Les Indignés à Bruxelles

Le Grand Soir. 4 juillet 2011 par Badi Baltazar, mis en ligne par Bluboux

Suite aux nombreuses assemblées populaires qui se sont tenues au Béguinage et à Stalingrad ces derniers jours, l’Assemblée Populaire des Indignez Sans... de ce jeudi 30 juin a prit la décision de monter un campement sur l’avenue, à quelques mètres du symbolique monument du Porte voix pour la parole publique. Leur initiative s’inscrit dans le mouvement plus global des Indignés bruxellois, encouragée, suivie et soutenue par des personnes de tous horizons. Certaines d’entre elles se sont notamment déplacées de Barcelone pour proposer leur énergie et leur expérience aux acteurs du mouvement en Belgique. Elles comptent également se rendre dans d’autres villes belges et européennes et initier ainsi le premier groupe de travail citoyen mobile.

 

Des mains volontaires et des voitures acheminent du matériel, des citoyens affluent au fur et à mesure avec des tas de choses dans les bras : tables, matelas, tentes, ficelles, tapis, etc. Des pancartes sont installées. Une fourmilière qui se réveille d’un long sommeil. De la nourriture arrive également, offerte par les commerçants alentour ou par des dons spontanés. Des listes de besoins sont rédigées, des discussions se tiennent en divers endroits de l’avenue pour organiser l’installation. Certains autour, demeurent là, debout, à observer cette scène presque surréaliste. D’autres, aux terrasses des cafés ou simple passant, se demandent ce qui se trame, intrigués ou sans voix devant cette expression de liberté et d’initiative démocratique. Ce qui est le plus frappant, c’est le fait que tous les gens présents sont non seulement occupés à se réapproprier l’espace public, mais surtout qu’ils le font spontanément, naturellement, sans l’intervention d’un leader ou d’un quelconque contrôle.

 

 

En l’espace de deux heures, une douzaine de tentes ont été installées et les premiers groupes de travail se sont formés, bien qu’il ne soit pas encore clair pour tout le monde que ces groupes de travail représentent le passage obligé vers plus de structure et une meilleure coordination du mouvement. Etant personnellement présent sur place ce soir-là et ayant été emballé par l’énergie déployée pour matérialiser la décision de l’assemblée populaire, je me suis porté volontaire pour participer au groupe de travail "communication" et ce dans le but de produire un communiqué à diffuser sur les différentes plates-formes disponibles, qu’elles soient virtuelles ou réelles. Avec une dizaine d’autres concitoyens s’étant portés volontaires, nous nous sommes donc réunis dans la foulée et nous avons rapidement préparé un premier communiqué que nous avons ensuite soumis à l’approbation de l’assemblée populaire. Celui-ci ayant été validé par cette dernière, je prends la liberté de le publier ici en guise d’illustration :

En harmonie avec la révolte populaire du mouvement des Indignés né dans notre ville ainsi que dans des dizaines d’autres villes à travers l’Europe et le monde, nous, Assemblée Populaire de Stalingrad, avons établi un campement au pied du porte-voix pour la parole publique. Y sont actuellement créés des groupes de travail et des assemblées populaires s’y tiendront quotidiennement.

Le groupe de travail Communication.

La nuit bien entamée, le bouillonnement de la fourmilière s’est estompé, certains sont rentrés chez eux et d’autres sont restés pour passer la nuit sur le campement ou pour assurer une permanence et veiller à la sécurité. En ce qui me concerne je suis rentré dormir, non sans avoir fait part de mes doutes quant à ce qui risquait de se produire dans les heures à venir. S’imaginer que les autorités communales et les services de police ne réagiraient pas serait naïf. Vers 7h du matin, un contact présent sur les lieux m’a informé de la présence de la police et du contenu de l’arrêté qui avait été signifié aux personnes sur place. Elles avaient reçu l’ordre d’évacuer le campement dans les plus brefs délais. Ce qui s’est déroulé dans le calme et la sérénité. Dans le courant de la journée, j’ai appris que le campement de la Place Saint-Léonard à Liège, effectif depuis quelques semaines, venait de connaître le même sort. Ce qui renforce donc l’évidence dont j’ai déjà fait état à plusieurs reprises, notamment dans mon précédent buvard : les campements ne sont pas une fin en soi, ils n’ont pas vocation à durer dans le temps, du moins pas en Belgique. Leur potentiel se situe dans la dynamique qu’ils permettent d’installer ou de déclencher. L’idée du "on prend la place" est fortement imbibée de cette volonté première du mouvement de se réapproprier l’espace publique et au-delà les affaires publiques. En prenant un peu de recul et de hauteur sur l’évolution du mouvement, je pense comme certains qu’il apparaît de plus en plus que les Indignés ne représentent que la surface émergée de l’iceberg et que le mouvement de fond qui est en train de se propager et de s’étendre à des parties de la population qui jusqu’alors n’y étaient pas réceptives prend de l’ampleur à mesure que la prise de conscience et le ras-le-bol gagnent du terrain.

Je me suis rendu à l’assemblée populaire le soir suivant. L’ordre du jour s’est imposé de lui-même : comment interpréter ce qui s’était passé dans les dernières 24 heures ? Quel était le résultat des actions entreprises ? S’étaient-elles soldées par un échec ou un succès ? Pendant deux bonnes heures, le mégaphone est passé de main en main pour que chacun puisse faire part de son état d’esprit et de son opinion. Malgré l’état de fatigue ou la déception de certains, le sentiment général était pour le moins positif. Et de nouvelles personnes s’étaient joints à l’assemblée. Il n’est pas question de considérer l’évacuation du campement comme un échec. Certaines personnes ont également salué le courage et la détermination des sans-papiers présents et ayant participé à la mise en place du campement. Je vous laisse imaginer l’étendue des risques qu’ils ont pris pour défendre leurs droits de citoyens et témoigner des exploitations dont ils sont victimes, comme chacun d’entre nous à des niveaux variables. Arrestation, enfermement, maintien en centre fermé et expulsion sont les dangers qui les guettent en permanence, ne l’oublions pas. L’intention de continuer à organiser des assemblées populaires a néanmoins été réaffirmée. Dans la foulée, nous nous sommes donc à nouveau réunis en groupe de travail Communication pour définir notre prochain objectif. Il nous a d’abord semblé clair qu’il était impératif de travailler à la rédaction d’une liste de points autour desquels chacun aurait l’opportunité d’apporter sa contribution. Il était également évident qu’il fallait nous baser sur les documents déjà produits par les innombrables commissions, ateliers et assemblées populaires à travers le mouvement.

La composition du groupe de travail de ce soir avait évolué. Certains comme moi, étaient déjà là la veille, alors que d’autres avaient rejoint. Et puis, je n’allais pas être là le lendemain, peut-être reviendrai-je dans quelques jours. C’est en cela aussi que les groupes de travail sont innovants. Ils sont à la fois effectifs car ils permettent de produire de l’action mais aussi évolutifs et ouvert à tous, ce qui les rend pluriels et incontrôlables. C’est tout simplement l’horizontalité du pouvoir qui s’expriment en eux. La cession de travail de ce soir s’est donc naturellement dirigée vers le besoin d’identifier les points à traiter en les déclinant sous la forme de thèmes et ce afin de suggérer lors des assemblées populaires suivantes de mettre sur pied des groupes de travail qui puissent traiter ces thèmes et de fait dynamiser le mouvement, afin que les assemblées populaires soient également la possibilité pour tout un chacun de présenter son travail, de le partager ou de créer des initiatives. En revanche, je me dois d’insister sur la nécessité pour ce mouvement de se rallier des compétences, qu’elles soient celles de citoyens juristes, médecins, artistes, ingénieurs, scientifiques, intellectuelles ou autres. Le fait est que toutes les forces en présence appartiennent aux femmes et aux hommes qui composent nos sociétés. C’est pourquoi leurs compétences et leur expérience sont une source intarissable et essentielle au développement du mouvement. Vu que ce dernier se veut citoyen et s’adresse à tous, tout le monde a tout à gagner à ce que tous y participent. L’urgence consistant à remettre les personnes physiques au centre des préoccupations est une inévitable nécessité. Les personnes morales (sociétés privées) ont complètement déséquilibré nos sociétés au lieu de les servir. C’est indiscutablement aux citoyens de reprendre le pouvoir aux oligarchies du secteur privé.

Car le fait est que malgré les démantèlements et les évacuations de plusieurs campements à travers Bruxelles, la Belgique et ailleurs, nous sommes toujours là, nous occupons toujours la rue. Malgré les apparences, le coeur du mouvement est toujours vivant, toujours actif, mobilisé et présent. La preuve en est que des assemblées populaires se tiennent à présent en divers autres endroits de la capitale. Ainsi vous pouvez librement et facilement participer aux Assemblées du Carré de Moscou, de la Place Flagey, de la Place de la Petite Suisse, de la place Morichard ou de l’Avenue de Stalingrad.

Un de mes contacts m’a fait parvenir cette vidéo sur ce qui se passe actuellement en Grèce, aux alentours du Parlement à Athènes. Je vous suggère de visionner les images de la 13è à la 27è minute. Celles-ci montrent la façon dont les citoyens grecs et autres présents sur la place s’y prennent pour reprendre leur espace public aux forces de l’ordre gouvernemental. C’est tout simplement intelligent, puissant et efficace :

Une autre initiative partagée a été prise du côté d’Ixelles. En effet, les réfugiés afghans qui avaient été violemment expulsés du bâtiment qu’ils occupaient depuis l’hiver 2010 rue de la Concorde et des Indignés d’Ixelles ont décidé d’occuper les anciens bâtiments désaffectés d’AB3, situés au 227 de la Chaussée d’Ixelles. Le propriétaire de l’immeuble n’aurait pas marqué son désaccord. Une petite centaine de réfugiés afghans s’y sont donc installés et les Indignés ont également commencé à y déployer leur infrastructure. Une affaire à suivre donc. Je suis en permanence en contact avec des personnes sur place et je compte m’y rendre dans les jours qui viennent afin d’en savoir plus sur cet endroit pour le moins intriguant qui porte le nom de Polygône. Cette nouvelle initiative citoyenne renforcerait-elle le mouvement dans sa volonté de perdurer ? A noter que la décentralisation des assemblées populaires qui est en train de s’opérer spontanément à Bruxelles est une réponse réconfortante à la question que je posais dans mon précédent buvard.

Au regard des effets positifs et de la dynamique créatrice que j’ai pu expérimenter personnellement, je ne peux que vous encourager à vous rendre sur les places publiques, dans les assemblées populaires pour assister et participer aux débats et aux actions citoyennes qui y naissent chaque jour. Si tout cela vous semble encore abstrait ou flou, c’est une raison supplémentaire de faire le pas, afin de vous faire votre propre idée de cet autre monde que vous propose de penser et de construire tous les citoyens déjà mobilisés.

Pour clore ce buvard, je citerai un des slogans qui voyagent à travers le mouvement : "Ne nous regardez pas, rejoignez-nous !"

Badi BALTAZAR
www.lebuvardbavard.com

Les vidéos sont accessibles sur le Buvard à l’adresse suivante : http://www.lebuvardbavard.com/2011/07/les-indignes-bruxelloi...


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Dernière mise à jour de cette page le 14/08/2011

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