Plume de Presse. 8 décembre 2009 par Olivier Bonnet
Nous vous en parlions le 30 novembre dernier, lorsque Jacques Sapir tentait de secouer le cocotier mais s’époumonnait un peu dans le désert : la suppression de l’histoire-géo comme matière obligatoire en Terminale S, prévue par la réforme des lycées de Luc Chatel, constitue une régression majeure qu’il faut combattre : "Est-ce à dire que, pour le ministère de l’Éducation nationale, les élèves des Terminales Scientifiques sont appelés à être des citoyens de seconde zone ?", interrogeait le directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Félicitons-nous que, depuis son intervention, le débat soit désormais médiatisé et la contestation grandissante. Ainsi Serge Berstein, historien enseignant à l’Institut d’études politiques de Paris, a-t-il rédigé une tribune, publiée dans le Journal du dimanche : "La décision envisagée par M. le Ministre de l’Education nationale, dans le cadre de la réforme des lycées, de rendre optionnelle l’histoire-géographie en terminale scientifique ne peut que susciter la stupéfaction par son décalage avec les nécessités évidentes de la formation des jeunes Français au début du XXIe siècle. A l’heure de la mondialisation, les futurs bacheliers scientifiques n’auraient donc nul besoin de se situer dans le monde d’aujourd’hui par l’étude de son processus d’élaboration au cours des dernières décennies, pas plus que par l’analyse de sa diversité et des problèmes qui se posent à la planète et à son devenir. (...) Il est impératif d’annuler cette décision, inspirée par un utilitarisme à courte vue, qui se trouve en contradiction avec les objectifs proclamés du système éducatif français sur le plan de la formation intellectuelle, de l’adaptation au monde contemporain et de la réflexion civique des futurs citoyens."
Aux noms des vingt premiers signataires de l’Appel, tous universitaires et historiens, à l’exception du démographe Hervé Le Bras et du "philosophe" Alain Finkielkraut, les soutiens se sont multipliés, venant de personnalités intellectuelles, artistiques ou politiques, centristes et de gauche. Il y a même un UMPiste : Hervé Mariton. Le parti majoritaire doit aussi faire face à la fronde de certains intellectuels pourtant acquis à sa cause : Hélène Carrère (dite d’Encausse) juge "catastrophique que des élèves de Terminale ne disposent pas d’enseignement en histoire-géographie, ce qui les priverait de la culture générale la plus élémentaire qui forme l’entendement des citoyens" et Max Gallo déclare : "Je juge très négativement qu’on puisse envisager de supprimer le caractère obligatoire de cet enseignement en Terminale". Quant à François Bayrou, président du Modem, il n’hésite pas à parler d’une "amputation, une offense à l’idée que l’on va se faire de l’enseignement général. C’est tellement révélateur de la fermeture culturelle à laquelle conduit une conception uniquement utilitariste des études. Comme si les matheux ne devaient faire que des maths, les physiciens de la physique… On oublie ainsi que l’on forme des esprits libres et que la formation humaniste et civique est fondamentale". Après Berstein et Bayrou, Hubert Tison, président de l’Association des professeurs d’histoire et de géographie, dont l’appel à rejeter cette réforme a recueilli 12 577 signatures (au 7 décembre, 9 h 15), dénonce lui aussi l’utilitarisme : "Les élèves de Terminale S représentent aujourd’hui la moitié des effectifs. Trop d’élèves seront privés d’un enseignement indispensable à leur culture générale. Cela dénote une volonté de rupture avec les humanités et avec des valeurs supposées être de gauche. Dans une vision utilitariste de la société, tout enseignement qui ne débouche pas sur un métier concret est mal vu" (propos recueillis par le JDD).
Face à cette résistance, Chatel tente l’enfumage : "l’histoire-géo va garder la place éminente qui a toujours été la sienne dans le système éducatif français et même voir sa place confortée", ose-t-il déclarer à l’AFP, cité par Libération. Confortée, en privant 50% des lycéens de Terminale de son enseignement, puisque l’immense majorité préfèrera alléger son emploi du temps plutôt que s’imposer l’option ? Comment Chatel le magicien parvient-il à ce résultat ? Réponse dans Le Figaro : "Simplement, le programme qui est actuellement traité en Terminale S le sera en Première, où nous augmentons les horaires". Tison lui répond dans 20 minutes : "C’est un tour de passe-passe. Au lieu de deux heures trente de cours en première, la réforme prévoit quatre heures. Mais c’est déjà ce que les élèves avaient en 1990. Ce n’est qu’un juste retour des choses". Nous faire croire qu’une heure et demi de plus en Première suffira à compenser la suppression en Terminale est se moquer du monde ! Surtout que le programme est touffu et fondamental, portant sur l’après 1945. Devant le succès de la mobilisation, le ministre sort l’argument habituel : "Les signataires de cette pétition ont lu sur le papier « il n’y aura plus d’histoire-géographie » ; ils n’ont pas compris qu’il s’agissait d’une réorganisation." C’est toujours pareil avec l’UMP : si l’on conteste ses "réformes", c’est qu’on ne les a pas comprises. Quitte à insulter pour le coup l’intelligence d’universitaires et intellectuels de haut niveau. Mais il faut rappeler le contexte, moteur à droite, du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Impossible de supprimer des postes de professeurs sans sacrifier l’enseignement reçu par les élèves. Si bien que tout le monde y perd : "Luc Chatel a donc souhaité renforcer les enseignements scientifiques en Terminale S. Mais il s’est mis à dos l’Association des professeurs de mathématique de l’enseignement public, qui constate que les grilles horaires "laissent présager une diminution importante et non justifiée des enseignements scientifiques dans leur ensemble". Les élèves de Première scientifique devraient perdre chaque semaine une heure de Sciences et vie de la Terre (SVT), une heure et demie de physique-chimie et une heure de mathématiques. En terminale, ils ne regagneront qu’une demi-heure de mathématiques. Les économistes n’y trouvent pas leur compte non plus. La semaine dernière, ils ont publié un appel dans Le Monde et manifesté contre la perte d’une heure hebdomadaire de l’option de sciences économiques et sociales en seconde. En Terminale, ils perdront également une heure par semaine", résume une dépêche Reuters. On voit bien que chacun proteste mais que Chatel, droit dans ses bottes, incarne la posture de l’UMP seule contre tous, imperméable à tout argument, figée dans sa rigidité idéologique, comme dans l’affaire de la taxation des indemnités des accidentés et malades du travail, adoptée hier par le Sénat, après l’Assemblée nationale, mesure abjecte pourtant désavouée par 65% des Français (Ipsos/Le Parisien). Résistance !
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