Bellaciao. 10 juillet 2009 par Ambrose Evans-Pritchard
Le « Tic Tac » de la bombe du chômage s’égrène tranquillement.
(traduit “librement” d’un texte original de Ambrose Evans-Pritchard)
Une de mes expériences frappante aux États-Unis au début des années 1990 a été la visite de groupes de miliciens qui ont grandi dans le sillage de la récession au Texas, dans l’Idaho, l’Ohio… C’était surtout des ouvriers (cols bleus) - premières victimes de la répartition internationale du travail à l’échelle mondiale - suffisamment en colère contre Washington au point de s’exercer le week-end en treillis avec des fusils M16. Beaucoup ont soutenu le candidat protestataire Ross Perot, qui prônait la cessation du commerce avec le Mexique, et qui a remporté 19 % des suffrages lors de l’élection présidentielle de 1992.
Ces premières poussées de révolte se sont calmées lors de la reprise ultérieure des embauches, néanmoins un groupe de marginaux a quand même fait sauter le bâtiment fédéral d’Oklahoma City en 1995. Malheureusement, aujourd’hui, il n’y aura pas de reprise des embauches.
L’utilisation des capacités de production a chuté à des niveaux bas record (68 % aux Etats-Unis, 71 % dans la zone euro). Il faut s’attendre à de nouvelles et profondes purges dans le monde du travail.
Le pire la semaine dernière n’était pas seulement que les États-Unis ont perdu 467.000 emplois en Mai 2009, mais aussi que les heures travaillées ont diminué de 6.9 % par rapport à l’année précédente, passant à 33 heures par semaine. “À aucun moment, lors des récession des années 1990 ou 2001, nous ne nous sommes approchés d’une configuration de l’emploi aussi alarmante” a déclaré David Rosenberg de Glukin Sheff. “Cette fois, au cours de la nouvelle crise, nous avons perdu le nombre record de neuf millions d’emplois à plein temps”.
Les revenus ont diminué au taux annuel de 1,6 %. La déflation salariale est en marche, comme au Japon. Fait intéressant, l’Organisation Internationale du Travail est suffisamment inquiète pour en venir à recommander un accord mondial, de crainte que les différents pays n’enclenchent une ruineuse spirale de surenchère protectionniste et de chacun pour soi.
Certains états mettent en pratique des réductions de rémunération déguisées. Par exemple, plus de 238.000 travailleurs dans l’État de Californie ont travaillé deux jours de moins par mois (sans salaire) depuis février. Sous une forme ou une autre, de telles réductions salariales sont pratiquées dans 22 Etats.
Le Centre d’études du marché du travail (CLMS) à Boston, explique que le taux de chômage atteint désormais 18.2 %, selon les anciennes normes de comptabilisation.
La raison pour laquelle la crise n’est pas ressentie comme dans les années 1930 est que nous avons tendance à ne pas percevoir la vraie chronologie des évènements, et il faut du temps pour que les gens épuisent leurs économies et sombrent dans la misère. Peut-être que le “matelas” est plus important aujourd’hui et permettra d’éviter un autre “Raisins de la colère”, mais 20 millions de propriétaires aux États-Unis sont déjà dans le rouge (selon zsillow.com). Les expulsions sont en cours à un rythme terrifiant.
Quelque 342.000 habitations ont été fermées en avril 2009, en poussant une armée d’enfants à recourir à la charité. Cela se compare aux 273.000 maisons perdues dans l’ensemble de l’année de 1932.
Des Sheriffs dans le Michigan et l’Illinois refusent tout bonnement de jeter des familles à la rue, comme les policiers catholiques réfractaires l’ont fait pendant la Grande Dépression.
L’Europe est un an ou deux en arrière, mais rattrape rapidement son retard. Le taux de chômage a atteint 18.7 % en Espagne (37 % pour les jeunes), et 16.3 % en Lettonie. L’Allemagne a retardé la flambée en payant les entreprises pour qu’elles conservent des travailleurs par le biais de congés de « Réductions d’horaires ». La sage Allemagne craint que le taux de chômage ne passe de 3,7 millions à 5.1 millions l’an prochain.
L’OCDE s’attend à 57 millions de chômeurs dans les pays riches d’ici à la fin de l’année prochaine. C’est un décalage mortel. Ce qui est encore plus perturbant, c’est que les gouvernements n’ont pas encore commencé à réduire leurs dépenses pour éviter que leur pays ne tombe dans une spirale de dettes.
Le président français Nicolas Sarkozy, avec son flair pour les thèmes populaires, a déclaré : “Nous devons réformer tout. Nous ne pouvons pas avoir un système de rentiers et de dumping social pour cause de mondialisation. Ou nous avons la justice, ou nous aurons la violence. Il est illusoire de penser que cette crise n’est qu’un détail et que nous pouvons continuer comme avant “.
Le message n’est pas parvenu à Wall Street, ni à la City. Si les banquiers savent ce qui est bon pour eux, ils s’octroieront le salaire d’un enseignant pendant quelques années jusqu’à ce que la tempête passe. Si on laisse les bonus sur la table, alors même que les contribuables paient pour les erreurs de la caste des banquiers, ils doivent s’attendre à une réaction féroce.
Nous avons la chance que les États-Unis aient un nouveau président qui jouit d’un grand capital de sympathie, et un Congrès complaisant. Les autres nations doivent s’accommoder de gouvernements sur le retour : l’Allemagne paralysée par la coalition gauche-droite, les reliques défraichies du LDP au Japon, un parti travailliste en grande difficulté en Grande-Bretagne. Certains prennent des précautions : Silvio Berlusconi cherche à affaiblir le parlement en Italie (avec peu de protestation), tandis que le Kremlin a mis sur pied des unités “anti-crise” afin d’étouffer dans l’œuf toute velléité de protestation.
Nous entrons dans la phase 2 du “Grand Dénouement”. Il est peut-être temps de mettre à l’écart nos textes de Keynes, Friedman, et Fisher, si utiles pour la phase 1, et de commencer à étudier ce qui s’est passé dans notre société, quand le chômage de masse s’est abattu sur elle en 1932.
Article original en langue anglaise