Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007, les commentateurs politiques les plus médiatiques jouent - jusqu’à l’excès – aux petits chevaux de la présidentielle et reproduisent les égarements du passé. Rappelons-nous qu’Edouard Balladur était en tête des sondages jusqu’en février 1995, et qu’il ne fut même pas présent au second tour en mai 1995. Souvenons-nous que Lionel Jospin était donné gagnant en 2002, puis qu’il ne fut même pas présent au second tour. Enfin, si le duel Royal-Sarkozy était dans les bouches de tous les éditorialistes plus d’un an avant le second tour de l’élection de 2007, précisons que la candidate socialiste ne l’a été que parce que des sondages l’annonçaient comme la mieux placée pour l’emporter face au candidat de l’UMP. Le choix ne s’étant pas fait sur le fond, mais simplement sur des anticipations, Ségolène Royal, et les sondologues, ont perdu.
Identique scénario allait se reproduire pour l’élection présidentielle de 2012 : Dominique Strauss-Kahn était – selon des sondages qui n’ont aucun fondement scientifique [1], à son tour, le mieux à même de faire (enfin !) gagner le Parti socialiste. Apparemment, il n’en sera rien, au grand dam des éditorialistes.
Héros du Parti socialiste
Les médias ont donc perdu leur candidat. Glosant depuis des mois sur son éventuelle candidature, les voilà orphelins. En 2006, ces mêmes médias pronostiquaient (espéraient ?) le retour de Lionel Jospin, et plus de trois cents articles avaient été rédigés sur ce thème en l’espace de quelques mois. Trois cents articles pour rien [2].
Aujourd’hui, pour Nicolas Demorand dans Libération (16 mai 2011 [3]), « les socialistes perdent le seul candidat qui avait, dans toutes les configurations possibles, la faveur des sondages. » Des sondages commandés et commentés par les médias eux-mêmes. Porté aux nues par Libération et Demorand lui-même (du temps où il officiait sur France Inter et Europe 1), Dominique Strauss-Kahn « était, selon Alain Duhamel de RTL, une chance historique pour les socialistes. Parce que son profil correspondait exceptionnellement aux circonstances. » Alain Duhamel qui, souvenons-nous en, avait « oublié » de faire un chapitre sur Ségolène Royal dans son livre sur ceux qui allaient être les futurs candidats à la présidentielle de 2007.
Pour Claude Askolovitch, sur Europe 1, « Dominique Strauss-Kahn était le leader qui était attendu par une moitié de la France à gauche et qui pouvait devenir Président de la république, donc quelqu’un qui était attendu par beaucoup de gens. » Il était, en tout cas très attendu par Askolovitch lui-même qui préparait un livre sur le directeur du FMI. Projet suspendu.
Dans son éditorial, Demorand insiste : DSK était « le plus à même de battre Nicolas Sarkozy. » Il était, pour Jean-Michel Aphatie de RTL, « celui qui pouvait incarner [le leadership] » du PS. Pour Le Figaro, « le directeur général du Fonds monétaire international était le favori pour la présidentielle de 2012 » et « favori de la primaire socialiste en vue de la présidentielle française de 2012 » selon Le Monde (17 mai). Mais favori pour qui, au fait ? Pour les commanditaires des sondages et ceux qui y croit… Le journal Les Echos, plus lucide, préfère le présenter simplement comme « le chouchou des sondages ».
Héraut de la régulation financière
« Économiste reconnu, charismatique, fin politique », selon La Tribune, « brillant, apprécié par la droite et les milieux d’affaires, estimé au-delà des frontières », pour le quotidien Libération, les journalistes économiques ne tarissent pas d’éloges Dominique Strauss-Kahn, et résument parfaitement le regard que les éditorialistes portent sur lui. Pour Les Echos, « Dominique Strauss-Kahn est une pièce maîtresse dans la gestion de la crise de la dette. » Dans La Tribune, on précise que « Dominique Strauss-Kahn a laissé jusqu’ici un bilan plutôt positif au sein du FMI ». « La foi de Dominique Strauss-Kahn dans le multilatéralisme et ses talents de négociateur en ont fait l’accoucheur de consensus mondial », claironne Le Monde (17 mai). Pour Alain Duhamel, « son métier était de répliquer aux crises ». Rien de moins.
Les journalistes sont unanimes : DSK était (est ?) le grand héraut de la régulation financière, le héros de la crise financière. « Dominique Strauss-Kahn a joué jusqu’à présent un rôle crucial depuis l’éclatement de la crise de la dette souveraine de la zone euro, insiste Les Echos, (…) Par son action énergique en faveur des pays européens en crise, Dominique Strauss-Kahn est parvenu à atténuer la méfiance, voire la franche hostilité, à l’égard de l’institution de Washington de secteurs non négligeables de la population du Vieux Continent. » Et les contestations qui ont fleuri dans plusieurs pays sont écartées d’un revers de manche : « Quoique encore stigmatisé dans les manifestations contre l’austérité en Grèce, en Irlande et au Portugal, le FMI apparaît aujourd’hui moins qu’auparavant comme la bête noire des gauches et des syndicats européens. » (Les Echos) Quels sont les fondements de cette hypothèse saugrenue ? Aucune enquête internationale n’a été menée pour mesurer l’indice de popularité du FMI…
Tentons une contre-hypothèse. Si Strauss-Kahn n’était pas français, et surtout, si Strauss-Kahn n’incarnait pas la « gauche moderne », la « deuxième gauche », celle de Michel Rocard et Jacques Delors, celle qui a rompu depuis longtemps avec le marxisme, celle qui a soutenu le tournant de la rigueur en 1983 et qui veut aujourd’hui pactiser avec le centre, si Strauss-Kahn n’était pas de cette gauche-là, aurait-il été adoubé par les médias ? Serait-il « irremplaçable » comme l’affirmait encore Jean-Michel Aphatie sur RTL ?
« Irremplaçable », il l’est incontestablement pour Le Monde (17 mai) qui assure que « personne ne pourra le remplacer le 27 mai au G8 de Deauville. Personne d’autre ne pourra faire en juin la navette entre l’Asie, l’Amérique et l’Europe pour rapprocher les points de vue sur le pilotage de l’économie destiné à assurer à la planète une croissance "forte, équilibrée et durable". »
« Irremplaçable », il l’est certainement pour Bernard Guetta de France Inter qui tire un bilan assez enthousiaste – et en prenant quelques largesses avec la vérité – du directeur du FMI : « [Dominique Strauss-Kahn] était devenu l’un des principaux artisans de ce sauvetage en prônant un réengagement des Etats dans l’économie et un soutien budgétaire à la consommation, afin que la croissance puisse repartir aussi vite que possible. » (France Inter) Sans rentrer dans les détails, soulignons que le FMI – donc DSK – a plutôt plaidé, encore récemment, pour un « rééquilibrage des finances publiques » [4]. Les politiques d’austérités (baisse du nombre de fonctionnaires, réduction des dépenses des Etats concernés, etc.) menées vont d’ailleurs dans ce sens et non pas vers un « réengagement des Etats dans l’économie ».
Préjugeant de ce que serait le monde sans DSK, Bernard Guetta ne cache pas sa déception : « Sans lui , les idées de régulation auraient eu bien plus de mal à s’imposer dans les forums internationaux » Se sont-elles simplement imposées ? Et si oui, est-ce grâce à DSK, ou plutôt « grâce à » la crise financière elle-même ? « Sans lui, ajoute Guetta, l’aide à la Grèce aurait été beaucoup difficile encore à débloquer et ne l’aurait été qu’au prix de sacrifices autrement plus grands encore que ceux qui ont été demandés à ce pays en faillite. » Que peut-il en savoir ?
Le quotidien du soir continue l’éloge de Dominique Strauss-Kahn : « Le 30 avril, il a clos un budget en bénéfice de 1,261 milliard de dollars et certaines ONG [lesquelles] de Washington reconnaissent avoir du mal à critiquer contre un directeur souvent plus à gauche qu’elles dans sa dénonciation des inégalités et des turpitudes des banques. Le FMI ne se vit plus en "père Fouettard", mais en médecin des pays en banqueroute. » Les Grecs apprécieront.
Héros des Français
Cela ne fait pas de doute, pour une grande partie des médias, cette affaire va ternir l’image de la France. « C’est une violence faite à l’image et au prestige de la France » estime Thomas Legrand sur France Inter. Sur la même radio, Dominique Seux confirme : « C’est l’angle de politique intérieure qui est le plus évoqué depuis hier (…). Mais il y a d’autres volets. Le premier, c’est idiot de le rappeler, concerne l’image de la France. » Sur TF1, François Bachy, solennel, lâche : « C’est l’image de la France qui est quelque part touchée. »
Il ne vient pas à l’idée des commentateurs que Dominique Strauss-Kahn n’est pas autant connu à l’étranger qu’en France… Combien de Français – et de journalistes – connaissent le nom de l’ancien directeur du FMI (Rodrigo Rato) ? Du directeur actuel de la Banque Mondiale ? Voir même, combien de Français seraient capables de reconnaître l’actuel Secrétaire général de l’ONU ?
Et pour Nicolas Demorand, porte-parole des Français, DSK était « peut-être l’un des mieux placés pour répondre aux inquiétudes des Français. » (Libération) Claude Askolovitch, apparemment ému, prévient sur Europe 1 : « S’il est jugé coupable, ça va être un choc pour énormément de Français. » Même sentiment pour Alain Duhamel pour qui DSK était assurément « le plus populaire des candidats »… alors qu’il n’était pas encore candidat.
Pour conclure – provisoirement –, il ne faut pas s’étonner devant « l’onde de choc » que cette affaire provoque dans des médias qui avaient tant aimé et tant attendu DSK. Combien de centaines d’articles ont été consacrées à son éventuelle candidature ? Combien d’éditorialistes ont commenté ses longs mois de silence ? Combien de reportages ont mis en lumière le travail « exceptionnel » du forcément futur candidat – et forcément futur vainqueur – de l’élection présidentielle ?
Et si, comme le montrent les « Unes » de la presse, le « choc » n’était pas plutôt subi par ces médias qui ont porté Dominique Strauss-Kahn aux nues ?
Comme l’écrivait André Gunthert lundi sur le site Culture Visuelle, « ce n’est pas l’image de Dominique Strauss-Kahn qu’affichent aujourd’hui les Unes. C’est l’autoportrait d’une presse en plein désarroi face à la disparition de son candidat préféré ».
Mathias Reymond