Les décontamineurs de centrales nucléaires sortent du silence

Rue89. 20 janvier 2010 par Sophie Verney-Caillat

Centrale nucléaire en Illinois, Etats-Unis (Bistrosavage/Flickr)

Au-delà des rivalités au sommet entre Proglio et Lauvergeon, l'industrie nucléaire si chère à la France s'incarne aussi dans ces milliers de travailleurs de l'ombre, ces sous-traitants précarisés. Après un premier documentaire sur le sujet, un roman et un témoignage donnent la parole aux « décontamineurs », ceux qui nettoient les centrales nucléaires de leur radioactivité.

La couverture de "La Centrale" d'Elizabeth Filhol

Rien ne prédisposait Elisabeth Filhol à se mettre dans la peau de ces hommes (ce sont toujours des hommes), qui plongent dans le fond des réacteurs au gré des « arrêts de tranche » et colportent leur angoisse de foyer en mobile home, au gré de contrats courts.

« La Centrale » (éditions P.O.L), premier roman de cette femme de 44 ans, contrôleuse de gestion dans l'industrie, est une œuvre simple et touchante, étonnante de précision, toute en pudeur et qui ne cède jamais au pathos.

Esthétique du béton

Tout prédisposait Claude Dubout, 30 ans d'expérience dans le nucléaire, à prendre la parole. C'est le documentaire d'Alain de Halleux, « RAS, rien à signaler » diffusé en mai sur Arte, et dont il est un figurant, qui l'a décidé.

Dans un récit autobiographique  ». Ce qu'il y a derrière ces grilles » (éditions Paulo-Ramand), et sur son blog, il livre son vécu du métier.

Le « décontamineur » a lu « La Centrale » et l'a trouvé :

« Authentique et réel. C'est curieux car elle parle d'une jolie manière de la centrale. Elle nous fait passer de l'autre côté des barrières de sécurité. »

Extrait :

« Vues du ciel, ce sont deux anneaux blancs posés au sol entre la route et le fleuve -dans l'angle que font la route et la rive gauche du fleuve.

En réalité deux énormes coques cylindriques de 150 mètres de diamètre à leur base, légèrement étranglées à la taille, chacune repose sur une couronne de pilotis en béton armé, l'air extérieur pénètre entre les pilotis à l'intérieur de la tour et remonte par convection naturelle, en l'absence totale de vent -ce qui est le cas aujourd'hui-, le panache d'air chaud s'élève à la verticale dans l'atmosphère. »

Les deux livres racontent ce qu'est nettoyer la radioactivité, pourquoi on en arrive là et comment on vit avec l'angoisse de dépasser la dose et de ne plus être apte, d'être forcé à l'arrêt.

20 millisieverts, c'est l'irradiation maximale par personne et par an. Un geste maladroit et on se la prend. Dans cette lecture d'un passage de son livre, Elisabeth Filhol décrit l'angoisse du décontamineur. (Voir la vidéo des édition P.O.L.)


Un goût du risque et du nomadisme, ou simplement la nécessité de travailler poussent ces gens à s'engager dans ce drôle de métier. Extrait de « La Centrale » :

« Eux, ce qui les attire, c'est le danger, la certitude tous les jours de pouvoir se mettre en danger, qui n'est pas à la portée de n'importe quelle tâche dans une industrie quelconque.

Le nucléaire, finalement, ça leur convient, tant que le corps joue le jeu, pas d'attache, le tour de France et dans la durée quand même. »

« Je me voyais comme un sauveur de la radioactivité »

La couverture de "Je suis décontamineur dans le nucléaire"

Il faut pourtant des qualifications en physique, en chimie et en radioactivité, souvent acquises dans d'autres tâches au sein des centrales. Comme Claude Dubout :

« Un jour j'ai entendu ce mot de décontamineur, et j'ai eu un flash, comme une révélation. Je me voyais comme un démineur, un sauveur de la radioactivité.

Aujourd'hui, je n'y vois plus guère d'attrait, je n'ai pas reçu tout ce que j'ai donné. »

Il a bien essayé de changer de métier, mais n'y est pas arrivé. C'est alors qu'il a réalisé combien il était invisible :

« Sur la feuille de paie c'est marqué “agent d'intervention” ou “d'assainissement”. Le mot de décontamination a été créé dans le milieu, mais personne ne le connaît. »

« S'ils se mettent à parler, c'est que la situation va vraiment mal »

Rémunéré comme n'importe quel métier de la logistique, risqué et précaire lorsqu'il faut faire le tour des centrales pour quelques semaines de boulot avec des indemnités de 60 euros par jour pour se nourrir et se loger, le métier n'attire guère.

Alors que les centrales nucléaires françaises vieillissent et ont de plus en plus besoin d'entretien, la précarité des prestataires a de quoi inquiéter, comme le souligne Alain de Halleux, le réalisateur de « RAS, rien à signaler » :

« Pendant 50 ans, les travailleurs ont fait corps avec leur industrie car leur travail avait un sens. Ils fabriquaient de l'électricité pas cher, ils tenaient à leur emploi et aimaient leur travail. S'est développé un grand secret de famille. Aujourd'hui, s'ils se mettent à parler, c'est que la situation va vraiment mal. » (Voir la bande-annonce du documentaire)


Photo : centrale nucléaire en Illinois, Etats-Unis (Bistrosavage/Flickr)

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Dernière mise à jour de cette page le 21/01/2010
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