Survie.org. 3 décembre 2010 par Pierre Caminade
Le président comorien sortant tient des discours de fermeté pour la restitution de Mayotte, et la fin du visa Balladur-Pasqua, mais il signe un accord de défense avec la France. Pendant ce temps, le processus (illégal) de départementalisation de Mayotte progresse au parlement français, où quelques voix s’élèvent pour dénoncer divers aspects de ce scandale. Mais pas encore celui de la spoliation des terres.
« Tant que je serai encore le Président de ce pays, aucune discussion de quelque nature que ce soit, ne doit avoir lieu [avec la France] avant l’annulation du visa qui a fait de la portion de mer qui sépare Mayotte d’Anjouan, le plus grand cimetière du monde ». Voilà ce qu’affirmait, avec un aplomb sarkozien, Ahmed Abdallah Sambi, le président de l’Union des Comores, le 30 septembre 2010, à quelques mois de la fin de son mandat non renouvelable. Il venait de revendiquer à nouveau à l’Assemblée générale de l’ONU la restitution de Mayotte, passant par une phase répondant au principe « un pays, deux systèmes », en soulignant que « s’il s’avérait que le droit et la légalité internationale devaient être constamment ignorés et l’intégrité territoriale des Comores continuellement bafouée, toute [la] crédibilité [de l’ONU] serait mise en cause ».
Le premier objectif d’abrogation du visa peut être réalisé immédiatement, sur simple volonté française, pour revenir à la situation d’avant 1995 où les Comoriens circulaient librement entre les quatre îles de cet archipel, pour des travaux saisonniers, la vente de leur production artisanale, des soins médicaux, des visites familiales, ou pour toute autre raison, sans avoir forcément à s’installer à Mayotte pour « rentabiliser » une traversée clandestine coûteuse et mortellement dangereuse.
« Cette proposition, qui vient du président Sambi, de “deux administrations, un État” n’est ni politiquement ni juridiquement, acceptable » a répondu Bernard Kouchner, alors encore Ministre des Affaires étrangères, Le 21 octobre, au sénateur UMP de Mayotte Soibahadine Ibrahim Ramadani, qui voulait s’assurer du rejet de cette proposition par Paris.
Le moment était propice à la franchise puisqu’un enjeu géopolitique venait de connaître un dénouement, qu’avait pris soin de souligner le Sénateur dans sa question : « le ministre de la défense, Hervé Morin, et son homologue comorien, Fahmi Saïd Ibrahim, ont signé, le 27 septembre dernier, un accord de défense “rénové”, révisant celui du 10 novembre 1978 et relançant, par la même occasion, la coopération militaire entre les deux pays, suspendue en 1999 ». Évidemment, le visa criminel n’a pas été abrogé préalablement à cet accord militaire, ce qui donne belle allure à Sambi quant à son engagement à exclure toute « discussion de quelque nature que ce soit ». Discuter : non ! Mais on peut signer sans négocier…
Il est évident que ces contradictions et incohérences de Sambi sont dues aux pressions et menaces françaises, qui lui interdisent de tenir ses promesses électorales, notamment concernant la restitution de Mayotte. Refuser les convois de Comoriens expulsés de Mayotte est aussi un moyen légal, légitime et utile qu’il n’a pu se permettre que momentanément. Son successeur sera élu au second tour des présidentielles le 26 décembre.
Conformément à la constitution de 2002 imposant qu’à chaque mandat le Président soit issu d’une île différente, le premier tour, qui sélectionne trois finalistes, n’a eu lieu cette fois que sur la petite île de Moheli, le 7 novembre, n’impliquant que 5 % du corps électoral environ. Le poulain de Sambi, Ikililou Dhoinine, est arrivé en tête, mais il a surtout l’avantage d’être mieux connu sur les deux autres îles, bien plus peuplées, qui voteront elles aussi au second tour, et il bénéficie plus ou moins directement des moyens de propagande de l’Union. La ligne officielle sur Mayotte restera donc probablement la même. Reste à savoir quel sera le courage, ou la témérité, investi(e) dans le combat.
Sambi joue d’un autre levier, sur d’autres contentieux. Un séparatiste, acteur de la crise sécessionniste qui a éclaté en 1997 entre les îles, ex-“président” d’Anjouan, le colonel Abeid, condamné le 4 novembre par la justice comorienne à treize mois d’emprisonnement pour maltraitance et tortures infligées par ses milices à des opposants en 2001, s’est aussitôt évadé, vers Mayotte. Un autre séparatiste anjouanais ex-président d’Anjouan, le colonel Bacar, a été sauvé des griffes de la justice comorienne par Nicolas Sarkozy, suite à une fuite via Mayotte en février 2008 (Billets d’Afrique n°168). En rétorsion, les Comores refusent d’extrader vers Mayotte un présumé violeur, placé en détention provisoire à Moroni. Sambi veut signifier que la coopération judiciaire sera réciproque ou ne sera pas.
Mais comme à l’accoutumé, les armes sont inégales : deux putschistes protégés d’un côté, qui auraient beaucoup à déballer sur leurs complicités avec la France, un criminel de droit commun de l’autre. Pas de quoi faire plier l’Élysée.
Comme prévu, les députés ont voté une fois de plus l’occupation illégale d’un « département », en adoptant le 23 novembre une loi organique sur l’évolution, en quasi-DOM, du statut de Mayotte. Mais les protestations émises depuis deux ans se confirment : Jean-Paul Lecoq (PCF) a de nouveau rappelé l’ilégalité de tout référendum et changement de statut, puisque leur comdamnation par avance de la part de l’ONU n’a jamais été remise en question.
Il souligne le problème que soulèverala demande de statut européen de Région ultra-périphérique (Billets d’Afrique n°177), qui « suppose l’accord unanime des États membres de l’Union européenne – art. 355, alinéa 6, du traité –, lesquels ont presque tous voté les vingt résolutions de l’ONU reconnaissant Mayotte comme comorienne, et condamnant fermement la France depuis 1975 ».
Sandrine Mazetier (PS) a émis des protestations moins radicales, mais plus gênantes pour le gouvernement, sur le non-droit pratiqué à Mayotte, surtout vis à- vis des enfants, auxquels aucun droit spécifique n’est reconnu en pratique.
Le préfet de Mayotte reconnaît que 4000 enfants sont abandonnés sur l’île après que leurs parents aient été reconduits à la frontière. Rien de moins. De plus, « une procédure autorise, à Mayotte, l’officier d’état civil à contester la reconnaissance de paternité d’un homme français pour un enfant né d’une mère étrangère [sur] simple saisie du parquet » rappelle la députée, qui ajoute qu’« il n’est pas rare que des enfants de Français, euxmêmes français, soient ainsi expulsés de Mayotte. » Elle a aussi abordé la situation des mineurs étrangers isolés : « quand la présence d’un ou plusieurs mineurs est constatée sur les “kwasa kwasa”, ces mineurs sont rattachés à un adulte – sans que l’on se préoccupe, pour le coup, de l’existence d’un quelconque lien de filiation – et sont reconduits à la frontière. »
Pour ajouter ce constat cinglant, puisque la majorité des députés semblait d’accord (voeu pieux de circonstance) sur la nécessité d’aider au développement des Comores indépendantes pour diminuer la pression migratoire : « 70 millions d’euros sont consacrés à la lutte contre l’immigration irrégulière, alors que le coût de la coopération avec l’Union des Comores est de 20 millions d’euros – c’est ridicule – et que le budget de l’Union des Comores s’élève, quant à lui, à 40 millions d’euros. Replaçons les priorités là où elles devraient être ».
De telles interventions relèvent le niveau, tant on touche fréquemment le fond sur ces matières, comme à l’occasion de l’examen de la loi Besson sur l’immigration, le 29 septembre. Dominique Tian (UMP) a présenté un amendement : « Sur le territoire de Mayotte et de Guyane, est français automatiquement l’enfant lorsque ses deux parents y sont nés. »
Une tentation de remettre à nouveau en question le droit du sol, avec un code de la nationalité différent selon la « france » où l’on est. C’est un combat que mène l’UMP depuis 2005, qui a déjà été rejeté par le Conseil constitutionnel. Sachant que cette mesure anticonstitutionnelle reste promise à l’échec, c’est Thierry Mariani, qui pourtant proposait des tests d’ADN lors d’une réforme en 2007, qui fera enterrer cette idée : « le message envoyé sera[it] gravissime, […] nous aurons créé une nationalité à double vitesse ».
Mais au cours de la discussion, c’est le champion de judo David Douillet, devenu député UMP, qui remporte la coupe avec une proposition « plus fine » encore : « peut-être pourrions-nous réfléchir à d’autres solutions un peu plus fines. De quoi s’agit-il ? De femmes qui arrivent sur le territoire français et que nous sommes obligés de prendre en charge, car elles sont en situation de danger. Elles sont donc conduites à l’hôpital, où elles accouchent. En donnant simplement un statut extraterritorial à l’hôpital, le problème est réglé. Il suffit d’imaginer que tous les hôpitaux frontaliers deviennent extraterritoriaux ».
Cette effusion créatrice nous aura au moins donné l’occasion de s’assurer qu’il reste quelques notions de droit jusqu’aux députés et ministres UMP avant-gardistes, spécialistes du droit du sang et autres finesses : outre Mariani, même le ministre Besson a protesté. Comme l’a dit Christiane Taubira, « ce serait en fait un centre de rétention administrative à l’hôpital ».
Pendant ce temps à 7000 km de là, des Mahorais commencent à comprendre dans quelle République ils sont entrés. Après avoir voté pour la départementalisation qui leur promettait l’accès aux minima sociaux (quelques centaines d’euros par mois pour les ayant-droit), certains doivent payer plusieurs dizaines de milliers d’euros le terrain sur lequel ils ont construit leur maison en toute légalité d’alors. C’est en effet au nom de la règle des Zones des pas géométriques (ZPG), découlant des « cinquante pas du Roi », que la République leur dit depuis peu : « votre terrain appartient à l’État ».
Le statut personnel prenant fin, et la mise en place du cadastre aidant, le droit de jouissance des terres, ou la justice traditionnelle des cadis, disparaissent, et laissent place au cinglant État jacobin. Les expulsions ont commencé. De plus, de pauvres bougres défilent au tribunal de Mamoudzou pour avoir cultivé le champ familial. Il y reçoivent des amendes de plusieurs centaines d’euros, ces terres étant maintenant étatiques. Ce scandale de spoliation est totalement passé sous silence en métropole malgré les manifestations sur l’île.
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