Les mots ont un sens. Le 18 Novembre 2010 par Napakatbra
Le Multaq débarque dans les bacs de votre pharmacie préférée. Pourtant, tout porte à croire que ce nouveau médoc contre l'arythmie cardiaque (fibrillation auriculaire) est moins efficace qu'un traitement déjà existant. Il se pourrait même qu'il soit plus dangereux. Aïe. Mais il rapporte plus ! Ouf.
2009 : Le laboratoire Sanofi-Aventis annonce en fanfare un nouveau médicament destiné à lutter contre les troubles du rythme cardiaque, le Multaq, dont la molécule active est la dronédarone. Génial ! La nouvelle pilule est bien plus efficace que l'ancienne, parait-il, et elle entraine moins d'effets secondaires, ne contenant pas de dérivés iodés. Tous bénefs' pour les patients, comme pour le labo, car l'amiodarone, la molécule utilisée depuis un demi-siècle, est maintenant tombée dans le domaine publique. Elle est donc disponible sous forme de génériques, au tarif avantageux de 9,83€ par mois de traitement. Contre 83,39€ pour le Multaq. Et oui, le progrès, ça se paie ! Après les échecs de l'Avandia, de l'Acomplia, du Di-Antalvic et de quelques autres remèdes douteux, récemment retirés en urgence des étagères, le laboratoire va enfin pouvoir se refaire une santé !
Avril 2010 : Un rapport de l'Institut de cardiologie Cedars-Sinaï de Los Angeles vient taquiner le Multaq (commercialisé aux Etats-Unis depuis juillet 2009). Les chercheurs américains, qui ont mené leur étude auprès de 30 000 patients, estiment qu'il serait moins efficace de 50% par rapport au générique couramment utilisé. Pour eux, la nouvelle pilule ne devrait être utilisée qu'en cas d'intolérance à l'amiodarone.
SMR modéré, ASMR V : le Multaq recalé !
Juin 2010 : La Commission de transparence de la Haute Autorité de Santé (HAS) juge que le Multaq ne présente aucun "avantage démontré par rapport à l'amiodarone". Pire, dans certaines études, la Commission relève que le nouveau traitement est moins bien supporté par les patients que l'ancien ! Encore pire, un essai a même dû être stoppé d'urgence car la surmortalité du groupe traité au Multaq était trop importante. Oups. Conclusion : "Le rapport efficacité / effets indésirables de Multaq est modéré". Conséquence : à Service médical rendu (SMR) "modéré", le Multaq ne devrait être remboursé qu'à 35%. Une catastrophe... boursière. Le cours de l'action Sanofi-Aventis a chuté de 22% entre les premières rumeurs et l'annonce officielle de la Commission.
Aout 2010 : Le Multaq reçoit une recommandation qui tombe à pic. Celle de la Société européenne de cardiologie (ESC), qui fait le grand écart : si le Multaq est certainement moins efficace que l'amiodarone, il pourrait être considéré comme étant plus sûr. De ce fait, les cardiologues préconisent de le prescrire en priorité.
La Haute autorité de Santé, infiltrée par le Collège de Pataphysique ?
Septembre 2010 : Contrairement à toute attente, l'HAS retourne sa veste. Elle réévalue désormais le SMR du Multaq à "important", "comme celui de l'amiodarone", malgré le fait qu'il "n'apporte pas d'amélioration du service médical rendu", d'où un ASMR V, le plus mauvais. Et hop, ni vu ni connu, j'te soigne. Et la Sécu te remboursera à 65%. Bingo, le cours de bourse remonte de 12%. "A peine deux euros par jour" affirme le vice-président du "Comité économique des prix de santé" au Canard Enchainé. Pas grand chose, finalement, comparé au milliard et demi d'euros qu'en attend annuellement le labo à l'horizon 2014. Quant aux avis contradictoires des experts de l'HAS ? "Ils se sont gourés, c'est tout" ! Euh... et ils se "gourent" souvent, comme ça ?
Novembre 2010 : le médicament est enfin disponible en pharmacie. Et les patients sont priés de gober la pilule. Le bonheur, si j'veux. Quelques jours plus tard, l'Institute for Safe Medicine Practices (ISM), une organisation américaine indépendante de surveillance sanitaire, remet un rapport incendiaire, pas franchement recommandé aux cardiaques : "Nous avons rarement vu un médicament présentant autant de problèmes dans autant de domaines différents en matière de sécurité sanitaire" affirme le document, qui se base sur les publications des agences officielles. Selon l'organisation, les récents rapports gouvernementaux feraient état de 24 décès, "387 accidents sérieux dont le médicament serait le principal suspect", 100 cas d'accidents cardiaques, quelques dizaines de tachy ou bradycardie et de nombreuses victimes d'interactions médicamenteuses fortuites !
Et, pendant que notre secrétaire d'Etat à la Santé Nora Berra, qui a bossé pour Sanofi de 2006 à 2009, s'escrime à relativiser les accusations portées par l'Afssaps contre le Mediator, les actionnaires de Sanofi-Aventis pourront aller se dorer la pilule... D'ici à ce que le médicament soit retiré du marché, les profits auront coulé à flots (et noyé le poison).
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