L’indécence du directeur de BP est une chose, le comportement de son entreprise autre chose. Une firme anglaise telle que BP se devait d’être poignardée par un journal anglais. C’est chose faite via The Guardian, repris intelligemment par Courrier International (bravo Odile !), dans un article nous transportant à plus de 7000 km de là : dans le delta du Niger, ravagé par les forages à l’emporte-pièce, les pollutions à répétition et les pipe-lines qui explosent. Le tableau des méfaits de BP à cet endroit du monde est absolument apocalyptique, mais comme il s’agît de l’Afrique et non des USA, il n’a jamais fait la une de la presse américaine, ni même de l’européenne. L’Afrique, c’est toujours loin. Retour sur un autre désastre signé BP et Shell, qui dure depuis des années et dont tout le monde se fiche éperdument...
Tout le monde a encore en tête les images de la plateforme Deepwater en flammes, avec ses onze victimes au final. Le même phénomène s’est produit à Lagos, au Nigeria, près de Otuegwe, en 2008 avec l’explosion d’un pipe-line en zone urbaine, faisant plus de cent morts, mais dans l’indifférence générale à vrai dire. Personne pour voir ces gamins se précipiter en plein incendie, le seau de plastique sur la tête pour aller grapiller quelques gouttes de pétrole, personne pour remarquer le lendemain les corps carbonisés ou les squelettes restants.... tout le monde s’en fiche. Ils ne sont pas américains, ne roulent pas en 4x4 et n’ont pas le droit aux journaux ou aux émissions télévisées en direct du bord des plages polluées. Ou à un président visiblement dépassé annonçant "qu"il va botter le derrière des responsables"...
Cela fait pourtant plusieurs décennies que ça dure dans le secteur. Les chiffres parlent d’eux-mêmes et sont atroces :
"Avec 606 champs pétrolifères, le delta du Niger fournit 40% de toutes les brutes les importations des États-Unis et est la capitale mondiale de la pollution par les hydrocarbures". L’exploitation du pétrole dans la région a été dévastatrice, pour l’environnement, mais aussi pour les autochtones.
"L’espérance de vie dans ses collectivités rurales, dont la moitié n’ont pas accès à l’eau potable, a chuté à un peu plus de 40 ans au cours des deux dernières générations. Les sections locales qui blâment le pétrole qui pollue la terre ont peine à croire le contraste avec les mesures prises par BP et le gouvernement des États-Unis pour tenter d’arrêter la fuite de pétrole du Golfe et de protéger les riverains contre la pollution en Louisiane". A voir les paysages désolés laissés enduits de pétrole lourd, à regarder les mares de fuites de pétrole laissées telles quelles, on reste en effet dubitatif, à voir en même temps l’agitation médiatique autour du Golfe du Mexique. l’Afrique Noire est mal partie, avait dit René Dumont. On ne l’a jamasi aidée à décoller : on l’a littéralement et consciencieusement pillée.
Au Nigeria, on retrouve en fait les mêmes acteurs. Là où trainent de
sacrés monstres, on avait même assisté en décembre 2009 à une première : le chantier nigérian de Nigerdock
avait été choisi par une firme connue pour assurer les réparations et la mise à niveau de sa plateforme Adriatic VIII, une "classique" de style Marathon LeTourneau 116-C, la plateforme tripode traditionnelle depuis les années 60, construite en 1983 à Hong-Kong. L’opérateur n’était autre que...
Transocean, le même que celui de Deepwater Horizon. Elle en a d’autres sur place, telle la
MG Hulme Jr, semi-submersible r
emorquée ici vers le Ghana en janvier 2009. Elle travaillait auparavant pour Gazprom (de russie) en Libye.
Le Nigeria attire les exploitants depuis au moins trente ans, c’est peu de le dire, au point que le pays s’est
lui aussi (tardivement) lancé dans le forage en mer avec sa propre société Seawolf Oilservices Limited, qui vient tout juste,
en janvier 2010, d’amener sur zone ses deux
nouvelles plateformes de type cantilever, Oritsetimeyin et Onome, pour fonds peu élevés. La troisième étant la Delta Queen déjà sur place, après avoir été mise en forage par Norwegian Mosvold Jackup. Les trois étant construites par Maritime Industrial Services (MIS) un groupe des Emirats, pour 508 millions de dollars chacune. Cela suffira-t-il à enrayer la voracité des grands groupes présents ? J’en doute.
Au Nigeria, les plateformes de forage en mer ont suivi celles à terre. La plateforme "
Transocean Treasure Seeker" du gouverneur William Perry "Bill " Clements Jr, devenue "
Transocean Sedco Forex Discoverer" est revendue 43,5 millions de dollars au groupe norvégien Fred Olsen Energy qui la baptise Bulford Dolphin... avant qu’elle ne soit rachetée par son premier propriétaire... Transocean, encore lui, qui la transfère du Golfe du Mexique sur les côtes nigériannes, commissionnée par une association Peak Petroleum Industries Nigeria Limited et Equator Exploration, une société équatorienne ! Un joli méli-mélo de propriétaires, un imbroglio incroyable, mais qui indique l’attirance du secteur, qui aimante bien le monde entier désormais. Il y a tellement de pétrole, que tout le monde en veut sa part. Elle restera plusieurs mois, sur le le champ préjugé prometteur de l’
Owanare, mais qui se révélera beaucoup moins riche que prévu. La plateforme avait trouvé du gaz, mais
pas suffisamment. Le 25 mai 2006, Equator Exploration
arrêtait les frais.
En mer, désormais, car l’exploitation intensive du Delta du Niger, au sol a tout ravagé. Les erreurs, accidents et catastrophes ont été nombreux, mais sont restés silencieux. Motus et bouche cousue, tel était la devise de BP et de Shell. Les compagnies pétrolières, à grands coups de liasses de billets, tiennent par le bout du nez l’information des deux pays concernés.
" Il est impossible de mesurer la quantité de pétrole répandu dans le delta du Niger chaque année, car les pétroliers et le gouvernement veillent à ne pas divulguer l’information. Cependant, si l’on en croit deux grandes enquêtes indépendantes réalisées ces quatre dernières années, il s’en déverse autant par an dans la mer, dans les marais et sur terre que ce qui a fui dans le golfe du Mexique jusqu’à présent… Selon un rapport publié en 2006 par le World Wide Fund (WWF) Royaume-Uni, l’Union internationale pour la conservation de la nature et la Nigerian Conservation Foundation, jusqu’à 1,5 million de tonnes de brut – soit cinquante fois la marée noire provoquée par le pétrolier Exxon Valdez en Alaska – se sont déversées dans le delta durant le demi-siècle écoulé. En 2009, Amnesty International a calculé que ces fuites ont représenté l’équivalent d’au moins 9 millions de barils". Du pétrole répandu, il y en a partout. Là-bas, le mot "écologie" ne veut rien dire d’autre qu’emplois en moins, alors... on pollue.
La pollution, mais pas que cela : la corruption, aussi, que représentel’autre firme dans le delta du Niger, Shell, la néerlandaise, qui est allé beaucoup plus loin encore dans le côté intrusif, dans l’économie et la politique du pays. Et a fini par le payer cher, très cher.
"En juin 2009, le groupe pétrolier a accepté de verser 15,5 millions de dollars en règlement d’un recours juridique dans lequel il avait été accuséd’avoir collaboré à l’exécution de l’écrivain Ken Saro-Wiwa et de huit autres dirigeants du peuple Ogoni, la tribu du sud du Nigeria. Le règlement, obtenu juste à la veille du procès dans un tribunal fédéral de New York, a été l’un des plus grands paiements accepté par une multinationale accusée de violations des droits de l’homme". Assassiner des opposants, voilà où en sont les pétroliers quand on s’oppose à eux. Ken Saro-Wiva avait été pendu par le gouvernement Nigérian le le 10 novembre 1995 à Port Harcourt, après un procès expéditif, il était à la tête du MOvement for the Survival of the Ogoni People ou MOSOP, et Shell avait été reconnu coupable de sa capture. Il avait fallu 14 ans de procédure pour en arriver à un procès, négocié au final la veille de l’échéance. Un livre du correspondant du Financial Times, "
A Swamp Full of Dollars", résume à lui seul cette corruption endémique. Et explique comment les gouvernements anglais successifs ont laissé le pays aux mains des dirigeants sans scrupules et des milices locales, au nom du dieu pétrole. Les paramilitaires, et leurs exactions qui ont ravagé tour le pays. A aller jusqu’à assassiner ceux qui osaient dénoncer les destructions de BP ou de Shell. Avant c’était Lumumba, remarquez, qu’on assassinait, en Afrique. L’homme prémonitoire avait évoqué la reprise en main par les africains de leur propres ressources, pensez-donc !
L’image de marque est donc prioritaire : BP ou Shell laissent derrière eux des désastres écologiques, mais il ne faut pas que ça se sache. En Afrique, en arrosant les médias et les Etats, ils ne craignent pas grand chose. Aux Etats-Unis, où la moindre course de voleur qui s’échappe est télévisée en direct, c’est plus difficile. Alors BP a trouvé la parade : la communication forcée. En récupérant et en détournant tout ce qui est possible de faire. Les gens râlent car ils pensent qu’on ne fait rien ? Mettons leur une caméra au fond, faisons leur faire des ronds, au fond, à nos Rovs téléguidés, ils croiront qu’on s’active, au moins. Faisons leur visser et dévisser le même boulon, ça prendra bien quelques heures ! Les Rovs montrent un désastre ? Coupons la ligne ! Les gens en redemandent ?? Mettons en ligne une boucle, ils croiront que c’est effectivement ce qui se passe. Au passage, on va même voir à l’œuvre un des "
Tritons" , le XLS-26 Work-Class ROV, de... Veolia Environmental Services Marine Services (VES), en
fait d’ISS au départ ! Avec son bra
s si reconnaissable ! Quelle pub pour notre Henri Proglio national !!! Vite, le
dépliant publicitaire !
Le temps de descendre aussi ostensiblement deux ou trois bidules marqués "Kill", pour bien marquer les esprits... Ah, ils s’en aperçoivent que ça ne sert à rien ? Refaisons donc le coup du "chapeau" : on sait que ça ne peut pas marcher avec une telle pression (à l’air libre le pétrole monterait à 6 km de haut s’il n’y avait pas les 150 psi de pression au fond), mais on va leur faire croire que c’est faisable ! Pour ne pas tout péter en direct, on va même mettre des évents ("vents") pour laisser échapper le trop plein. Résultat : la pression est si forte que tout le pétrole sort par les "vents" et rien ne remonte par le tuyau ! Mince, on recoupe alors : depuis quatre jours, on a en effet droit à un écran noir ou un écran avec une mire de réglage TV, juste après des images dantesques du "chapeau" submergé dans un nuage noir de pétrole ! N’a pu le Veolia et sa belle tronçonneuse à tuyaux cassés ! Et entretemps, de la com, beaucoup de com : "le kill process" est en cours", "il devait marcher à 70%", "BP annonce qu’il fait des progrès pour maîtriser la fuite", " ça marche", etc... on aura le droit à tout pendant tout un week-end.... des phrases concoctées par l’ancienne attachée de presse de Dick Cheney, Anne Womack-Kolton, tout juste recrutée (ou imposée ?). La présidente d’une boîte de com’, APCO, société qui clame que "
Notre mission est de façonner votre environnement grâce à des stratégies de communication sur mesure, adaptées à vos enjeux et à vos cibles". On ne peut être plus clair, à part peut-être sur l’usage du mot "environnement" !!! Oui, mais ça ne suffit pas : les internautes, ces éternels impatients, piaffent toujours d’impatience : pas grave, suffit de les détourner :
achetons des noms sur Google, comme ça à chaque fois qu’ils vont taper "forage" ou "Golfe du Mexique" ou "désastre écologique" ils seront redirigés sur notre site où on leur expliquera que tout va bien. Que l’on maîtrise... alors qu’on ne maîtrise rien du tout !
Dans cet océan de mensonge, un nouvel Amazone vient de se déverser. Les journalistes d’Associated Press, nous dit un posteur (Pyralène, pour ne pas le citer) ont retrouvé
le plan de sauvetage en cas de déversement de pétrole rédigé par BP et remis au fameux SMS, comme "garantie" de son savoir faire en cas de pépin. C’est en fait une véritable Bérézina : entre les noms d"animaux du Golfe qui n’ont jamais été vus et n’ont jamais vécu dans le Golfe et le nom d’un scientifique écologique présenté comme expert alors qu’il était mort depuis quatre ans, le groupe pétrolier a fait très fort. Sur 582 pages plus une annexe de 52 pages sur la plateforme Deepwater Horizon, BP enfile perle sur perle. Mais on oublie déjà une chose : c’est que celui qui devait vérifier le collier n’était autre que le représentant de l’administration américaine, le fameux bureau du Minerals Management Service ou MMS, qui, on le sait, s’en fichait comme d’une guigne, ayant d’autres chats à fouetter et d’autres
lignes de coke à s’enfiler. Partout où est BP est passé, il a menti. Mais on l’a bien aidé à le faire.
PS : aux dernières nouvelles, le mensonge est évident depuis le début :
il sort deux fois plus de pétrole que le ne dit BP...
"Un Exxon Valdez tous les 8 ou 10 jours."