POLITIQUE. Quand les dossiers sont bloqués, rien de tel qu'une petite transgression des règles pour les faire avancer. Les élus locaux s'y mettent eux aussi
Charriés par le flot de l'actualité, les exemples sont légion. Les élus locaux se fâchent. Ceints de leur écharpe tricolore, ils transgressent. Ceints de leur écharpe tricolore, parfois ils comparaissent. C'était le cas de cinq élus du Lot, convoqués le mois dernier devant le tribunal correctionnel de Cahors et massivement soutenus par leurs collègues dans la salle d'audience (lire ci-contre).
C'était aussi le cas le 16 janvier sur le bitume de la RN 10 au sud de la Charente. Les parlementaires du département et les élus de la communauté de communes des 3B (Barbezieux, Baignes, Brossac) s'étaient donné rendez-vous pour stopper la circulation sur cet axe majeur afin de protester contre l'inertie de l'État, coupable de tolérer un dernier chaînon de 11,4 km à deux voies entre Reignac et Chevanceaux.
Le préfet de la Charente s'était fendu d'un bel arrêté d'interdiction de la manifestation. Le gang des cocardes en a fait des cocottes en papier.
Maire (sans étiquette) de Landiville, président de la communauté de communes des 3B, Jacques Chabot n'est pourtant pas un révolutionnaire en attente du grand soir. La désobéissance ?
« Je ne sais pas qui désobéit le plus : nous, ou les politiques et l'État qui font des promesses sans jamais les tenir ? Ça fait vingt ans que cette histoire traîne en longueur. À partir du moment où l'on a fait le tour de toutes les autres possibilités, il faut bien se faire entendre », rétorque-t-il.
En ce sens, la désobéissance civile des élus participe d'un marketing politique new-look, à côté de la grève de la faim dont Jean Lassalle, le député (Modem) des Pyrénées-Atlantiques restera à jamais le héraut.
« Délinquance de solidarité »
Plus au nord, du côté de Ruffec, un autre élu charentais fait figure de mémoire de la désobéissance civile. Ancien porte-parole de la Confédération paysanne, ancien maire mais toujours conseiller municipal (Verts) de Londigny, Yves Manguy a démarré la bataille dès 1989, en s'opposant à un texte qui interdisait aux paysans de produire leurs propres semences.
Le combat contre les OGM a prolongé sa lutte. Il a participé à une demi-douzaine de fauchages volontaires et s'est dénoncé auprès des gendarmes, il a signé plusieurs arrêtés municipaux anti-OGM - retoqués devant le tribunal administratif. Il a aussi parrainé des sans-papiers dès 1999 lors d'une cérémonie devant l'hôtel de ville d'Angoulême et a remis ça la semaine dernière en portant une lettre au palais de justice expliquant qu'il persistait à aider les sans-papiers. « Je suis un délinquant et j'assume cette délinquance de solidarité », dit-il.
Les grands anciens
Il ne faut pas pousser Yves Manguy très loin pour qu'il se réfère aux grands anciens. La désobéissance civile, d'autres y ont pensé avant lui. Un jeune avocat indien nommé Gandhi, quand il séjournait en Afrique du Sud, ou un pasteur noir américain, Martin Luther King.
Ces grandes figures du passé ont toujours légitimé le recours à des moyens illégaux pour faire triompher des principes de justice. Mais, plus prosaïquement, la désobéissance civile se transforme en arme du combat politique classique. C'est tout le débat autour du service minimum d'accueil (SMA) des élèves lors des grèves enseignantes. Sommés par la loi du 20 août 2008 d'organiser ce service, nombre de maires de gauche ont traîné les pieds. Des Conseils municipaux ont même voté des délibérations pour refuser d'appliquer le texte.
Opposant (UMP) au maire (PS) de Cognac, Noël Belliot avait répliqué début mars en se portant volontaire pour assurer les permanences du SMA. Et il en appelle au respect de la loi.
« On vit dans un système démocratique où les gens élisent leurs représentants. C'est une dérive inacceptable de la gauche qui risque de faire tache d'huile dans la société », dénonce-t-il.
Il y a huit ans, Dominique Bussereau, l'actuel secrétaire d'État aux Transports (UMP), participait à une manifestation à Pons, en Charente-Maritime, pour protester contre la suppression de plusieurs arrêts sur la ligne SNCF Nantes-Bordeaux. Le cortège avait occupé les voies. Dominique Bussereau était présent en sa qualité de député-maire de Saint-Georges-de-Didonne.
Les avocats des élus du Lot en lutte contre la SNCF en ont fait leur miel devant le tribunal de Cahors. Décidément, le gauchisme a les idées larges.
« Sud Ouest ». Comment expliquez-vous le recours de certains élus à la désobéissance civile ?
Noël Mamère. La désobéissance civile, c'est une action non violente qui se déroule au grand jour. Aujourd'hui, les Français ne regardent plus les désobéissants comme des marginaux parce qu'il y a un fossé très important entre les décisions bureaucratiques et les élus de proximité. Le cas de ces élus du Lot est l'un des plus intéressants. Ils ont protesté parce qu'on supprimait des arrêts SNCF, ils étaient face à une logique de déménagement du territoire qui désertifie les zones où ils se trouvent et ils ont interrogé de cette manière une certaine conception du progrès.
Ce fossé s'est-il creusé ?
On est face à un président de la République qui attaque tout ce qui sert d'intermédiaire entre le citoyen et le pouvoir. Dans la mesure où il fait sauter les maillons de la chaîne démocratique, les gens descendent dans la rue, voire ils séquestrent les patrons, et les élus de leur côté trouvent des formes d'action qui leur permettent d'être enfin entendus.
Et ça marche ?
Oui, ça marche. La justice bouge. Elle est en train de donner une légitimité juridique à la désobéissance civile. Je suis pour ma part reconnu comme un dangereux délinquant, condamné à trois mois de prison avec sursis et 100 000 euros de dommages et intérêts pour un fauchage d'OGM (NDLR : en juillet 2004 en Haute-Garonne). Or, on voit que l'Allemagne vient de refuser la mise en culture du Monsanto 810 (NDLR : mardi). Si la France a mis en oeuvre la clause de sauvegarde sur cette variété, c'est bien parce que des faucheurs volontaires ont désobéi. Les outils démocratiques n'étant pas utilisés pour le débat, il fallait s'expliquer devant la justice. Et c'est parce que les médias se sont fait le relais de cette explication que les politiques se sont emparés de la question.
Votre condamnation est-elle définitive ?
Elle a été confirmée par la Cour de cassation. J'attends la décision de la Cour européenne des droits de l'homme. Cette condamnation n'a pas d'influence sur mon statut d'élu mais, dans l'état actuel des choses, elle figurera à mon casier judiciaire. La désobéissance, ce n'est pas pour se faire plaisir et ça fait avancer les choses.
Sur le mariage homosexuel y compris ?
Je ne vois pas de désobéissance dans le mariage de Bègles (NDLR : le 5 juin 2004). En l'espèce, j'ai interprété le Code civil à la lumière de la Convention européenne des droits de l'homme. Je crois que ça a fait progresser les consciences. Le grand atout d'une démocratie, c'est d'ouvrir le débat et de l'organiser. Plus on laisse les gens dans l'ignorance, moins on a de chances de faire avancer la société. La mission des politiques en démocratie, c'est aussi d'éclairer l'opinion. De lui donner à examiner des opinions divergentes pour qu'au bout du compte, elle puisse décider.
Le tribunal correctionnel de Cahors rendra ce matin un délibéré très attendu dans le Lot et dans le Sarladais. Accusés d'entrave à la circulation des trains, neuf personnes, dont cinq élus locaux, ont comparu le 20 mars dernier. Lors d'une manifestation en gare de Gourdon fin décembre, ils étaient descendus sur les voies alors qu'approchait un train.
C'était le énième épisode d'un conflit entre la SNCF et la population du nord du département et de la vallée de la Dordogne. À l'automne 2007, la SNCF avait supprimé 15 arrêts à Gourdon et à Souillac sur les Teoz de la ligne Paris-Limoges-Toulouse. Une contestation s'est fait jour pour le rétablissement de la desserte. Soutenue par les élus locaux, une association (Tous ensemble pour les gares) a réussi à drainer pendant des mois des centaines de personnes sur les quais de ces deux gares. Le credo était simple : faire en sorte que les arrêts supprimés soient observés par les trains. Très déterminés, les manifestants faisaient mine de descendre sur les voies si d'aventure les machinistes ne réduisaient pas l'allure. Ce qui s'est produit à plusieurs reprises.
Exaspérée, la SNCF a lâché du lest au fil des mois. Elle a fini par rétablir deux des trois derniers arrêts réclamés par l'association (notre édition d'hier). Ce qui n'a pas empêché le parquet de Cahors de poursuivre certains manifestants pour leurs agissements du 19 décembre. À la mi-janvier, deux des responsables de Tous ensemble pour les gares ont été condamnés mais dispensés de peine pour les mêmes faits. Serge Laybros, adjoint au maire de Cahors et conseiller régional (PC), est l'un des cinq élus qui seront fixés sur leur sort judiciaire ce matin. Il n'avait en rien fait amende honorable à l'audience.
« Je ne me pose pas la question de savoir si j'ai désobéi. Je suis élu et j'ai des convictions au service d'un combat juste et légitime. Pendant des mois et des mois, la SNCF a joué le pourrissement. Il y a maintenant une volonté de criminaliser l'action revendicative. En traduisant des élus devant la justice, le pouvoir envoie un message : Surtout ne vous levez pas ! La population de la Bouriane s'est levée et je suis fier d'être à ses côtés », déclarait-il à la sortie du palais de justice.
Le procureur de la République a requis des peines de 400 à 500 euros d'amende.
Auteur : jean-denis renard
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