Marianne : Comment réagissez vous au projet du gouvernement de réduire de 25 % le budget du Samu social ?
Stefania Parigi : Pour l’heure, ce qui est certain, c’est que nous ne sommes pas sûrs de voir notre budget renforcé cette année, alors que le nombre de bénéficiaires que nous prenons en charge ne cesse d’augmenter. Chaque jour, nous hébergeons 21 000 personnes seules ou en famille, dont plus de 5 000 demandeurs d’asile. Ce sont des gens en situation d’urgence, qui sont dépendants du Samu social. J’ajoute que l’Etat est notre seul financeur et, pour compléter le tableau, que si, en 1999, nous recevions 15 % de familles, aujourd’hui ce pourcentage s’élève à 75 %. La diminution de nos crédits risque de nuire gravement à ces familles, toujours plus nombreuses, qui ont recours à notre dispositif. Certaines n’ont d’autre choix que d’aller passer la nuit aux urgences ! On nous demande à juste titre un effort particulier face à l’afflux de ces familles.
Sans vous en donner les moyens…
S.P. : Exactement ! Car nous recevons, en outre, de plus en plus de femmes isolées, de jeunes de moins de 25 ans, de personnes vieillissantes ; bref, tous les fragiles d’une société française en voie de déclassement et de paupérisation accélérés. Nous rencontrons les mêmes difficultés que les services d’urgences hospitalières, eux aussi saturés. Notre numéro d’appel, le 115, comme celui des urgences sont ouverts 24 heures sur 24 aux Français les plus fragiles. Sait-on que le 115 de Paris traite plus de 1 000 appels par jour, sur 10 à 15 000 appels reçus ? Ce qui témoigne d’une activité d’hébergement, d’écoute et d’orientation énorme et manifestement saturée par la demande ! Comme l’hébergement d’urgence, la régulation des flux d’appels au 115 fait partie de nos missions principales. Dans un moment de grande fragilité de la société française, on peut vraiment se demander ce que vont devenir les familles qui réclament nos services. Notre vocation à accueillir un public vulnérable est grandement mise en danger par ce projet de compression drastique de nos moyens financiers. C’est la raison pour laquelle notre président-fondateur, Xavier Emmanuelli, a lancé un cri d’alarme officiel.
Cette compression budgétaire annoncée vous obligerait-elle à réduire le nombre de places en hébergement collectif ?
S.P. : Oui, c’est absolument cela. Le Samu social de Paris ne dispose en propre que d’environ une quarantaine de places en hébergement collectif, chiffre largement insuffisant, ce qui nous oblige à placer de nombreuses familles dans des hôtels. La compression des budgets va nous priver de la possibilité de réhéberger ces familles dans le parc hôtelier francilien, d’où notre recours grandissant aux urgences hospitalières. Cela est d’autant plus grave que les 20 à 40 personnes en famille pour lesquelles nous n’arrivons pas à trouver d’hébergement d’urgence forment déjà un public désocialisé, qui n’a aucune chance d’accéder à un logement définitif. Il ne faut pas s’y tromper : les personnes qui ne sont pas en capacité d’accéder à un logement continueront à faire appel aux dispositifs d’urgence, tels que le Samu social de Paris. Ce que cette crise met en lumière, une demi-décennie après le début du mouvement des Don Quichotte, c’est la nécessité de refonder la politique d’accès au logement.
En clair, c’est là une question politique que vous renvoyez au politique !
S.P. : Mais oui, bien sûr. Il est gênant qu’au moment où il constitue la principale roue de secours d’une société fragilisée, l’hébergement d’urgence soit frappé de la sorte. Comme le flux des familles entrant dans notre dispositif d’aide ne fait qu’augmenter, les mesures restrictives annoncées constituent une catastrophe : elles vont dans le sens exactement inverse de ce que la gravité de la situation requiert. Notre budget prévisionnel de 80 millions d’euros, tous demandeurs confondus (dont 12 affectés à la demande d’asile), est largement en retrait par rapport à l’intensité des besoins en aide sociale d’urgence de la population francilienne, et plus largement française, d’aujourd’hui.
Xavier Emmanuelli prétend que le gouvernement actuel « ne comprend pas ce qu’est l’urgence sociale [qui] vise à maintenir les gens en vie ». Qu’entend-il par là ?
S.P. : Qu’il y a une tendance de fond qui préexiste à ce gouvernement et à ses décisions. En France, il n’existe toujours pas de structures de soins adaptées aux différentes souffrances de la population. Notamment en ce qui concerne la grande souffrance psychiatrique, en particulier les psychoses. L’expérience pilote d’ouverture de lits d’accueil médicalisés à Lille va, peut-être, cela dit, porter ses fruits et inspirer une prise de conscience nationale. Là encore, notre mission est d’accueillir un public vulnérable. La situation qui nous est réservée n’est pas forcément en adéquation avec cet objectif. Une même lacune de moyens est observable dans le cas des Restos du cœur et autres banques alimentaires. L’été, lorsque toutes les structures traditionnelles d’aide alimentaire et d’aide sociale font relâche, les demandes du public auprès de notre structure enregistrent une nette augmentation.
Le gouvernement ne réagit pas à vos appels ?
S.P. : Hélas, non. Les chiffres sont éloquents : 1 930 000 nuitées ont été offertes en 2010 aux personnes isolées ou en famille – soit une augmentation de 24 % par rapport à 2009 – ; 21 314 personnes ont été hébergées, seules ou en famille, au cours de la même année – soit une augmentation de 16 % par rapport à 2009 – ; quant au nombre de personnes en famille, 11 200, il dépassait l’an dernier le nombre de personnes isolées – 10 300, dont 14 % ont moins de 25 ans. En 1999, nous recevions 12 600 usagers isolés, pour 1 800 personnes en famille. Les tendances qui se dessinent pour l’année en cours renforcent cette évolution. Vous voyez, c’est un coup très rude qui est porté à notre activité…
Propos recueillis par Clotilde Cadu et Alexis Lacroix