Libertés publiques : le rapport accablant de la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité. Source : ContreInfo

Contre Info. 29 avril 2009

« violences illégitimes, comportement indigne de la fonction, atteintes à la dignité des personnes arrêtées, recours abusif au menottage, fouille à nu quasi-systématique, » tels sont les termes dans lesquels les sages du CNDS décrivent les abus des forces de l’ordre sur lesquels ils ont statué dans leur rapport 2008. Extraits.

Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité, rapport 2008, (extrait)

Police et Gendarmerie Nationales

Sur 119 dossiers traités concernant la police et la gendarmerie nationales, 49 ont donné lieu aux observations résumées ci-après ; pour 37 dossiers, la Commission n’a constaté aucun manquement à la déontologie ; 33 ont abouti à une décision d’irrecevabilité.

VIOLENCES ILLÉGITIMES

Les interpellations et les transports (vers le commissariat, d’un commissariat à l’autre, vers l’hôpital, etc.) sont des moments où des manquements à la déontologie ont été particulièrement constatés cette année. Quatre aspects préoccupent plus particulièrement la CNDS : les violences et leur non dénonciation de la part de policiers et gendarmes, le recours au menottage et le comportement des fonctionnaires.

■ Au cours des interpellations

> VOIR SAISINES 2005-107, 2006-74, 2006-82, 2007-65, 2007-74.

Cette année encore, plusieurs dossiers font état de violences illégitimes commises par des fonctionnaires de police ou des militaires de la gendarmerie. Celles-ci n’ont été reconnues par aucun d’entre eux et n’ont pas été dénoncées par leurs collègues ; elles n’ont pu être établies qu’au travers de certificats médicaux corroborant les déclarations des plaignants et des contradictions évidentes entre les différentes versions des faits données par les agents.

SAISINE 2007-74 : Cinq jeunes âgés de 15 à 18 ans subissent des violences lors de leur interpellation dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris

Dans le quartier de la Goutte d’Or dans le 18ème arrondissement de Paris, des policiers interpellent cinq jeunes (âgés de 15 à 18 ans) au motif qu’ils les auraient insultés et menacés quelques heures plus tôt, avant de s’enfuir. Les jeunes, allongés face contre terre, ont été frappés, insultés, gazés et laissés au sol les mains menottées dans le dos. Ils restent quarante-huit heures en garde à vue, suspectés d’outrage, d’incitation à l’émeute, de menace de mort sur une personne chargée d’une mission de service public et de rébellion en réunion. Sans pouvoir déterminer avec certitude le rôle de chacun des six fonctionnaires ayant procédé aux interpellations des jeunes, la CNDS tient pour établi, au regard des nombreuses blessures détaillées dans des certificats médicaux corroborant les déclarations des cinq jeunes et en totale contradiction avec les déclarations des fonctionnaires auditionnés, que les cinq interpellés ont été victimes de violences illégitimes. Au regard de l’âge des victimes de ces violences et du nombre de jours d’ITT - 2, 5 et 6 jours -, la Commission a transmis son avis au procureur de la République, afin qu’il envisage l’opportunité d’engager des poursuites pénales. Les mineurs n’ont été examinés par un médecin que quatorze et seize heures après leur placement en garde à vue et douze heures après la prolongation de la garde à vue. Ces délais sont d’autant plus inacceptables que deux mineurs avaient reçu des émanations de gaz lacrymogènes et se plaignaient de douleurs diverses.

■ Au cours des rassemblements sur la voie publique

> VOIR SAISINES 2005-87, 2008-1, 2008-60.

La Commission recommande la plus grande précaution quant à l’évacuation des manifestants des lieux, publics ou privés ; le recours à la force doit toujours être proportionné et l’emploi de moyens d’appui s’effectuer avec discernement. Il est souhaitable qu’avant que ne commence une opération de ce type, des consignes très strictes soient données à tous les policiers y participant et que la hiérarchie sur place veille à leur respect. Dans la saisine 2008-1, P.D-L., lycéen de 16 ans, a été blessé par un tir de lanceur de balles de défense lors d’une manifestation anti-CPE à Nantes. Les conséquences de ce tir, alors que cette arme était encore en expérimentation, ont été extrêmement graves pour ce jeune homme, qui a presque perdu l’usage de l’oeil droit.

[Recommandation] Eu égard aux conditions requises pour un usage correct du lanceur de balles de défense, la Commission s’interroge sur sa compatibilité dans le cadre d’une manifestation (proximité et mobilité des manifestants). Tous les personnels doivent être munis de signes de reconnaissance clairs et visibles lorsqu’ils servent en civil dans un tel contexte, y compris le chef du dispositif. Les sommations ou les injonctions de quitter les lieux adressées aux manifestants doivent pouvoir être entendues distinctement par un maximum d’entre eux afin d’éviter des mouvements de foule et l’usage d’un mégaphone, prévu par les textes, s’impose à cette fin. Tout en ayant pleinement conscience de l’impossibilité de filmer intégralement l’action des forces de l’ordre lors des rassemblements sur la voie publique, la Commission recommande que les phases d’engagement au contact des manifestants et, dans la mesure du possible, l’usage des armes de dotation les plus dangereuses soient filmés par un ou plusieurs fonctionnaires exclusivement missionnés à cet effet. La conservation de ce film, qui pourrait servir d’outil pédagogique de formation, devrait en outre être d’une durée suffisante pour permettre sa visualisation par l’autorité judiciaire en cas de plainte déposée pour violences illégitimes.

Dans la saisine 2005-87, M. J-P.B., âgé de 68 ans, a été violemment frappé par des policiers au cours de l’évacuation de familles ivoiriennes du centre Lounès-Matoub à Montreuil-sous-Bois. La Commission a estimé inadmissible qu’aucun des fonctionnaires de police présents ne se soit immédiatement porté au secours de cet homme, qu’aucun n’ait prétendûment été témoin des violences sur sa personne, pourtant visibles sur un film en possession de l’Inspection générale des services.

Lorsque des violences sérieuses ont été commises sur la personne d’un manifestant, il appartient aux responsables de l‘opération de police de s’efforcer d’établir les circonstances dans lesquelles les faits se sont produits et d’en déterminer les auteurs afin de prendre des mesures à leur égard. La Commission a estimé qu’il appartenait également à l’autorité hiérarchique de déterminer les auteurs du manquement à l’article 10 du Code de déontologie de la police nationale, qui n’avaient pas cru devoir dénoncer ces faits de violences illégitimes. Il convient de rappeler aux forces de l’ordre l’obligation de porter immédiatement secours à une personne sérieusement blessée, fût-elle un manifestant ayant tenu des propos outrageants à l’égard de la police.

ATTEINTES À LA DIGNITÉ DES PERSONNES ARRÊTÉES

■ Comportement indigne de la fonction

> VOIR SAISINES 2006-74, 2006-134, 2007-9, 2007-18, 2007-19, 2007-114, 2008-30.

Dans plusieurs dossiers, la CNDS a constaté que des fonctionnaires de police ou des gendarmes, confrontés à un comportement désagréable de la part des personnes qu’ils contrôlaient, se sont laissés emporter et, au lieu de dédramatiser l’incident survenu, ont fortement contribué à l’aggraver. Dans la saisine 2007-114, la Commission a déploré qu’un banal contrôle d’identité sur la voie publique à Lyon d’une personne en situation régulière ait entraîné, alors que l’intéressée avait justifié de son identité, l’appel à des renforts, son menottage et son placement en garde à vue pendant plus de cinq heures. Sans minimiser la responsabilité de l’intéressée, qui a fait preuve d’une impatience et d’une nervosité excessives, il semble qu’un plus grand professionnalisme de la part des policiers aurait permis d’éviter que cette affaire ne prenne un tour aussi disproportionné.

[Recommandation] Il conviendrait que dans le cadre de la formation continue dispensée aux gardiens de la paix, ceux-ci soient préparés à faire face à des situations semblables, sans avoir à recourir à la force dans la mesure du possible.

Dans la saisine 2007-9, la Commission a estimé que face à l’attitude désagréable du réclamant, le fonctionnaire de la police aux frontières de Lyon aurait dû calmer la situation et ramener les choses à leurs justes proportions, sans entrer dans un rapport de force avec l’intéressé. Dans d’autres situations, les fonctionnaires se sont adressés de manière irrespectueuse aux personnes auxquelles ils ont eu affaire, alors même qu’elles restaient calmes et obtempéraient aux ordres (v. not. Saisine 2007-19, à Villiers-le-Bel).

[Recommandation] La pratique du tutoiement, l’usage de paroles vexantes, ainsi que toute attitude susceptible d’être interprétée comme un acharnement discriminatoire, sont à proscrire absolument. La Commission rappelle fermement que les personnes exerçant une mission de sécurité sont placées au service du public et doivent se comporter envers celui-ci d’une manière exemplaire.

■ Recours abusif au menottage

> VOIR SAISINES 2006-108, 2006-129, 2007-49, 2007-64.

La Commission constate, pour la sixième année consécutive, que le menottage continue à être la règle et non l’exception. Dans l’affaire 2006-129, R.H. et T.P., âgés de 13 et 14 ans, ont été menottés dès leur interpellation jusqu’à leur présentation devant l’officier de police judiciaire au commissariat de Montpellier.

[Recommandation] La Commission souligne qu’en même temps qu’elle doit satisfaire aux exigences de l’article 803 du Code de procédure pénale(14), l’utilisation des menottes doit s’inscrire dans un usage gradué de la force qui respecte l’intégrité physique et la dignité des personnes interpellées. Conformément à la note du ministre de l’Intérieur en date du 22 février 2006, l’usage des menottes doit être particulièrement mesuré et strictement limité aux besoins de l’interpellation.

Eu égard à la gravité relative des faits reprochés aux deux adolescents (dégradation d’un véhicule), à l’âge de ces derniers, à leur faible corpulence, à l’absence de raison objective de craindre une tentative de fuite, des violences ou une suppression de preuves, la Commission considère que l’usage des menottes ne répondait pas, en l’espèce, à une impérieuse nécessité.

Le transport d’une personne dans un véhicule de police est une situation à risque pour l’escorte : la proximité des personnes rend toute réaction violente difficilement maîtrisable et peut avoir des conséquences dramatiques en cas de perte de contrôle du véhicule, ce qui justifie aux yeux des personnels de police un menottage trop systématique. Ainsi, dans l’avis 2006-108, bien que M. E.M. Ait été démenotté durant les perquisitions à son domicile à Viroflay, la CNDS a estimé que le port des menottes pendant les différents trajets n’était pas justifié. En effet, M. E.M. s’était rendu à la convocation qui lui avait été adressée, il n’avait pas jugé utile d’exercer les droits des personnes gardées à vue, confiant dans l’issue des investigations, n’avait montré aucun signe d’agitation pendant son audition, n’était porteur d’aucun objet dangereux au moment de sa palpation, n’avait pas de casier judiciaire, et ni l’infraction qui lui était reprochée, ni son caractère, ne pouvaient le faire apparaître comme une personne dangereuse.

[Recommandation] La Commission recommande que, par une adjonction expresse aux dispositions de l’article 64 du Code de procédure pénale, l’usage ou non d’entraves soit indiqué par l’officier de police judiciaire dans le procèsverbal récapitulatif de garde à vue émargé par la personne retenue, afin de permettre au procureur de la République d’en vérifier la nécessité et la proportionnalité.

■ Fouille à nu quasi-systématique

> VOIR SAISINES 2006-108, 2006-120, 2006-129, 2007-63, 2007-64, 2007-78, 2007-114, 2007- 130, 2007-144, 2008-52.

Depuis sa création, la Commission constate que de nombreux fonctionnaires, afin d’éviter des incidents au cours de la garde à vue (suicides, agressions de personnes gardées à vue ou de fonctionnaires de police, actes d’automutilation, consommation de stupéfiants) dont ils pourraient porter la responsabilité, pratiquent de manière quasi-systématique des fouilles à nu. La Commission déplore vivement que le respect de la dignité des personnes soit trop souvent ignoré, alors qu’une évaluation individualisée des circonstances et des profils devrait permettre une procédure proportionnée au danger potentiel.

Dans la saisine 2007-64, un mineur, soupçonné de dégradations d’affiches électorales à Oullins, a été invité à se déshabiller complètement, à s’accroupir et à tousser en présence d’un fonctionnaire de police. La fouille à nu, dans de telles circonstances, ne peut, à l’évidence, qu’être ressentie comme une mesure inutilement vexatoire et humiliante et constitue un manquement à la déontologie. Admettant le caractère inutile de la mesure, le ministre de l’Intérieur, dans sa réponse à l’avis 2007-130, a fait part à la Commission de la note prise par le Directeur général de la police nationale le 9 juin 2008, qui reprend les critères permettant d’apprécier la nécessité de procéder à une fouille à nu, critères que la CNDS avait pu déterminer tout au long de précédents avis.

SAISINE 2007-130 Les époux N., âgés de 70 ans, fouillés à nu après s’être présentés spontanément à leur convocation, dans le cadre d’une procédure relative à l’utilisation d’un chéquier appartenant à un tiers

La banque remet aux époux N. trois chéquiers, dont deux appartenaient à d’autres clients. Les époux ne s’en aperçoivent pas et utilisent un des deux chéquiers sept fois en l’espace de six mois avec leurs propres signatures. Le propriétaire du chéquier dépose plainte contre X pour usage frauduleux de moyens de paiement. Les époux sont rapidement identifiés par la police comme étant les utilisateurs du chéquier et sont alors convoqués au commissariat d’Athis-Mons. Dès leur arrivée, ils sont placés en garde à vue ; leurs droits leur sont notifiés, puis ils font l’objet d’une fouille, au cours de laquelle Mme N. a dû se déshabiller entièrement, « soutiengorge et slip enlevés et fouillés » devant elle par deux fonctionnaires féminins, et M. N. a été palpé alors qu’il se trouvait en slip et tee-shirt. Aucun élément ne justifiait une telle fouille à nu, rien ne laissant présumer que les gardés à vue dissimulaient des objets dangereux pour eux-mêmes ou pour autrui.


Publication originale Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité

Illustration : manifestation lycéenne (archive)

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