Fakir. 31 août 2010
Fakir fait sa rentrée en fanfare. Après le triomphe, ce printemps, du "hold-up tranquille" (diffusé dans plus de cent villes, à près de 100 000 exemplaires), Fakir revient avec un nouveau document en couleurs sur "la revanche des collabos". Celui-ci sera tracté, dès le mardi 7 septembre, dans les manifs à Marseille, Nancy, Amiens, Paris, Nantes, etc.
« Mon seul adversaire, celui de la France, n'a jamais cessé d'être l'argent. »
Général de Gaulle.
Le nôtre aussi...
Sécurité sociale, retraites, service public… C’est dans une France en ruines que, à la Libération, nos papys (et mamies) qui faisaient de la résistance ont bâti tout ça. Aujourd’hui, la France est la cinquième puissance économique mondiale – et nous n’aurions plus les moyens de cette « solidarité nationale » ?
On les nomme « héros ». Mais de quoi les traiterait-on, aujourd’hui ?
En 1944, « les destructions couvrent tout notre sol, rappelle le Général de Gaulle dans ses Mémoires. Il manque des logements pour six millions de Français. Et que dire des gares écroulées, des voies coupées, des ponts sautés, des canaux obstrués, des ports bouleversés ? Quant aux terres, un million d’hectares sont hors d’état de produire, retournés par les explosions, truffés de mines, creusés de retranchements. Partout, on manque d’outils, d’engrais, de plants, de bonnes semences. Le cheptel est réduit de moitié. Nos finances sont écrasées d’une dette publique colossale, nos budgets condamnés pour longtemps à supporter les dépenses énormes de la reconstruction. »
Et c’est sur ce champ de ruines qu’ils instaurent la Sécurité sociale !
Et les retraites !
Et le service public !
A ces fous à lier, on enverrait la camisole ! Vite, une piqûre !
C’est qu’en plein cauchemar, ils avaient fait un rêve.
Au cœur de la nuit nazie, dans les prisons, dans les maquis, dans l’exil, les résistants imaginent « Les Jours heureux », songent éveillés à l’« éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie », à « un plan complet de sécurité sociale », à « une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours », bref, à « une République nouvelle qui balaiera le régime de basse réaction ». Des cocos aux cathos, syndicalistes, socialistes, droite patriote, à l’unanimité, tous signent au printemps 1944 ce « Programme du Conseil National de la Résistance ».
La Libération obtenue, leur rêve deviendra largement réalité :
« En l’espace d’une année, relate avec fierté le Général de Gaulle, les ordonnances et les lois promulguées sous ma responsabilité apporteront à la structure de l’économie française et à la condition des travailleurs des changements d’une portée immense. » Et d’ajouter « les privilégiés » ne bronchent pas : « Sur le moment, tous, mesurant la force du courant, s’y résignent aussitôt et d’autant plus volontiers qu’ils avaient redouté le pire. »
C’est que règne la peur chez les possédants. Les maquis viennent de se soulever. Les armes sont aux mains des gueux. Avec le Parti Communiste, première formation du pays, les ouvriers sont organisés. Bref, les choses pourraient très mal tourner. Alors, mieux vaut ne pas les énerver. Endurer. Patienter.
Bien vite, le souffle de révolte va retomber. Et les banquiers, industriels, patrons de presse vont se ressaisir, défendre leurs intérêts, répéter que « les réformes vont trop loin ». On connaît la chanson.
Et maintenant ?
La France est la cinquième puissance économique mondiale. Son territoire n’est menacé d’aucune invasion. Ses firmes accumulent les milliards de bénéfices, même par temps de « crise ». Ses grands magasins sont bourrés de produits, la plupart inutiles. Malgré cette prospérité, ils – les mêmes, les banquiers, les industriels, les patrons de presse – nous l’affirment : « Ce n’est plus possible. Regardez les déficits. Regardez la courbe démographique. » Au-delà de tous ces arguments, techniques, financiers, Denis Kessler, ex-numéro 2 du MEDEF, dévoile le vrai motif : « La liste des réformes ? C'est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »
Derrière toutes les statistiques, évaluations, projections, derrière tous les rideaux de fumée, c’est à ce mouvement historique que nous assistons. Au retour, sur l’avant-scène publique, des forces d’Argent, discréditées à la Libération. A la revanche des collabos – dont les héritiers spirituels viennent récupérer le butin.
Malheureusement, Nicolas Sarkozy et sa bande du Fouquet’s n’ont pas entamé cette liquidation.
Eux viennent y mettre un point final, essayer du moins, mais le gros du boulot était abattu avant eux. Depuis le milieu des années 80. Depuis que les socialistes se sont convertis au « réalisme », et les gaullistes au libéralisme, de « réformes inéluctables » en « adaptations nécessaires », toutes les conquêtes de la Libération sont lentement rongées, grignotées, par les gouvernements successifs – y compris de gauche...
A notre tour, alors, certes, de défendre le rêve des résistants contre Nicolas Sarkozy et sa bande du Fouquet’s - les éternels banquiers, industriels, patrons de presse. Mais il s’agit surtout, au plus vite, de refermer la parenthèse, ouverte au milieu des années 80. De lutter pour que la gauche d’abord, le pays ensuite, sorte de cette ornière libérale.
Que prévoit le programme du CNR ?
« Un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État. »
« La Sécurité sociale est devenue pour l’économie une charge considérable. Les salariés ont profité de traitements dont ils n’avaient peut-être pas un besoin certain, la moindre maladie a été le prétexte de repos. L’absentéisme s’est développé. » De quand date cette déclaration ? Du Parisot, à la dernière Université d’été du MEDEF ? Non, c’est la Chambre de Commerce de Paris qui dresse, en 1948, cette équation connue : « Sécu = Paresse ». Le débat sur le « trou de la Sécu », lui non plus, n’est pas né hier : « 34 milliards de déficit en 9 mois » annonce Paris-Presse en 1951 (29/12). Evidemment, « les ‘spécialistes’ du MRP proposent une réforme de structure » (Le Figaro, 31/12/51).
Mais durant un demi-siècle, quasiment, le consensus autour de cet « acquis » tient bon.
Les premières brèches
Jusqu’en 1986. Jacques Chirac, alors Premier Ministre, se prend pour Ronald Reagan et privatise treize compagnies d’assurances. L’alternance n’apportera pas d’alternative : en 1989, avec la loi Evin, Michel Rocard officialise l’entrée des assureurs privés dans la complémentaire maladie. Mutuelles et syndicats protestent. En vain : les premières brèches sont ouvertes.
L’entreprise de démolition passe alors à la vitesse supérieure : en 1996, Alain Juppé lance son « expérimentation d’un parcours de soins ». Claude Bébéar, le patron d’AXA, s’enthousiasme, et il affiche ses intentions au grand jour : « Il peut y avoir une Sécurité sociale publique, et à côté des Sécurités sociales privées. » Son rêve lui semble presque exaucé… mais le retour des socialistes, l’année suivante, brise net cet élan : Lionel Jospin gèle « l’expérimentation ».
Des idées « indépendantes »
De son échec, Claude Bébéar tire des leçons : plutôt que l’attaque frontale, mieux vaut avancer masqué. A la tête du premier assureur en Europe, le parrain du capitalisme français a les moyens de convaincre, doucement, gentiment les élites. En 2000, le voilà qui fonde l’Institut Montaigne, un « think tank » bien sûr « indépendant » - c’est-à-dire financé par Areva, Axa, Allianz, BNP Paribas, Bolloré, Bouygues, Dassault, Pfizer, etc., à hauteur de trois millions d’euros par an. Aux côtés des banquiers et des PDG, s’y retrouvent des économistes médiatiques (Nicolas Baverez), des journalistes médiatiques (Philippe Manière)… De quoi faire passer ses « idées » dans le tout-Paris, avec des invitations sur France Inter, LCI. De quoi les faire passer, surtout, pour des idées « indépendantes » - et non pour des intérêts déguisés. Et qu’on devine son cheval de bataille ? « Réinventer l’assurance maladie »…
Moins de 50 % remboursés
Les gouvernements, à leur tour, avancent masqués. Liquider la Sécu, livrer la santé au privé, voilà qui s’avère impopulaire. Mieux vaut donc la trouer à petits coups. C’est ainsi que Philippe Douste-Blazy la « réforme », en 2004 : hausse du forfait hospitalier, dépassements d’honoraires autorisés, déremboursements de médicaments. Pour la médecine de ville (hors hôpital), moins de 50 % des dépenses sont désormais remboursées par la Sécu.
« Il faut une génération pour changer un système de santé » notait, philosophe, Henri de Castries – le successeur de Claude Bébéar à la tête d’Axa. Bout par bout, on y parvient.
Vente à la découpe
De Eric Woerth, alors ministre du Budget (Les Echos, 19 novembre 2008) : « Une période de crise n’est pas un bon moment pour remettre en question notre système de santé. Ce serait générer de l’inquiétude. Mais quand les difficultés économiques seront derrière nous, il sera indispensable de reprendre le débat sur les réformes à mener. Vous pouvez compter sur moi pour le ranimer ! Nous allons donner plus de responsabilités aux complémentaires en matière de gestion du risque. » Les assureurs sont rassurés. Ils n’ont pas donné au trésorier de l’UMP pour rien…
Que prévoit le programme du CNR ?
« Une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours »
Qui le croirait ? A l’automne 1983, l’âge légal de la retraite vient de descendre à 60 ans. Les préretraites se multiplient, façon de masquer le chômage. Et dans les enquêtes d’opinion, une majorité de Français parient encore sur un nouvel abaissement... à 55 ans ! Bref, « l’opinion reste assez indifférente » - comme s’en désespère, dans Le Figaro, le démographe de droite Alfred Sauvy. Alors, que faire pour balayer cet optimisme – et faire entrer les retraites dans l’ère libérale ? « Informer les hommes au lieu de les faire rêver, répond Le Figaro. C’est simple, c’est tout simple, mais quelle bataille ! »
[Dans cette « bataille de l’opinion », les lobbys patronaux partent fleur au fusil : l’Institut de l’Entreprise recommande, en 1985, une « retraite à la carte » plutôt qu’une « retraite couperet ». La même année, André Babeau, un universitaire (devenu depuis administrateur de deux sociétés d’assurances…), publie « La Fin des retraites ? » Tandis que les sondeurs et la presse font sonner l’artillerie lourde : « Un sondage CSA – Le Parisien – AGF révèle que les Français n’ont plus confiance dans le seul régime de retraite par répartition et commencent à capitaliser » (3/02/88). Une compagnie d’assurance paie ainsi une « étude » pour un quotidien. Comme si un journal s’alliait à des fabricants de cigarettes pour une enquête sur le tabac…]
Une manne pour la Bourse
C’est qu’en cette décennie 80, la Finance triomphe. Il faut que les retraites passent également sous sa coupe. Edouard Balladur, alors ministre de l’Economie et des Privatisations, s’y emploie, en 1987, avec son Plan Epargne Retraite : « un instrument de préparation individuelle à la retraite », largement « défiscalisé ». De quoi, précisait son ministère, « orienter l’épargne vers des produits permettant d’accroître le développement du marché financier » (Le Figaro, 5 octobre 1987).
Qui y gagne à ce jeu-là ? « On ne s’en rend pas vraiment compte aujourd’hui mais le plan épargne retraite sera une manne fantastique pour la Bourse » , note l’hebdomadaire Investir, ravi : « le PER apporterait donc entre 20 et 50 milliards d’argent frais. » Et il suffit de regarder les publicités, placardées dans les dossiers « Spécial retraite » : « Banque Hervet. Age d’or : + 55 % en 4 ans », « Cardif dynamise votre retraite », « Groupe MAAF. Donnez de l’intérêt à votre avenir » (Le Figaro, 5 octobre 1988). Un nouveau marché s’ouvre, offert aux banquiers et aux assureurs…
-36 % pour les pensions
En 1993, Edouard Balladur – le mentor de Nicolas Sarkozy – revient à la charge, comme Premier ministre cette fois : durant l’été, les salariés du privé passent de 37 ans et demi de cotisations à 40. La pension n’est plus calculée sur les dix meilleures années, mais sur les vingt-cinq. Et son montant ne suit plus l’évolution des salaires, mais des prix. Des mesures qui, d’après les économistes de l’IRES, produisent une diminution des retraites de 36 %. Autant que les salariés combleront – s’ils le peuvent – grâce à leurs banquiers et leurs assureurs…
Voilà les retraites partiellement « privatisées ».
Une fois créée cette division, cette inégalité entre public et privé, les gouvernements plaideront avec constance pour « aligner » les modes de calcul… sur le moins favorable aux travailleurs : plan Juppé en 1995, réforme Fillon en 2003, régimes spéciaux en 2008. Et aujourd’hui, rebelote : Nicolas Sarkozy veut à nouveau reculer l’âge de la retraite. Pas franchement pour que les salariés travaillent plus longtemps : il faudrait des emplois, pour ça. Mais de quoi faire baisser le montant des pensions. Et ouvrir un peu plus le marché aux assurances privées...
Habillage de gauche
Contre les retraites, c’est la droite qui a porté les coups les plus durs. Mais loin de rompre avec la logique balladurienne, les socialistes l’ont confortée – et habillée. En 1989, Pierre Bérégovoy transforme ainsi le PER en PEP - Plan d’Epargne Populaire - et se déclare « pour la retraite par capitalisation ». En 1997, de même, Dominique Strauss-Kahn, alors ministre de l’Economie, préparera des « fonds de pension à la française » - rebaptisés « fonds partenariaux ». « Partenaire » et « populaire » : en deux adjectifs, le capitalisme devient « solidaire »…
Que prévoit le programme du CNR ?
« Le retour à la Nation des grands moyens de production monopolisés, fruit du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol.»
« L’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie. »
« Je ne vous paie pas pour que vous m'indiquiez les articles du code m'interdisant de réformer, mais pour y trouver ceux qui vont me le permettre. » .
Ainsi s’adresse, en 1945, le communiste Marcel Paul, ministre de la Production industrielle, aux juristes de son ministère. C’est que ses « nationalisations » se heurtent à bien des intérêts. Le patronat des compagnies de gaz et d’électricité, puissant, organisé, possède des relais au gouvernement, à l'Assemblée, dans les cabinets – et c’est un bras de fer qui se déroule, avec une guérilla parlementaire, des nuées d’amendements contre chaque article. Mais la CGT se mobilise. Les conservateurs cannent : ils ne veulent pas de conflit. Pas encore. Et c’est ainsi que Marcel Paul remporte « la bataille de l’électricité ».
Pas seulement au Parlement. Mais surtout dans les centrales : alors qu’à la Libération la France allume chaque soir ses bougies, dès l’été 1946, la production fonctionne au rythme de 25 milliards de kilowatts-heure – contre 18 milliards en 1939.
Le « retour à la Nation » n’était pas qu’une question de dogme pour le Parti. Ou de conquête pour les travailleurs. Mais également d’efficacité pour le pays…
Le cheval de Troie européen
Son efficacité, voilà le problème pour la droite libérale : toute la France est électrifiée, reliée au téléphone, desservie par le train, le courrier arrive tous les matins, avec en prime des programmes d'avant-garde : le Minitel, le TGV, Airbus. Comment justifier, alors, la privatisation de ces services ? Jacques Chirac y renonce, en 1986. Mais c'est Paul Quilès, un ministre socialiste, qui franchit le premier pas : sur l'injonction d'une directive européenne, la Poste est séparée des Télécom. Depuis, des « ouvertures de capital » successives aux privatisations, le refrain revient de Bruxelles : « concurrence libre et non faussée ». Une pression qui justifie tous les abandons.
DSK à cœur joie
« En matière de privatisations, la ‘gauche plurielle’ a réalisé en trois ans un programme plus important que n’importe quel autre gouvernement français ». C’est La Revue socialiste qui s’en flatte, en juillet 2000. Installé au ministère de l’Economie, DSK s'en donne à coeur joie : il « ouvre le capital » de France Télécom, sépare les trains (la SNCF) des rails (RFF – le Réseau Ferré de France), entérine la division de EDF et GDF, confie Aérospatiale à la dynastie Lagardère, etc.
Derrière, Nicolas Sarkozy n'a plus qu'à terminer le boulot. Comme ministre des Finances, d'abord, transformant EDF et GDF en sociétés anonymes : « On ne viendra pas à la privatisation, c’est clair, simple et net », promet-il, la main sur le coeur. Et on peut lui faire confiance : sitôt élu Président de la République, GDF est confiée à Suez. Quant à EDF, elle est remise à Henri Proglio, PDG de Véolia.
« Patience et longueur de temps » : soixante ans après la Libération, le patronat a repris ces machines à profits. Les tarifs peuvent augmenter, et les dividendes, tomber…
Que prévoit le programme du CNR ?
« le retour à la Nation (…) des compagnies d’assurances et des grandes banques »
C’est les pieds lourds que, le 4 juillet 1945, René Pleven, ministre MRP des Finances, monte à la tribune de l’Assemblée : « Si nous voulons moderniser la France, nous devons nationaliser un certain nombre d’industries et d’activités clés », annonce-t-il. Et donc, « mettre entre les mains de l’Etat le contrôle de tous les leviers du crédit. » Voilà pour la façade. Mais en privé, cet homme de droite triche, épargne les banques d’affaires : grâce à lui, Paribas, Rotschild, Worms, Suez échappent aux nationalisations.
Tête à queue socialiste
Le véritable « retour à la nation des grandes banques » n’interviendra qu’avec François Mitterrand, en 1981 : 90% du crédit réside entre les mains de l'Etat.
Mais à peine cette oeuvre réalisée, voilà que le PS opère un tête à queue idéologique. Ministre de l’Economie, Pierre Bérégovoy libéralise la Finance à tout va, sous la houlette de Jean-Charles Naouri (aujourd'hui PDG de Casino) – qui se vante ainsi de son bilan : « Le marché financier français a connu depuis deux ans une profonde mutation, sans doute la plus profonde depuis de longues années. Quand on compare les caractéristiques de ce marché entre la mi-1984 et la mi-1986, on est frappé par la transformation totale du paysage financier et plus encore par la transformation des mentalités. Les débats, souvent passionnés, qui divisaient la place il y a deux ans, sont aujourd’hui périmés : tout le monde s’accorde sur les notions de concurrence, d’ouverture des marchés, de banalisation des produits, de déspécialisation des procédures. »
Avec cette « transformation des mentalités », avec cet « accord » unanime pour une emprise de la Finance sur l’Economie, la suite n’est plus qu’une longue vente aux enchères.
Continuité
Dès 1986, Jacques Chirac privatise ainsi à tour de bras : le CCF, la Société Générale, Paribas, Suez… Continuité dans le changement, avec Michel Rocard et Pierre Bérégovoy, la gauche poursuit sur cette lancée : Crédit Local de France, BNP, CIC… tout y passe, sauf le Crédit Lyonnais, imprivatisable en raison de ses pertes.
Mais le champion de cette fin de siècle demeurera, tout de même, Dominique Strauss-Kahn : Libération applaudissait le ministre de l’Economie, en 1999 : « Et de cinq. Après le GAN, le CIC, la Marseillaise de Crédit et le Crédit Lyonnais, le Crédit foncier de France (CFF). Depuis hier, voilà l’affaire réglée. (…) L’Etat s’est débarrassé de la dernière banque publique » (Libération, 11/07/99). On ne saurait mieux dire : bon débarras ! Devant pareille « œuvre », DSK s’auto-congratule : « Le secteur financier public a été remis sur les rails. » Et comment ? En supprimant « le secteur financier public » ! Fallait juste y penser.
A quoi sert l’argent ?
Les choses sont rentrées dans l’ordre : la Nation, ses travailleurs, produisent des richesses – aveuglément confiées à de grands argentiers.
Avec quels résultats ? Hier « établissements à but non lucratif », les Caisses d’Epargne finançaient le logement social pour tous les Français. Avec Natixis, l’Ecureuil s’est lancé dans la spéculation sur les subprimes, et a accumulé plus de 5 milliards de dettes. Un trou que les contribuables combleront gentiment…
« Il suffit qu’il y ait une minorité active, solide, des jeunes qui en veulent, qui considèrent que l’engagement ça signifie quelque chose, il suffit qu’ils soient le levain qui fait monter la pâte, et à ce moment-là, nous aurons une France résistante. »
Stéphane Hessel, 4 mai 2008, au plateau des Glières.
Déporté à Buchenwald, il participera en 1948 à la rédaction de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme.
Dictature internationale des marchés
« Comment peut-il manquer aujourd’hui de l’argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes sociales, alors que la production de richesses a considérablement augmenté depuis la Libération, période où l’Europe était ruinée ? Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l’ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l’actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie. (…) Nous appelons enfin à une véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation marchande, le mépris des plus faibles et de la culture, l’amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous. Nous n’acceptons pas que les principaux médias soient désormais contrôlés par des intérêts privés, contrairement au programme du Conseil national de la Résistance et aux ordonnances sur la presse de 1944. »
Appel des résistants, 8 mars 2004, à l’occasion du soixantième anniversaire du programme du CNR (avec Lucie Aubrac, Raymond Aubrac, Henri Bartoli, Daniel Cordier, Philippe Dechartre, Georges Guingouin, Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont, Lise London, Georges Séguy, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant, Maurice Voutey).
Contre l’égoïsme des nantis
« Qu’était ce programme ? Il s’agissait de lutter contre l’égoïsme des nantis par rapport à l’impuissance à se manifester, à trouver leur voix, de ceux qui ne disposent ni du pouvoir politique, ni du pouvoir économique. C’est là-dessus que la Résistance s’était fondée, et c’est de cela dont nous avons plus que jamais besoin aujourd’hui. Il nous appartient que cette société reste une société dont nous puissions être fiers – c’est-à-dire pas une société où l’on expulse les sans-papiers, pas une société où l’on diminue la Sécurité sociale, pas une société où les médias sont largement entre les mains des possédants. »
Stéphane Hessel, 4 mai 2008, au plateau des Glières.
Déporté à Buchenwald, il participera en 1948 à la rédaction de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme.
Contre le culte du profit
« Nous ne pourrons pas nous contenter d’un système asservi au culte du profit, impitoyable aux faibles, nos usines sans ouvriers, nos campagnes sans paysans. Au crépuscule de ma vie, je conserve intact le rêve de mes vingt ans – et je vous remercie, du fond du cœur : vous m’apportez aujourd’hui la certitude que ce rêve ne mourra pas avec le dernier de mes compagnons, et que demain vous en ferez une rayonnante réalité. »
Lettre d’Henri Bouvier, lue au plateau des Glières, le 17 mai 2010.
Membre de l’armée secrète, déporté en Italie.
Sur le dos des autres…
Il ne faut pas croire qu’à l’époque, il n’y ait pas des gens qui nous ont dit « Vous êtes fous ». La France n’avait plus de ponts, le France n’avait plus de charbon, la France n’avait plus d’acier, la France n’avait plus d’énergie. Bien. C’est vrai que c’était à peine concevable. Bien. Nous sommes passés outre, tout bonnement. Nous sommes passés outre et nous avons fait les choses.
Ca veut dire une chose d’une simplicité puérile : les gens qui vivent sur le dos des autres, les gens qui bénéficient du travail des autres, les gens qui exploitent les autres, ils n’ont pas de scrupules ! Ils sont capables de charité, mais le fond de leur attitude est de croire que, pour vivre, pour que l’humanité fonctionne, il faut qu’il y en ait qui profitent et d’autres qui subissent.
Maurice Kriegel-Valrimont, émission Là-bas si j’y suis (France Inter), du 2 mars 2006.
Dirigeant du COMAC (Comité d’Action Militaire) créé par le Conseil National de la Résistance.
(exclusivité édition électronique)
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