Rue89. Par Gilles Bridier | Journaliste | 26/05/2009
Que cherche Frédéric Lefebvre, député UMP et porte parole du groupe, avec son fusil à plusieurs coups ? Certainement pas à s'en tenir à l'amendement qu'il tente de faire passer, et qui peut irriter certains de ses pairs.
Ainsi le président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré, par ailleurs ancien président de l'Assemblée nationale, aurait de quoi se renfrogner : alors qu'il dénonce une production excessive de lois nouvelles -six fois plus importante en volume aujourd'hui qu'au début de la Ve République-, il doit bien mal juger l'initiative de Frédéric Lefebvre à propos de son amendement sur le travail à domicile pendant un arrêt maladie.
Un salarié peut déjà travailler pendant son arrêt de travail
Car, pris au pied de la lettre, que propose cet amendement ? De travailler pendant un arrêt maladie. Il y est question de volontariat. Or d'ores et déjà, un salarié qui se voit délivrer un arrêt de travail pour une cause qui ne l'empêche pas de travailler, peut fort bien s'entendre avec son employeur pour continuer son activité. S'il le souhaite, bien sûr, car l'arrêt de travail l'en dispense a priori.
Ainsi, si l'objectif visé par Frédéric Lefebvre consiste réellement à introduire cette capacité sur la base du volontariat, on se demande bien à quoi peut servir cet amendement, sauf à satisfaire une boulimie législative pour le simple plaisir de ceux qui votent les lois.
Autrement dit à rien d'utile concernant la législation sur le travail, à une perte de temps pour les députés, et à une régression de l'efficacité législative déplorée par Jean-Louis Debré.
Certes, l'amendement initial a été rejeté. Mais qu'à cela ne tienne : Frédéric Lefebvre, en charge des dossiers économiques à l'UMP, semble déterminé à en produire autant de versions qu'il sera nécessaire jusqu'à ce qu'il atteigne son objectif.
On peut aussi considérer que le porte parole de l'UMP, qui fonda sa propre entreprise de conseil, n'agit pas à la légère lorsqu'il veut introduire cet amendement. L'objectif affiché ne serait qu'un écran de fumée pour en cacher un autre plus sensible, plus polémique, plus stratégique pour la majorité.
Tacticien, Frédéric Lefebvre aurait commencé l'écriture d'un feuilleton dont l'amendement en question ne serait que le premier épisode.
Certificats de complaisance ?
A la première analyse, la notion de volontariat apparaît particulièrement difficile à manipuler. Si la mesure était adoptée, un salarié qui ne ferait pas jouer cette entorse à l'arrêt de travail pourrait craindre des mesures de rétorsion de la part d'une direction plus ou moins bien disposée à son égard.
Ainsi, l'amendement en question viserait à
dissuader les salariés à utiliser les arrêts de travail pour ne pas
être pénalisés. Ou, au moins, à travailler de chez eux.
Faut-il comprendre que les salariés seraient incités à ne pas suivre les prescriptions médicales ?
Certes, il ne s'agit pas de généraliser à toutes les affections. Mais Frédéric Lefebvre suggère-t-il que les médecins sont parfois trop conciliants dans leurs prescriptions ? Pourtant, ils sont eux-aussi sous la vigilance de la Sécu.
Et s'ils délivrent un arrêt de travail, c'est qu'ils le jugent nécessaire pour la santé du patient. Difficile, pour un député, de suggérer une forme de complaisance médicale. Et où situer la frontière, entre une affection autorisant la poursuite -même à domicile- d'une activité, et celle qui ne le permet pas ?
Objectif réel, la lutte contre l'absentéisme ?
A la seconde analyse, on peut estimer que l'objectif est de s'attaquer indirectement à l'absentéisme en entreprise. En France, après un pic du taux d'absentéisme à 5,3% dans les années 2004/2005, ce taux est retombé à 4,5%, pour une moyenne européenne à 4%, selon des statistiques établies par le cabinet d'audit et de conseil PricewaterhouseCoopers.
Malgré tout, la France reste le pays où l'absentéisme reste le plus élevé, ce qui suffit à le transformer en cible prioritaire pour l'UMP. Mais si des abus existent, autant se saisir du dossier dans la transparence.
De nombreuses solutions ont déjà été expérimentées, comme le recours à des sociétés privées pour contrôler, à la demande des directions d'entreprises, les salariés en arrêt de travail.
Toutefois, ce renfort aux visites inopinées des limiers de l'Assurance maladie n'a pas permis d'éradiquer un phénomène qui reste important, même s'il a baissé.
Car c'est l'ensemble des relations au travail qui devraient être reconsidérées pour envisager d'éradiquer ce phénomène.
L'arrêt de travail, bouclier contre la direction
Par exemple, en France, les entreprises utilisent le licenciement de salariés seniors comme mode de gestion de leur masse salariale. L'âge moyen d'arrêt d'activité est de… 58 ans, bien avant l'âge de la retraite.
Et selon les statistiques officielles du ministère de l'Economie de l'Industrie et de l'Emploi, le taux d'emploi des salariés de 55 à 64 ans est de… 37% en France (contre 49% en Allemagne ou 57% au Royaume-Uni).
Inutile de se voiler la face : pour un salarié confronté à cette réalité, l'arrêt maladie peut être un bouclier contre une décision abusive et arbitraire d'une direction, et qui peut le plonger dans un profond désarroi matériel.
Si l'âge de cessation d'activité était repoussé, n'assisterait-on pas à un recul mécanique du taux d'absentéisme -notamment de longue durée ?
Amendement pour rien, ou écran de fumée ? Dans l'un ou l'autre cas, Frédéric Lefebvre savait qu'il allait déclencher une polémique. Or, on ne lance jamais un ballon d'essai pour rien. Reste l'écran de fumée. Un drôle de façon de ramener la confiance dans la politique. Quant au véritable objectif poursuivi, il apparaîtra bien vite.