A force vous me connaissez. Sous des abords cyniques et désabusés, j’ai en vérité la fibre révolutionnaire,l’inspiration prolétarienne, le réflexe barbussien. La première chose que je fis donc l’autre jour en débarquant à la gare de Lyon, c’est de prendre le métro, ligne n°1, direction Bastille. Ah la place mythique, avec sa colonne centrale surmontée de son génie ! Le symbole de la prise du pouvoir par tout un peuple sur une caste aristocratique, décadente, esclavagiste et perverse. La mise à bas d’un système féodal, inique et féroce, et l’érection de valeurs universelles, gravées aux frontispices de nos monuments nationaux, ainsi que de nos consciences de citoyens libres, égaux et fraternels, reprises et défendues âprement par tous nos dirigeants, sans exception, qui depuis presque deux siècles, se sont vus confier la lourde et pourtant si noble tâche de mener notre belle nation démocratique sur les chemins du respect de tous les hommes et de l’amitié entre les peuples, et qui… Et là je m’arrête car j’en pleure tellement c’est beau.
C'est encore d'Ormesson qui fait son intéressant!!
Après avoir médité sur ce pan grandiose de notre histoire, c’est tout naturellement que je pris la direction de l’Est, empruntant le faubourg Saint Antoine, pour me rendre à la Nation, afin de retrouver les traces des anciens meneurs syndicaux et des chefs historiques du parti communiste, qui seuls savaient représenter les travailleurs et les classes laborieuses. Qu’il était bon le temps où les Séguy, Krasucki, Marchais, défilaient de concert et tenaient la banderole. On pourra dire ce que l’on veut mais les 1ers Mai à l’époque, ils avaient une autre gueule que maintenant !
Taisez vous Elkabbach!!!
Je me suis toutefois souvent demandé pourquoi les manifestations se déroulaient presque toujours dans les quartiers dits populaires de la capitale, et non pas plus à l’Ouest, là où les classes bourgeoises dominantes, capitalistes et corrompues ont élu domicile et exploitent sans vergogne les masses populaires. Taisez-vous Elkabbach !!! A cause de la place prépondérante que la Bastille et la Nation occupent dans nos inconscients collectifs, cela parait certain.
A cause du fait que le palais de l’Elysée, siège du pouvoir exécutif, garant de nos institutions et de l’harmonie entre les forces vives de la nation, mais néanmoins situé dans les quartiers aisés, ne soit pas pris pour cible par des éléments incontrôlés, si des débordements venaient à se produire lors de rassemblements houleux. Pourquoi pas. Un vieux parisien, accoudé au zinc d’un troquet crasseux, pragmatique et blasé comme seul un titi parigot peut l’être, d’une voix goguenarde, quoique déjà alourdie, malgré l’heure matinale, par le Muscadet sur lie, me lance sur une 3ème piste. « C’est parce qu’on est loin du fleuve ! La dernière fois qu’ils ont voulu manifester chez les rupins, ça s’est pas vraiment bien terminé… »
A-t-il voulu faire allusion à un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, et dont sans le recours aux archives, je n’aurais pu moi-même me souvenir, puisque les événements évoqués eurent lieu le 17 octobre 1961, date à laquelle ma conscience politique n’était pas aussi affûtée qu’elle peut l’être aujourd’hui, étant encore protégé par l’albuginée de mon père. A cette époque, le préfet de police se nommait Maurice Papon. Mais il préférait, depuis la fin de la guerre, se faire appeler Héron, pour d’évidentes raisons de discrétion, eu égard à ses activités bordelaises durant les hostilités. Cela ne l’empêchait pas de se faire reconnaître parfois par les enfants de ses anciens voisins qui s’écriaient : « Regardez, c’est Monsieur Papon ! » Il s’approchait alors de l’insolent et le sermonnait ainsi : « Héron, Héron, petit, pas Papon. »
Héron petit, pas Papon...
Jusqu’à ce jour d’octobre 61, quand il reçut un coup de fil du Général de Gaulle en personne, qui sans se départir de son franc parler habituel et de ses conseils sentencieux et lapidaires, débuta la conversation de la manière suivante, lorsqu’il s’entendit dire : « Héron à l’appareil ! » « Alors là mon vieux, débarrassez vous de ce sobriquet ridicule et reprenez sur l’heure votre nom de jeune homme, fonctionnaire zélé dans une période troublée qui ne fit que son devoir, et à qui j’accorde cependant toute ma confiance. Héron ! Quelle chienlit ! Pourquoi pas dindon ou tête de veau, pendant qu’on y est ! Mais ceci n’est pas l’objet de mon appel et j’ai besoin, mon cher ami, de vos talents de jardinier et de nettoyeur de fosse à purin pour empêcher la mauvaise herbe d’envahir la chaussée, et qui a projeté de souiller nos beaux quartiers jusqu’à la place de l’Etoile. Tante Yvonne veut y faire un pique nique et la semaine prochaine, je reçois je ne sais plus quel roi nègre, qui a du pétrole et de l’aluminium, et à qui je veux faire les honneurs de la plus belle ville du monde. Ah Paris, Paris brisé, Paris outragé, mais Paris nettoyé!!!
Quelle chienlit!!
Bref, j’ai pensé que vous pourriez bloquer cette sale engeance, cette ivraie assassine, au pont de Neuilly. Après on verra bien. Je compte sur le savoir faire de vos effectifs. Prévoyez aussi quelques interventions vers Saint Michel et à la Concorde et débrouillez vous pour que ce petit monde tombe dans la Seine. La vermine ça ne sait pas bien nager. Je sais, c’est une entreprise considérable, mais vous avez carte blanche mon cher Maurice et je vous accorde des moyens illimités en hommes et en matériel pour mener à bien cette mission salutaire pour notre pays, et qui vous fera entrer dans l’Histoire par la Grande Porte, celle par laquelle moi-même j’y entrais, lorsque je décorais personnellement de la Légion d’Honneur, tous les fiers et intègres membres de la police parisienne, pour leur conduite exemplaire et leur héroïsme pendant la libération de Paris. Vive la République et vive la France ! »
17 octobre 1961
En 42 mon père il aimait bien le cyclisme. Moi je préfère la natation...
C'est bien le sport, ça défoule.
De nos jours on peut encore visiter le bureau de Monsieur Papon à la préfecture de police. Il y a dans ce bureau, de grands placards, remplis de vieux classeurs aux feuilles rongées par des nuées de mites, qui s’envolent agacées, quand le guide ouvre leurs portes pour nous en montrer le contenu. Une vieille dame ne peut s’empêcher de s’exclamer : « Elles sont antiques ces mites ! », sous l’œil faussement courroucé du gardien qui nous fait passer dans la pièce à côté.
Après cette visite troublante, je fus tenté, pour me changer les idées, d’assister à une émission télévisée d’Arthur, dont les facéties me comblèrent d’aise. Cependant, après l’enregistrement, Monsieur Arthur ne voulut recevoir personne. Son attaché de presse nous dit d’un air contrit que la vedette n’était pas dans son assiette et qu’il était d’humeur maussade. Il devait de surcroît, couver une mauvaise grippe car derrière la porte de sa loge, on entendait des Tsa aal ! Tsa aal !, bruits caractéristiques émis par une personne en proie à une forte crise d’éternuements. A moins qu’il ne s’agît d’une irritation du gros côlon qui lui interdisait de recevoir l’hommage de ses admirateurs. Quoiqu’il en soit, souhaitons un prompt rétablissement à notre humoriste préféré, afin qu’il soit en super forme pour gagner le procès qui l’oppose à l’infâme pourceau gauchiste et bolchevik de Didier Porte, qui ose vomir quotidiennement ses chroniques nauséabondes et mensongères sur notre grande radio publique, avec l’argent de nos impôts ! Prions pour que son Directeur, le bon Monsieur Philippe Val, ait la fermeté nécessaire pour virer définitivement cet énergumène vociférant, aux idées tendancieuses, dangereuses pour notre démocratie.
DP: Depuis que je suis dans le collimateur de Val, je fais salle pleine...
A: Je devrais me faire embaucher sur France Inter, raconter des conneries sur
les sionistes, me faire virer par Val pour antisémitisme.Ca relancerait ma carrière...
Reprenant mes pérégrinations, je me rendais chez un vieux disquaire baba cool, spécialisé dans le vinyl d’occasion. Le hasard faisant bien les choses, je dégotais un 33 tours intitulé « Ils finiront sur l’échafaud ! » de Font et Val, le déjà nommé, quand il officiait avec son compère, comme humoriste contestataire, tirant à feu nourri sur les hommes politiques de droite. Quand Patrick Font fut condamné pour attouchement sur mineur, Monsieur Val se désolidarisa fort justement de son camarade de scène, pour poursuivre la brillante carrière que nous lui connaissons, et atteindre le zénith de la sphère médiatique, car notre cher Président, qui l’a nommé à ce poste, sait reconnaître les grands hommes de talent, fidèles et intègres qui jamais ne renient leurs convictions.
AVANT
Ce qui est bien quand t'es humoriste, c'est que tu peux tout te permettre!!!
L'important c'est de ne pas tomber dans la vulgarité...
MAINTENANT
Fourbu mais heureux de cette journée à la capitale, riche en événements et émotions, je décidais pour rentrer à mon hôtel, de héler un taxi qui stoppa à ma hauteur. Le conducteur, un sympathique Marocain, jovial et souriant, baissa sa vitre et me fit signe de grimper. Je m’installais à l’arrière, côté droit. « Où c’est que je vous dépose M’ssieur ? » demanda mon chauffeur. « Boulevard de Charonne » répondis-je. Je vis alors dans le rétroviseur, que la physionomie du bonhomme avait changée, et qu’il me regardait d’un drôle d’air. Il régla toutefois son compteur et démarra. Prétextant des travaux de voirie, il évita adroitement la rue de la colonie, puis arrivé à la hauteur de la rue des martyrs, il s’arrêta net, se retourna et me dit, avec un sourire mystérieux et un regard profond : « Désolé M’ssieur, mais je ne vais pas plus loin ! »
Ils en ont une à Varsovie!
A Gaza aussi!!!
Mais rassurez vous, je n’étais pas perdu car à quelques enjambées, se trouvait la Butte Montmartre, qui fleurissait ses lilas sous les fenêtres, avec son funiculaire, sa basilique, sa place du tertre, ses peintres, ses restaurants, ses touristes japonaises, américaines, suédoises ou italiennes. Voilà qui me rappela de bons souvenirs, peuplés de folles escapades nocturnes, de copieuses beuveries, de sérénades enflammées pour séduire les belles du monde entier et pour apprendre à bien manier leurs langues. Ah, c’est beau d’avoir 20 ans à Paris, au mois de mai, et vivre la Bohème, comme dans la chanson d’Aznavour. Mais j’y retournerai, cette fois ci au mois d’août, pour marcher sur les pas du sieur René Fallet.
Bons baisers de la capitale.
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