Dix ans après la généralisation d'Internet, qu'en est-il de la « fracture numérique » ? Selon le rapport du gouvernement accompagnant, l'année dernière, le plan numérique 2012, entre 2 et 4 millions de personnes en France sont aujourd'hui exclues de l'internet haut débit.
La fracture numérique recoupe et aggrave les fractures sociales (90% des cadres sont équipés, contre seulement 30% des non-diplômés) et territoriales. Dans le monde virtuel, la frontière continue d'exister entre zones urbaines et zones rurales.
A l'origine de cette inégalité : l'architecture du réseau téléphonique, sur lequel s'appuie la grande majorité des accès haut débit. Les « zones blanches », inéligibles à l'ADSL, concernent 2% du territoire et 8% des lignes téléphoniques. Avec un débit limité à 512 kbits/seconde, elles ne permettent qu'un accès lent à de nombreux sites.
La fracture existe même dans les zones moyennement denses : ainsi, en région parisienne, 25% des lignes ne peuvent avoir un débit ADSL supérieur à 5 Mbits.
Une nécessité pratique et sociale
Pourtant, réduire la fracture numérique est un enjeu de société fondamental. Comme le disait récemment Christophe Honoré dans Les Inrocks :
« Internet réalise une utopie qui me faisait rêver quand j'étais un ado breton un peu isolé, à savoir l'accès à la culture depuis n'importe où dans le monde. »
Savoir, services, développement économique, tout passe par Internet. L'accès au réseau est devenu une nécessité pratique mais aussi sociale, comme l'explique Régis Bigot, sociologue du Credoc (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie) :
« Aujourd'hui, ne pas savoir se servir d'Internet peut provoquer un sentiment d'infériorité, car il devient crucial de maîtriser Internet pour être à la hauteur socialement. »
L'arrivée du haut débit semble un facteur décisif dans le désenclavement des zones rurales, reculées ou déshéritées. Du succès foudroyant du rappeur Kamini, qui a fait découvrir au monde son village de Marly- Gomont via Internet, au projet Soho Solo d'aide à l'accueil des télétravailleurs dans le Gers ou aux innombrables sites d'e-commerce de petits producteurs, les exemples abondent.
Comme l'écrit Philippe Vidal, maître de conférences en géographie et aménagement à l'université du Havre :
« Le désenclavement numérique s'inscrit dans une logique de maintien de la ruralité, de préservation et de renforcement des spécificités, de mise en valeur du patrimoine architectural ou mémoriel, de soutien au tourisme vert, de formation des agriculteurs ou d'équipements des écoles. »
« Que manque-t-il ? L'usage de et le sens »
A la fracture territoriale vient se superposer une fracture sociale, car disposer d'un accès Internet satisfaisant ne règle pas tout. Pour le blogueur Bernard Duperrin, le web 2.0 est au coeur de cette deuxième fracture : « Aujourd'hui, n'importe qui peut comprendre comment laisser un message sur Twitter, mettre à jour son profil Facebook, écrire sur un blog », constate-t-il. Pour preuve : l'arrivée en masse des quinquas sur Facebook :
Pourtant, « la fracture demeure. Que manque-t-il ? L'usage et le sens. Tout le monde peut se servir d'une application “nouvelle génération” mais peu voient à quoi elles servent. »
Le cas typique s'avère être un réseau social comme Twitter, très simple d'utilisation, mais dont la grande majorité des gens avouent ne pas comprendre l'utilité. Bernard Duperrin poursuit :
« La fracture numérique serait donc aujourd'hui une fracture sociale dans la mesure où elle concerne la capacité à s'impliquer dans des dynamiques “sociales”. En plus de l'équipement technique donc, reste, afin de réduire réellement la fracture numérique, tout un travail de compréhension des enjeux du web… sur la durée. »