Le cannabis, un commerce comme un autre ?

Marianne2. Le 18 Juin 2011 par Tefy Andriamanana (publié par Marie)

 

Pour contrer le système mafieux à la tête du trafic de cannabis, certains prônent une prise de contrôle du marché par l’Etat. D’autres pensent qu’on ne fera que contourner le problème. Mais combien pèse réellement le marché français du cannabis ?

Le marché du cannabis est beaucoup moins « peace and love » qu’on ne le pense. Au delà du problème sanitaire, c’est la mainmise de mafias sur le trafic qui pose problème, mainmise qui engendre violence, blanchiement d’argent et même des règlements de comptes sanglants. La situation de Sevran est en cela éloquente. Récemment, des enfants d’une école ont du passer leur récré dans les locaux de peur qu’ils se prennent une balle perdue. En 2009, un immeuble de la ville a pris feu, causant cinq morts, probablement dans un règlement de comptes entre dealers. 

Face à cela, certains prônent une légalisation du cannabis avec prise de contrôle du marché par l’Etat. C’est ce que propose Daniel Vaillant, ex-ministre de l’Intérieur de Jospin, dans un récent rapport. Ce dernier parle d’une « légalisation contrôlée » et de la création d’une « filière nationale sur le modèle du tabac ». Bref, que tout le circuit de la production à la vente au détail, soit contrôlé par l’Etat. Vaillant ne fait que réveiller un très vieux débat. D’autres, comme Stéphane Gatignon, maire écolo de Sevran, défendent la même position. Leurs arguments : contrôler la consommation et éviter que circulent des produits coupés avec on ne sait quoi et couper l’herbe sous le pied des dealers. C’est ce dernier argument qui est de plus en plus avancé.

Dans son livre Pour en finir avec les dealers (co-écrit avec Serge Supersac, éditions Grasset), Gatignon compare la prohibition du cannabis en France avec la prohibition de l’alcool aux USA du temps d’Al Capone. « La prohibition des drogues en France, comme la prohibition de l’alcool aux Etats-Unis le fit en son temps, fait des ravages au-delà des balles. Les mafias, nourries par l’argent de l’économie parallèle, font régner la terreur dans les quartiers et se substituent peu à peu à l’Etat en imposant à la population cet odieux dilemme : vous marchez avec nous ou contre nous » (page 12).

Marché parallèle

L’enjeu pour les partisans de la légalisation est donc de casser tout un marché parallèle lui même générateur de violence.  Car la prohibition du cannabis a offert un juteux et convoité marché aux gangsters. En France, on compterait 1,2 millions de consommateurs réguliers. En 2007, une étude de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies avançait une fourchette haute de 832 millions de chiffre d’affaires par an. 

Mais même à gauche, on conteste un telle mesure. Certains comme Jean-Jacques Urvoas préfèrent diminuer les sanctions contre les simples consommateurs pour alléger le travail de la police. D’autres comme Royal estiment qu’il faut plutôt lutter directement contre les dealers au lieu de chercher des solutions de repli. Autres arguments des opposants, notamment François Hollande, une dépénalisation unilatérale serait dangereuse. Les Pays-Bas, ne voulant plus être un paradis pour le tourisme de la drogue, veulent d’ailleurs réserver la consommation légale de cannabis aux résidents. La solution serait une mesure à l’échelle européenne, ce à quoi n’est pas opposé Daniel Vaillant.

Mais quelle est la dimension économique exacte de ce trafic ? Dans les esprits, le trafic de cannabis fait vivre de nombreuses familles dans les cités. Une idée remise par Stéphane Gatignon, interrogé le 6 juin par Marianne. « Quand on dit ça fait vivre des familles dans les cités, c’est de plus en plus faux. Aujourd'hui, c'est le cas. (…) Le réseau est structuré, il y a les petits dealers embauchés la journée et à la semaine, qui n’habitent pas le quartier. Ce sont eux qui prennent tous les risques, qui prennent les balles. (...) Au dessus, on a deux échelons dont 1500 qui tiennent le trafic en France. Ce sont eux qui se font du fric », raconte le maire. Pour lui, les plus gros dealers ne vivent pas en HLM : « Ils ont des pavillons à Villepinte».

Le shit, source de revenus pour les cités ?

Dans Pour en finir avec les dealers, Stéphane Gatignon parle d’une « économie de subsistance »  au sein des cités et témoigne notamment du sort des « nourrices », des personnes, souvent des femmes seules avec enfants, payées pour garder de la drogue à leur domicile contraintes de subir des menaces parfois physiques pour arrondir leurs fins de mois. 

Et combien gagne un dealer ? Difficile de le savoir, le circuit de financement du secteur étant naturellement opaque. Cela dit, le fait est que pour beaucoup ce n’est pas une activité principale. Selon une étude de Nacer Lalam et Franck Nadaud pour le dernier rapport annuel de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, 18 022 personnes sur 21 372 arrêtées dans des affaires de trafic local de cannabis entre 2005 et 2009 avaient un emploi déclaré. Bien évidemment, certains peuvent déclarer un faux emploi pour éviter d’attirer les soupçons.

Il faut donc se pencher sur les profits financiers directs du trafic de cannabis. Les études sont rares dans ce domaine. On peut citer notamment un rapport pour l’OFDT datant de novembre 2007. Dans son article, l’économiste Christian Ben Lakhdar, citant des travaux du milieu des années 90, précise d’emblée que « la conclusion majeure à laquelle aboutissent ces travaux est que l’économie de la drogue dans  ces quartiers ne constitue qu’une économie de subsistance où l’enrichissement important individuel et l’enrichissement collectif (au niveau du quartier) ne sont en fait que des idées préconçues » (page 3).

Précarisation de la main d'oeuvre

En utilisant des simulations statistiques, le chercheur a établi 3 scénario. Ainsi un dealer sur la base d’un marché de 1,2 millions de consommateurs réguliers pouvait gagner 34 114 euros par an voire 74 432 sur un marché de 550 000 consommateurs réguliers.  Mais bien évidemment, cette simulation ne dit rien des différences de revenus entre tous les échelons du trafic. 

Pour cela, Ben Lakhdar a établit un scénario à trois échelons, « le plus robuste » selon lui. Sur la base d’un marché d’1,2 millions de consommateurs réguliers pour un CA total de 832 millions d’euros, un semi-grossiste empocherait 253 136 euros par an soit 15 fois plus que le Smic brut annuel et même 552 298 euros sur un marché de 550 000 consommateurs quotidiens.  Pour autant, cette somme ne prend pas en compte les coûts de productions des locaux aux frais de personnel. En bas de l’échelle, avec 1,2 million de consommateurs réguliers, on est nettement moins bien lotis, le 2e échelon gagnerait 35 288 euros par an, et le vendeur final… 4573 euros. Nettement moins qu’un stagiaire. Ce ne sont donc pas les petits dealers des cités qui profitent le plus du trafic de cannabis.

Pour le chercheur, on peut donc « réaffirmer que le commerce de cannabis n’est que peu profitable au bas de l’échelle de distribution. Ce commerce ne commence à être lucratif qu’à partir du 2ème intermédiaire, quand les volumes annuels échangés sont supérieurs à la dizaine de kilos » (page 17). Le système mafieux autour du trafic de drogue engendre de la violence voire des morts pour les quartiers pauvres pas forcément des profits financiers. Il en va donc du trafic de cannabis comme de n’importe quel commerce : une majorité de petites mains précaires qui prennent tout sur eux et une petite minorité qui engrange les profits en toute quiétude. Les gros bonnets de la drogue sont de vrais capitalistes en herbe.


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Dernière mise à jour de cette page le 18/06/2011

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