Le Lot en Action. 24 septembre 2009 par Bluboux
Les agriculteurs sont en colère et l'on est abreuvé d'images « choc », très pratiques pour faire de l'audimat ou vendre du papier. Mais quelles sont les vraies raisons de la crise du lait ? Le marché est aujourd'hui entre les mains d'une poignée de multi-nationales, les producteurs sont exsangues et le citoyen paye son lait toujours aussi cher.
Crédits : BELGA/AFP - Michel Krakowski
Quand on parle du Lot, on imagine plus facilement les causses, modelés par une agriculture ancestralement ovine. Mais c'est très vite oublier que le Lot ne se résume pas aux Causses. Du Ségala, en passant par la Bouriane et le Quercy Blanc une grande partie de notre territoire n'est pas composé d'un sol Karstique, et de nombreuses exploitations agricoles élèvent des bovins et produisent du Lait. Certes les petites exploitations disparaissent, mais il demeure de nombreux exploitants qui sont touchés de plein fouet par la crise du Lait (environ 500 producteurs lotois en 2009 contre 1000 il y a dix ans. Au niveau national, sur 10 ans, c'est 78% des producteurs qui ont disparu).
Or sur le sujet, si la presse est assez prompte à diffuser des images spectaculaires d'agriculteurs déversant du lait dans la baie du Mont Saint-Michel ou bien encore, pour rester local, à Figeac ou Lacapelle, on ne trouve rien sur les vraies raisons de cette crise. Le prix auquel l'industrie laitière achète le lait au producteur a très fortement baissé, passant au-dessous du seuil du coût de production. C'est entendu, on a pu le lire un peu partout. Mais il convient de s'intéresser aux mécanismes qui fixent les prix.
Depuis 1994 l'Organisation Mondiale du Commerce, relayée par le Fond Monétaire International, pousse très fortement tous les pays à déréguler leur marché intérieur du lait. De gros pays exportateurs, comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande inondent le marché mondial et si l'on rajoute à cette situation des excédents énormes de production aux Etats-Unis et dans l'Union Européenne, on comprend assez facilement que les prix ont commencés à chuter (entre 2009 et 2008, le prix du litre de lait payé au producteur a baissé de 18%, contre une hausse des charges de 13%). Comme pour beaucoup de denrées alimentaires, les cours mondiaux du lait sont maintenant fixés à la bourse de Chicago, et le marché étant mondialisé, les multi-nationales de l'industrie laitière peuvent manipuler les cours à leur aise. Ainsi la plus grande coopérative laitière aux USA, Dairy Farmer of America a été condamnée pour manipulation des prix à la bourse de Chicago à payer une amende de 12 millions de dollars !... et fait actuellement l'objet d'une enquête anti-trust !...
Nestlé a magnifiquement appliqué les préceptes du libéralisme en Indonésie pour le bien de ses actionnaires, précipitant dans la misère des milliers de familles : En janvier 2009, l’Union des Paysans Indonésiens (SPI) a demandé au gouvernement de protéger ses producteurs de lait de la faillite complète. La firme transnationale Nestlé, l'un des plus grands acheteurs de lait du pays, a commencé à baisser le prix du lait à la production alors que les produits laitiers étaient vendus à un prix exceptionnellement élevé aux consommateurs. Toute l’industrie laitière a suivi le mouvement. Ce fut le bouquet de 25 ans de dérégulation du secteur laitier national. En 1983, dans le cadre du FMI, le gouvernement a démantelé la législation qui forçait les firmes opérant en Indonésie à acheter un certain pourcentage de lait aux éleveurs locaux à côté du lait importé. En 2003, le gouvernement indonésien a été plus loin en réduisant les droits de douane de 5 à 0% sur le lait importé. Il en résulte aujourd'hui que 70% du lait consommé Indonésie est importé d’Australie et de Nouvelle Zélande. Les paysans qui subsistent encore se demandent s’ils vont pouvoir poursuivre leur activité.
Alors comment sortir de cette situation ? Nous sommes au cœur du problème du libéralisme et de la dérégulation des marchés. La suffisance alimentaire est un enjeu majeur qui doit échapper aux marchés et au capitalisme forcené. Quand on sait que l'Union Européenne a géré en dépit du bon sens l'envolée des prix de 2007, relayée par les pouvoirs publics et les organisation syndicales (la FNSEA a de lourdes responsabilités dans la gestion des quotas laitiers, s'étant attaché à faire pisser la vache pour ramasser le beurre), aveuglées par la rentabilité à outrance de leur logique productiviste intensive, on ne peut qu'être stupéfait par les propositions avancées par le gouvernement : accorder des prêts aux agriculteurs !
Il faut une véritable politique européenne pour l'agriculture, qui s'affranchissen des lobbies agro-industriels et financier, en refusant le dictat imposé via l'OMC :
mettre fin à l’obligation par l’OMC d’importer au moins 5% de produits laitiers
Interdire toute aide à l’exportation et autoriser chaque pays ou union à introduire des droits de douane pour protéger leur propre production laitière
maintenir des normes élevées d’identité pour les produits laitiers afin de garantir l’intégrité de la définition du lait et empêcher le dumping de produits de substitution bas de gamme
maintenir et développer dans toutes les régions laitières une production paysanne durable, basée sur des fourrages locaux
maitrise publique européenne de la production accompagnée d’une répartition équitable entre tous les producteurs, en utilisant l’outil « quota laitier » pour diminuer la production européenne en ne pénalisant pas les petits producteurs (l'Union Européenne a voté la suppression de tous les quotas laitiers d'ici à 2015)
retrait d'une partie des stocks du marché
Ces politiques productivistes ont un coût énorme :
Social : au niveau européen disparition de nombreuses petites et moyennes exploitations agricoles au détriment de grosses structures productives, exploitant souvent elles-même un personnel devenu corvéable (là ou une vingtaine d'exploitation pourraient vivre, donc vingt familles, une seule grosse exploitation employant 5 ou six personnes sous-payées). A travers le monde, les politiques d'aides aux exportations ruinent les producteurs locaux et renforcent la dépendance alimentaire des pays pauvres.
Environnemental : ces méthodes de production font appellent à l'utilisation d'intrants couteux et devenus presque obligatoires, polluants, import d'aliments (souvent issus d'OGM), pour une production de qualité très inférieur qui alimente les marché à l'exportation ou les circuits de distribution de produits de premier prix.
Financiers : une petite poignée d'acteurs économiques se partagent désormais le marché. Quand les prix chutent de façon drastique pour les producteurs, rien ne se passe sur les prix du lait pour le consommateur. Des profits énormes sont réalisés et partagés entre ces acteurs et la grande distribution. (dès le début de la hausse des prix du lait en 2008, qui a été de très courte durée, les industriels ont répercuter l'augmentation sur le consommateur. Depuis les prix n'ont pas baissé...)
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