Combien d’enfants, dans le monde, sont-ils atteints par la malnutrition ? Aussi étrange que cela puisse paraître, une telle évaluation est difficile à établir. La malnutrition d’un enfant peut en effet être globale, massive, se traduire alors par un manque global de calories journalières. Mais elle est aussi délétère par ses aspects qualitatifs : le manque de vitamines A, qui rend aveugle, d’iode, qui provoque l’arriération mentale, le fer, qui affaiblit les défenses immunitaires et expose à toutes les infections…
La malnutrition agit donc sur les enfants de multiples manières. Ils meurent très rarement de « faim », mais souffrent parfois définitivement de ce que la malnutrition provoque. Chaque année, entre 150 000 et 200 000 enfants perdent la vue faute de vitamine A ; 780 millions d’êtres humains — dont la moitié sont des enfants — sont carencés en iode, alors même que la quantité d’iode nécessaire à une vie entière tient dans une cuillère à café.
Au total, la mort de la moitié des 26 000 enfants de moins de cinq ans qui disparaissent chaque jour est imputable à la malnutrition. Chacune des quatre maladies qui emportent le plus d’enfants : le paludisme, la rougeole, les infections respiratoires et les déshydratations diarrhéiques ne sont mortelles que si elles surviennent sur des organismes affaiblis par des apports alimentaires insuffisants en quantité et en qualité.
Un quart de ces enfants meurent pendant le premier mois de leur vie. Ceci relève en grande partie de l’effondrement de la pratique de l’allaitement maternel, directement imputable à la pression commerciale et publicitaire des grandes multinationales du lait en poudre. Dans un pays aussi pauvre que le Niger, où les femmes ont en moyenne plus de sept enfants au cours de leur vie, l’allaitement maternel est tombé au dessous de 20 %.
Les organisations du système de l’ONU ne cessent de tenter d’alarmer l’opinion internationale sur le thème de la malnutrition qui atteint désormais un milliard d’êtres humains sur la planète. L’Unicef (Fonds des Nations unies pour l’enfance) estime que 150 millions d’enfants souffrent de carences nutritionnelles qui auront un impact définitif sur leur développement, ce qui représente un tiers des enfants de moins de cinq ans des pays en développement, un quart à l’échelle du monde. Ces enfants sont les plus nombreux en Asie du Sud, compte tenu de son poids démographique. Mais en proportion, c’est l’Afrique qui reste le continent le plus touché : elle dénombre à elle seule la moitié des décès de jeunes enfants alors qu’elle ne compte que moins du quart des enfants du monde.
Un tel constat impose bien entendu une analyse des causes d’une telle situation, causes enchevêtrées les unes aux autres, qui tiennent tout autant à des facteurs politiques, économiques, démographiques que climatiques.
Il est indubitable que l’aveuglement des politiques porte ici une responsabilité majeure. Systématiquement, l’agriculture vivrière du nord comme du sud a été sacrifiée au profit des cultures de rente, seules réputées de taille à apporter aux pays pauvres les devises qui leur manquent. La crise actuelle n’a fait qu’augmenter cette propension : moins de 10 % des investissements mondiaux vont aujourd’hui vers l’agriculture, contre 20 % dans les années 1980 et ils ne se dirigent que très peu vers les petites exploitations familiales, seules capables d’enrayer efficacement la malnutrition. Le schéma industrialiste appliqué à l’agriculture entre pour beaucoup dans la situation actuelle.
Le même schéma est à l’œuvre dans le développement accéléré des agrocarburants, comme le montre à l’évidence le cas du Brésil, engagé à fond dans cette politique qui menace sa forêt équatoriale et ses ressources en eau, alors même que 10 % des enfants y souffrent de retards de croissance dus à la malnutrition. Dans la même ligne, la Chine, en proie à sa frénésie d’urbanisation, a perdu trois millions d’hectares de rizières en dix ans.
Crise financière, crise agricole
La crise actuelle, crise financière, crise économique, n’a pas – ou pas encore – permis aux politiques de prendre la mesure de leurs responsabilités dans ce domaine. Le sujet de la malnutrition ne s’invite que très modestement aux banquets des puissants. La spéculation sur les matières premières agricoles qui a précipité depuis 2008 des millions de familles sous le seuil de la survie, n’a nullement été enrayée puisque les cours demeurent, aujourd’hui encore, nettement supérieurs à ceux de… 2006. Or chaque hausse de 1% du prix des céréales de base fait plonger 16 millions de personnes dans l’insécurité alimentaire estime le Fonds international de développement agricole des Nations unies. Selon l’Unicef, 50% des ménages d’Afrique subsaharienne vivent avec moins d’un dollar par jour.
La spéculation porte d’ailleurs aujourd’hui non plus seulement sur les produits agricoles mais aussi sur les terres : un certain nombre de pays tels que l’Indonésie, le Soudan, le Cambodge doivent à présent louer et même vendre une partie de leur territoire pour remédier à leurs déficits ; des terres dont la production agricole sera acheminée vers le pays « acheteur », généralement les monarchies du Golfe arabique, et non pas, bien sûr, vers la population locale.
La planète peut produire plus, beaucoup plus, de biens agricoles qu’elle ne le fait aujourd’hui. Elle le peut, et d’ailleurs le devra puisqu’elle comptera, selon toute probabilité, quelque neuf milliards d’habitants en 2050 dont trente à quarante pour cent auront alors moins de vingt ans. Un exemple : l’Inde compte actuellement 130 millions d’enfants de moins de cinq ans. La moitié d’entre eux sont atteints de malnutrition, parmi lesquels on trouve une majorité de filles, d’enfants de basses castes et d’intouchables. Combien d’entre eux, d’ici à 2050, seront encore en vie ? Combien auront perdu la vue ?
Parmi les droits des enfants, le droit à la nutrition a parfois fait figure de parent pauvre. La célébration du 20e anniversaire de la Convention sur les droits de l’enfant devrait permettre de rompre ce silence.