Après celle de Médiapart, celle du Point, celle de (Ségolène) Royal et celle de Rue89 : la rédaction de Politis a elle aussi été cambriolée, dans la nuit de samedi à dimanche.
Sans déconner : ça devient compliqué, de faire du journalisme d’investigation™, dans ce pays corrompu.
À Politis, comme à Levallois-Perret, y a des caméras de surveillance dans tous les coins.
(On les a mises là pour vérifier si des fois Michel Soudais profiterait pas qu’il est au bureau pour jouer au mahjong.)
Résultat : on a récupéré une image - un peu floue, certes - qui pourrait bien être celle de nos inattendus visiteurs.
On l’a montrée au capitaine Catarinabella, de la Brigade de répression des cambriolages de rédactions (BRCR) d’Ajaccio, mais ça ne lui a été d’aucun secours : « Je sais pas du tout qui ça peut-être, celui de gauche me dit vaguement quelque chose, mais non, vraiment, je ne vois pas », nous a-t-il expliqué.
Dommage.
Sinon, le fait notable est qu’il n’y avait aucune trace d’effraction - du style la serrure défoncée à grands coups de marteau : manifestement, les mecs avaient le code.
(E-D-W-Y-P-L-E-N-E-L-E-M-M-E-R-D-E-R-I-C-H-A-R-D-N-I-X-O-N [1].)
Autre détail propre à stimuler l’imagination, rien n’a été volé - sauf l’épais dossier où le chef Sieffert avait marqué en gros : « CE DOSSIER CONTIENT LES PREUVES ACCABLANTES DU FINANCEMENT DE LA CAMPAGNE D’(XXXXXXXX) PAR LE CARTEL DE MEDELLIN, MERCI DE PAS Y TOUCHER, SIOUPLAÎT ».
(Heureusement qu’on avait un double.)
Ça nous a pas vraiment surpris, note : ça faisait déjà un petit moment qu’on avait l’impression d’être surveillés.
(Voire : espionnés.)
« À chaque fois que je parle au téléphone avec Dominique de V., y a comme des bruits étranges sur la ligne : ça fait clic, clic, clic, CLAC, CLAC, clic, clic, et à la fin y a une grosse voix qui gueule “MAIS PARLEZ PLUS FORT NOM DE DIEU, J’ENTENDS RIEN” » - me racontait justement Michel Soudais, pas plus tard que la semaine dernière.
(Après la fin de sa trentième partie de mahjong de la journée : faudrait que t’arrêtes, maintenant, Michel Soudais.)
Moi-même, depuis quelques jours : quand j’essaie d’appeler mon dentiste, je tombe sur un gars qui me suggère d’ « arrêter de poser toutes ces questions sur l’affaire Clearstream, ou si tu veux qu’on s’énerve, sale connard ? » - et, bon, je voudrais pas donner l’impression d’être paranoïaque, mais je trouve ça un peu bizarre.
(Puis, entre nous : j’ai rien contre la DGSE, mais c’est pas les époux Turenge qui vont me soigner ma gingivite, hein ?
Alors faudrait que ça cesse, maintenant, ces enfantilleries.)
Dominique de V., t’auras compris : c’est notre informateur, pour tout ce qui a trait aux affaires d’État.
Je peux pas te donner son vrai nom - ça nous mettrait tou(te)s dans la merde -, mais laisse-moi t’assurer que le gars est singulièrement deep, au niveau de la throat.
(Pour te dire : ça fait six ans qu’Edwy Plenel - qui est un peu la Mère Denis du journalisme d’investigation™ - nous supplie de lui « prêter Domi, allez, quoi, merde, soyez sympas, juste une petite demi-heure, on fait un jogging et je vous le rends, et, tenez, je vous l’échange contre un poil de moustache dédicacé ».
Mais tu peux te gratter, Edwy : on n’est pas du genre qui protège pas ses sources.)
Avant-hier, par exemple : Dominique de V. nous a révélé qu’il avait la preuve que (XXXXXXX) avait touché neuf milliards d’euros, dans la sinistre affaire de la vente de cinq porte-avions nucléaires à la principauté d’Andorre - où le contre-amiral Fong Li-Fou Tchi Gon Jinn a trouvé la mort dans des conditions relativements suspectes [2].
Écrite, la preuve, on lui a demandé ?
Attendez, il a répondu, j’ai carrément une lettre manuscrite, datée de mercredi dernier et signée, qui dit : « Je, soussigné, Nicolas Sar(XX)zy, reconnais avoir pécho neuf milliards d’euros en pièces d’un - même que c’était hyper-chiant à transporter, j’ai été obligé de chourer quatorze camions, comme dans Die Hard 3, putain, la prochaine fois, soyez gentils de me faire un chéque » - c’est pas du grand méchant scoop en béton, ça ?
Et tu vas faire péter le truc ?
Mais graaave, comme d’hab : demain j’ai rendez-vous chez Van Ruymbeke, je vais tout balancer, et j’aime autant vous dire que ça va éclabousser dans toutes les directions, y aura du Ba(XXX)dur plein les murs.
Et alors ce qui serait bien, Dominique, on a fait, ça serait que tu nous files le procès-verbal de ton audition.
Pas de problème, a-t-il promis : j’en fais toujours une trentaine de copies, pour mes amis journalistes d’investigation™.
Puis d’ajouter : si j’étais vous, cependant, je me méfierais.
Ah ouais ?
Ah ben ouais : avec un truc aussi explosif, ça m’étonnerait pas du tout que vous soyez cambriolés, un de ces jours.