L'Humanité. 11 décembre 2009 par Cécile Rousseau
« C’est l’horreur », témoignent-ils.
Étoiles de Noël suspendues au plafond et murs roses décorés de peintures naïves : le service de pneumo-néphrologie pédiatrique de l’hôpital Trousseau, à Paris, a su créer une ambiance chaleureuse. En apparence. Depuis deux ans, les conditions de travail dégradées plombent le moral de l’équipe soignante. Et l’annonce de 1 150 suppressions de postes à l’AP-HP en 2010 n’arrange rien. Le professeur Albert Bensman, chef du service de néphrologie pédiatrique, a démissionné de ses fonctions administratives de l’AP-HP pour protester contre la casse de l’hôpital public. « Je ne peux pas imaginer que la société décide de sacrifier des enfants malades, s’énerve-t-il. C’est inacceptable. On a tiré au maximum sur la corde, on ne peut pas supprimer d’autres postes. »
Seule infirmière du service de néphrologie, Manuella s’occupe de huit patients. Tout en préparant une seringue, elle confirme : « Je suis au bord du burn-out, je n’arrête pas de courir. Certains patients ont besoin de prise de température toutes les demi-heures. » En octobre, elles étaient encore deux infirmières. Mais les restrictions budgétaires sont passées par là. Á l’autre bout du couloir, en pneumologie, « c’est l’horreur », lâche Patricia en se précipitant dans une chambre _ L’infirmière a oublié de donner à manger à un patient. « Voilà ce qui arrive quand on n’a pas le temps », constate Aurélie, sa collègue. Cette semaine, le service de pneumologie a treize lits au lieu des huit habituels, pour faire face à l’épidémie de bronchiolite. Mais ce n’est pas assez. « Les bronchiolites côtoient les gastros dans une même chambre, ce qui peut propager les germes », explique Aurélie. Pour assurer l’intendance, leurs plannings de repos et de congés ont été bouleversés. Et les infirmières peuvent être déplacées à tout moment dans d’autres services en pénurie de personnel. « Ça m’arrive d’être seule en néphrologie alors que n’y connais pas grand-chose, je comprends que ça puisse inquiéter le professeur Bensman, » explique-t-elle.
Dans la chambre d’à côté, les parents du petit Elias, un mois et demi, hospitalisé pour une bronchiolite, n’ont rien à redire sur le travail des infirmières. Mais ils ont ressenti de la tension. « Pas à notre égard, mais elles parlent vite, sont parfois agacées », constate la maman. Pour l’instant, la pénurie de soignants est en partie compensée par les internes en médecine. « On fait du brancardage, des soins, on décroche le téléphone. On donne un coup de main, même si ce n’est pas notre boulot », insistent Sophie et Claire, internes dans le service depuis un mois. Elles déclarent avoir « halluciné » sur les conditions de travail, avec des infirmières en pleurs presque tous les jours. Et espèrent que la démission du professeur Bensman « puisse faire entendre ces problèmes ». Á terme, l’AP-HP envisage de transformer Trousseau, pôle pédiatrique de pointe, en hôpital de pédiatrie générale. Une nouvelle qui inquiète, la maman d’Amandine, qui souffre d’apnée du sommeil : « Ou ira-t-on ensuite ? »
Un gâchis pour les patients et pour la recherche universitaire. Dépité, le professeur Bensman se souvient : « Il y a quinze ans, on m’a proposé un poste au Canada, mais je suis resté. On avait alors le meilleur service au monde. Si c’était aujourd’hui, je partirais sans hésiter. »
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