Rue89. 4 décembre 2010 par Solenne Durox
Pour nettoyer nos vêtements, la plupart des pressings utilisent un solvant dangereux pour l'homme, le perchloroéthylène, sujet que Rue89 avait mis en lumière en 2007. Un poison qui touche les logements avoisinants, au détriment de la santé de leurs occupants impuissants. Le Haut conseil de la santé publique tire la sonnette d'alarme et recommande de ne plus installer de nouveaux pressings à proximité d'habitations.
Jose-Anne Bernard, 72 ans, est morte le 25 décembre 2009 à Nice. A priori d'une attaque cardiaque. Mais l'autopsie pratiquée sur son corps il y a quelques semaines a révélé un taux très élevé de perchloroéthylène (ou tétrachloroéthylène) dans son sang, ses urines et tous ses organes.
Ce solvant, couramment utilisé pour le nettoyage à sec, est non seulement dangereux pour l'environnement mais également toxique pour l'homme. Il provoque nausées et vertiges, irrite les voies respiratoires, attaque le système nerveux et les reins et peut, dans certains cas, s'avérer mortel.
Le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) le classe comme cancérigène probable, « groupe 2A ». Madame Bernard ne travaillait pas dans un pressing. Elle vivait juste au-dessus.
Depuis l'installation du commerce il y a deux ans, son appartement était envahi d'odeurs persistantes. « Quand je suis retournée chez elle pour récupérer des photos pour la cérémonie funéraire, je n'ai pas pu rester tellement ça sentait fort », explique son fils, Frédéric, qui a porté plainte pour empoisonnement. Le parquet d'Aix-en-Provence a ouvert une information judiciaire pour homicide involontaire le 20 août 2010.
Plusieurs habitants de l'immeuble avaient porté plainte il y a quelques mois contre le propriétaire du pressing qui s'était installé sans autorisation. Celui-ci ne respectait pas les normes en vigueur censées protéger les travailleurs et les riverains. Il n'y avait aucune ventilation dans son commerce. Et malgré deux arrêtés préfectoraux de mise en demeure, il a pu poursuivre tranquillement son activité jusqu'en juin 2010.
« L'administration a laissé mourir une vieille dame en vingt-quatre mois », constate Frédéric, triste et amer. Le cas de madame Bernard n'est pas isolé. Un avis de l'Afsset publié en janvier 2010 révèle que « des concentrations élevées de l'ordre de plusieurs milliers de µg.m-3, ont été mesurées dans des logements situés au-dessus de certains pressings » Il reconnaît qu'« une exposition aiguë, intermédiaire et chronique au tétrachloroéthylène est susceptible d'entraîner des effets néfastes sur la santé ».
Au mois de janvier 2009, à Montrouge, trois enfants qui habitaient au-dessus d'un pressing ont dû être évacués par les pompiers et hospitalisés. Ils souffraient de graves troubles respiratoires.
Respecter la réglementation ne semble pas être une priorité pour de nombreux exploitants de pressing, comme l'a montré l'opération nationale de contrôle menée par l'inspection des installations classées en octobre 2008. Au total, sur 275 installations visitées, seules 86 étaient en conformité. Moins d'un tiers !
Restaurateurs dans une galerie commerciale à Rennes, Pascal Denot et Thierry Drouin respirent depuis dix ans les vapeurs de perchlo du pressing voisin. Tous deux sont victimes de malaises, de violents maux de têtes, de problèmes respiratoires. Thierry Drouin souffre d'hépatite toxique et de troubles cardiaques. On vient de lui découvrir des lésions au cerveau. Après quatre années de combat judiciaire, un expert vient enfin de reconnaître que le pressing est bien la source de la pollution.
Une analyse de l'air a révélé des taux de perchlo de dix à dix-huit fois supérieurs à la norme fixée par l'OMS ; pourtant, impossible de faire fermer le pressing.
« J'ai envoyé trois ou quatre courriers au préfet pour l'alerter. En vain », s'indigne Pascal Denot qui, en attendant le procès, doit continuer à vivre dans cet environnement pollué. « Tous les matins, je suis angoissé à l'idée d'aller travailler. »
Avec d'autres victimes du perchlo, il vient de créer une association pour faire connaître le problème :
« Nous pensons porter plainte contre l'Etat pour mise en danger de la vie d'autrui ».
Face à la dangerosité du produit, le Danemark et les Etats-Unis ont interdit l'installation de nouveaux pressings utilisant le perchloroéthylène.
Le produit devrait être totalement retiré du marché américain en 2020. La France, elle, préfère voir venir. Suite au bilan catastrophique de l'opération de contrôle menée fin 2008, le ministère du Développement durable a fait évoluer la réglementation. Mais pas aussi durement qu'on aurait pu l'espérer, puisque les syndicats de pressings ont eu voix au chapitre.
Le président du CFET Pressings de France, dans son bulletin d'information de novembre 2009, se félicite :
« En tant qu'organisation professionnelle, nous avons participé à l'élaboration de ce nouveau texte et avons réussi à l'assouplir. »
« Il y a une énorme pression des syndicats qui disent que cela va leur coûter cher de changer leur matériel », remarque André Cicollela, chercheur en évaluation des risques sanitaires à l'Ineris (Institut national de l'environnement industriel et des risques).
Dans un avis publié en juin 2010, le Haut conseil de la santé publique recommande de « réaliser, à titre préventif, une campagne nationale de mesure des concentrations de tétrachloroéthylène dans les pressings et dans tous les logements et locaux ouverts au public se trouvant au-dessus ou à proximité immédiate de ces installations ».
Le HCSP propose aussi que toutes les personnes exposées bénéficient d'un examen médical gratuit. Il va encore plus loin en préconisant « qu'à l'avenir, aucun nouveau pressing ne soit installé au voisinage immédiat de logements ».
Au ministère de l'Ecologie, on reste prudent. Laetitia El Beze, chargée de mission sur les émissions de composés organiques volatiles solvants, explique :
« Nous n'avons pas suffisamment de recul pour faire interdire le perchloroéthylène. Il n'existe pas de produits de substitution parfaits. Des études sont en cours. »
Ce à quoi André Cicollela rétorque :
« Plusieurs études scientifiques ont clairement démontré l'effet cancérigène du perchloroéthylène. A l'Ineris, nous avons rédigé une dizaine de rapports depuis 2001 qui n'ont pas été suivis des faits. Attendre alors qu'on a toutes les preuves, ce n'est pas acceptable ! »
Pour l'instant, l'intérêt des commerçants passe avant. Jusqu'à quand ?
1. BERNARD Frédéric - Le 10/12/2010 à 07:15