2. Le sénateur proposant cet amendement a déclaré, sur un ton ironique : « Je pensais que c'était le ministre qui donnait la décision au préfet, et pas l'inverse. »
3. Le texte exact de l'amendement était : « Ces transferts entraînent l'inaliénabilité des biens qui ne pourront faire l'objet d'une cession de la part d'une collectivité. ». Certains arguments utilisés lors du débat ont été proprement ahurissants. Ainsi, Yann Gaillard, le rapporteur spécial de la commmission des finances, s'est opposé à cet amendement en prétextant qu'il « fait peser une suspicion sur les collectivités territoriales. »
4. Garde-fou bien fragile, puisque la plupart des ministres de la Culture sont incapables de résister à leurs collègues des Finances et qu'au bout de vingt ans, plus rien ne sera contrôlé.
5. Le premier par le Syndicat Mixte Baie du Mont-Saint-Michel, le second par la région Languedoc-Roussillon.
6. Tel qu'il est rédigé, le projet de loi dit que les « établissements publics » peuvent transférer la propriété des « immeubles » et des « objets ». Même si beaucoup, y compris probablement les parlementaires, pensent qu'on ne parle ici que des monuments, les musées sont de facto compris dans le lot.
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