Reportage photo : manifestation étudiante et lycéenne du 21 octobre à Paris (© Daniel Maunoury). Voir aussi le témoignage : Comment je suis devenu un casseur à mon insu.
Mercredi 13 octobre : « Ça se fighte à Simone »
« Ça se fighte à Simone. » C’est avec ce type de SMS que l’info commence à circuler entre lycéens à Garges-lès-Gonesse (Val d’Oise). Simone, c’est le surnom donné par les élèves au Lycée Simone de Beauvoir. Ce jour-là, ils tentent de manifester leur solidarité avec le mouvement de contestation sociale. Ils « tentent », car autour du lycée, les véhicules de police et les CRS grouillent. Au lieu de tempérer, de discuter avec les enseignants et les représentants des lycéens qui coordonnent, avec un certain succès, la protestation de leurs camarades, les forces de l’ordre laissent monter la tension.
Et l’ambiance s’envenime. Des élèves sont bousculés puis renversés par des policiers qui se positionnent et se repositionnent. Ceux-ci prennent alors prétexte d’un jet de projectile pour asperger les lycéens de gaz lacrymogène et charger. Au moins deux adolescents sont victimes de malaise respiratoire. Les élèves du Lycée polyvalent Arthur Rimbaud, toujours à Garges, vivent eux aussi une confrontation violente avec les forces de l’ordre. En fin de la journée, de nombreux parents d’élèves, inquiets, demandent à leurs enfants de ne plus participer au blocus de leur lycée. Le lendemain, un lycéen de 16 ans est gravement blessé par un tir de flash-ball à Montreuil (Seine-Saint-Denis).
Rassurez-vous, ces membres du service d’ordre du pouvoir fonctionnaires de police sont là pour protéger les jeunes et garantir le droit de manifester (© Daniel Maunoury)
Vendredi 15 octobre : des enseignants « écœurés »
A Massy, les élèves du Lycée professionnel Gustave Eiffel se mobilisent à leur tour. Immédiatement, un impressionnant cordon de CRS et de policiers se déploie. Retour au Lycée Arthur Rimbaud de Garges-lès-Gonesse. Cette fois, les élèves ne sont pas seuls à protester : des représentants des syndicats (CGT et Solidaires), ainsi que des élus de l’opposition, sont là. Ils ont été appelés par les lycéens pour que tout se déroule bien, pour que la police les laisse manifester en toute tranquillité. En dépit de cette présence, la répression est de nouveau au rendez-vous. Très vite, lycéens, enseignants, représentants politiques et syndicaux se retrouvent sous une pluie de grenades lacrymogènes.
Hugo a 17 ans, et il est bien conscient de l’enjeu de la réforme des retraites. Vers huit heures et demi du matin, avec d’autres lycéens, il invite les élèves du lycée professionnel Louis Blériot à Suresnes (Hauts-de-Seine) à bloquer leur « bahut ». Là encore, la police laisse la situation s’envenimer. Les forces de l’ordre n’engagent aucune discussion avec les élèves, les encerclent au fur à mesure qu’arrivent de nouvelles voitures et de nouveaux policiers. Vers 9h30, ils prennent la décision de dégager le blocus et chargent. Divers projectiles leur répondent. Les manifestants seront tous dispersés. Pendant ce temps, aux Ulis (Essonne), les habitants déplorent « une présence très agressive de la police ». Face aux lycéens, les policiers ont la détente des flash-balls facile. Heureusement, aucun élève du Lycée polyvalent de l’Essouriau ne souffre de blessures sérieuses.
Un « gardien de la paix » tout disposé à renseigner le citoyen égaré, matraque télescopique plan de Paris en main (© Daniel Maunoury)
Mannone vient de Fresnes (Val-de-Marne), il n’est plus lycéen mais étudiant. Il est de la génération qui a défilé contre le CPE. Il garde encore de nombreux contacts avec son ancien bahut, le lycée Frédéric Mistral. Des élèves l’appellent d’ailleurs le matin pour l’informer de leur mobilisation. Ils essaient de manifester « tranquillement » devant les grilles. A proximité, la police nationale est présente de « manière massive », sans pour autant intervenir quand quelques jeunes mettent le feu à des poubelles. « Les enseignants étaient écœurés par le comportement des jeunes… comme de la police nationale qui a laissé s’envenimer mes choses », raconte Mannone. Les CRS étaient tellement nombreux qu’ils bloquaient toute la rue menant au lycée, empêchant même des femmes et des enfants en poussettes de se déplacer. Le lycée est finalement fermé. « A mon époque, commente l’étudiant, on partait à 500 en manif et tout se passait bien. On allait voir les responsables des flics et on leur disait que l’on montait sur Paris tranquillement ». Cette époque semble révolue sous Brice Hortefeux.
Mardi 19 octobre : le marché des Ulis noyé dans le gaz lacrymogène
La veille, des affrontements opposent lycéens et membres des forces de l’ordre à Combs-la-ville (Seine-et-Marne). Aux Ulis, la tension est à son paroxysme. Les affrontements débordent jusqu’au marché. Un bus est incendié. Le véhicule était en stationnement et à l’arrêt. Il était vide et n’appartenait à aucune une ligne desservant la ville. La police recourt massivement au gaz lacrymogène, y compris sur le marché, pour disperser une foule composée de toutes les catégories de population de la commune. Les habitants - mères de familles, enfants en bas-âge, retraités - doivent évacuer tant bien que mal les étalages, l’air étant devenu irrespirable. « Ne touchez pas à nos mères ! », lancent les jeunes, passablement énervés. Pendant les trois jours suivants, aucun bus ne desservira la ville. Punition collective ?
A Fresnes, au prétexte de surveiller les jeunes lycéens et « d’assurer la protection des habitants », la police bloque de nombreuses rues, empêchant des riverains de circuler ou leur imposant d’importants détours. A Garges-lès Gonesse, la mobilisation se poursuit. Les lycéens « se montrent très responsables en dépit des provocations policières ou de celles venant d’éléments perturbateurs inconnus », assure Yassine Ayari, responsable associatif local, et ancien élève du lycée Simone de Beauvoir.
Mercredi 20 octobre : chasse aux lycéens à Puteaux
Les élèves de l’établissement Louis Blériot de Suresnes tentent de se rendre en transports en commun à Paris pour participer au cortège, à l’appel des organisations lycéennes et étudiantes. Autour de la gare de Puteaux, la police s’amuse à « courser » les jeunes qui s’approchent. Certains se mettent en danger en s’enfuyant par les voies ferrées, poursuivis par des policiers. Plusieurs témoins parlent d’usage de flash-ball. Toutes les personnes qui paraissent avoir moins de 25 ans sont systématiquement contrôlées. Des lycéens sont forcés de repartir vers leur lycée. Un élève qui ne manifestait aucun signe d’agressivité est « matraqué par les policiers ».
A Combs-la-Ville, en face du Lycée Galilée, Julie, élève de première, remarque que tous les « basanés, noirs et arabes et tous les gars en capuche » sont systématiquement pris en photo par la police massivement déployée. La répression a atteint un tel niveau que des syndicats d’enseignants et des associations de défense des Droits de l’Homme viennent de lancer « un appel à témoins ». « Loin de contenir le mouvement contre les projets de régression sociale, ces menées ne font que renforcer la détermination des salariés, des jeunes étudiants et lycéens et de toute la population à faire barrage à ces projets », commente les initiateurs.
Eros Sana
Photos : © Daniel Maunoury