L’oligarchie sauvage face à la rue : un choc frontal en préparation.

Altermonde sans Frontières. Le 20 Février 2011 par Samuel Moleaud

 


En cette époque formidable où les cerveaux semblent, en apparence, être en train de se libérer collectivement du joug de leurs oppresseurs, il y a comme une bourrasque d’espoir qui décoiffe un petit peu la longue et fine chevelure de l’oligarchie financière. Nombre de militants contestataires évoquent une pomme pourrie, ou une tumeur qui s’est généralisée pour traiter des effets de la globalisation marchande sur la planète. Les soulèvements populaires actuels provenant d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient sont-ils alors le début d’une lourde chimiothérapie contre l’impérialisme néolibéral ? Les peuples oppressés auraient, d’un coup, pris collectivement la décision de s’affranchir de leurs maîtres illégitimes ? En ébullition, en lutte collective contre leurs despotes soutenus par l’oligarchie néolibérale, ils feraient leur révolution démocratique ?

Oui et non, dira-t-on. Non, car comme quand passe un ouragan surpuissant, la tempête fait des dégâts, les arbres tombent mais les mêmes repoussent toujours à la même place. Oui, car les consciences sont lentement en train d’accumuler une hargne insurrectionnelle contre la tyrannie qui les assassine. En observant avec stupéfaction que contre toute attente, la rue peut vaincre face à la police du régime, et se forgeant l’idée commune qu’une même classe mondialement dominante empoche les profits sur le "dos" des classes dominées, aussi diverses soient-elles. C’est un phénomène nouveau, que ces soulèvements "réussis" fassent boule de neige en dépit d’une même problématique : la globalisation économique qui pendant des décennies, a placé ses rejetons néolibéraux à la tête des pays "pauvres" pour s’en servir de succursale, et les crises systémiques, qui mondialisent aussi les mêmes problématiques (pauvreté absolue et relative, chômage, précarité, inflation, répression, liberté d’expression désuète, profit colossaux des élites… on connaît aussi ces problèmes en Europe...).

Ce papier ne se perdra pas dans de longues descriptions de la manière dont tourne (mal) le système amené par son engrenage meurtrier à ses crises cycliques pour se remodeler et se concentrer en permanence. Je vais faire court : nous lirons dans cette décennie la fin d’un chapitre dans le livre de la barbarie capitaliste. Est-ce à dire pour autant, que nous pouvons prédire sa mort ? Il y a fort à penser que la saine révolte actuelle du « Monde Arabe », après les révolutions démocratiques de l’Amérique Latine, lance le message à tous les opprimés de la planète que la rue peut vaincre sur un gouvernement clanique, despotique, autoritaire et répressif. Mais est-ce que la chute des régimes tyranniques va emporter avec elle la fin de la dictature des marchés ? Nous pouvons faire confiance aux oligarchies de l’Occident pour trouver un système d’autodéfense adaptatif au nouvel ordre social qui s’impose.

Israël, entouré de pays démocratiques ?

Demandez à un chat domestique de laisser vivre une souris, car il a suffisamment à manger pour ne pas la tuer. Demandez aux États-Unis et Israël de laisser un régime démocratique, respectueux du peuple (pourquoi pas d’économie sociale, fondée sur le partage et la taxation des échanges commerciaux), s’installer dans une région où l’Occident implante ses consortiums d’entreprises pétrolières. Comment Israël pourrait-il garder sa politique ultranationaliste et concentrationnaire sur Gaza si tous ces pays se "démocratisent" ? [1] En clair, je suis persuadé que les cerveaux qui seront mis à la tête des pays suite à la transition démocratique feront moins le jeu du peuple que celui des banques et multinationales privées occidentales. Comment croire qu’en Égypte, la nomination au pouvoir intérimaire de Mr Souleiman, (qui est pro-sioniste, et favorable au mur qui enclave la bande de Gaza), changera la politique étrangère de ce pays, et respectera la "révolution" du peuple, annonçant des élections libres, mais n’ayant soi-disant pas l’ambition de se porter candidat ? Comment croire que cette "révolution" médiatisée, soutenue par les seigneurs occidentaux amènera à la "démocratie" ? La retranscription d’une conférence tenue par Noam Chomsky explique à merveille la façon dont nous sommes dupés par la toile de fond de ces évènements récents. La trame, ce n’est pas le nom du chef de l’État, mais le contrôle des ressources.

Israël est un État agressif à la solde des États-Unis, qui n’a aucun intérêt à ce que ses voisins deviennent autre chose que des dictatures alliées. Selon Noam Chomsky, dont je ne peux que partager l’analyse, accepter et laisser des gouvernements respectueux du peuple, donc anti-impérialistes et antisionistes, relève du suicide, et marquerait la perte de l’hégémonie israélienne dans la région. L’auteur pousse même jusqu’à affirmer que cet État ultranationaliste (dont la xénophobie obtient l’assentiment du peuple) irait même jusqu’à déclarer la guerre à tous ses voisins qui ne s’aligneraient pas : Hamas au Liban, Iran, Égypte, si la transition démocratique ne va pas dans le sens du gouvernement de Netanyahou. Son opinion est plus que pessimiste quant à l’avenir de cette région, puisque ce pays atomique pourrait aller jusqu’à s’autodétruire pour mourir collectivement en martyrs. Ce n’est qu’une opinion, une analyse. Mais si ce scénario est vrai, cela en dit gros sur la façade visible du prisme multiforme de ces "révolutions", que je qualifie d’instrumentalisées à la sauce impérialiste.

Ne cédons pas à la propagande médiatique visant à faire croire à la Révolution démocratique

Je l’ai déjà écrit, il y a quelques mois, ces régimes étaient vus par les valets de la presse comme des régimes modérés et fréquentables. Depuis mi-janvier, ce sont des dictatures autocratiques qui se démocratisent. Le vocabulaire médiatique a changé. La mafia du capital fait son business. Elle élimine les mauvais payeurs, se retourne contre les anciens amis vus désormais comme des traitres, les laisse pour morts, et elle s’organise avec d’autres cartels. Voilà à quoi ressemblent ces "révolutions" : un tour de passe-passe pour la sauvegarde de l’ineffable Nouvel Ordre Mondial et la croissance de l’économie de marché. Il serait difficile de renflouer nos PIB sans l’économie du pétrole, si ces États du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord étaient souverains sur leurs ressources, voir même s’ils nationalisaient leurs entreprises... Revenons à nos moutons, un mot sur la démocratie…

Quelle tristesse de constater que même les militants de gauche, ceux de la gauche de la gauche y compris (terme devenu à la mode pour éviter le dangereux médiatique "extrême-gauche", terme polysémique impossible à définir depuis que les organisations partisanes ont supprimé de leur organigramme la lutte des classes pour devenir rentables électoralement). Quelle désolation, dans le concert collectif de la propagande médiatique dépourvue d’analyses donnant sens aux choses, de voir ces gens qui réfléchissent à une société future qui serait meilleure, scander démocratie, sans même savoir ce que c’est. Non, pire, en cachant ce qu’elle est par manque de temps dans la maîtrise de l’agenda.

J’introduis mon propos en répétant que les journalistes qui publient, les conseillers politiques qui écrivent les discours (du Front de Gauche au FN) ont tous fait des études de science politique ou administrative. Ils savent pertinemment que le terme "démocratie" est un moule géant qui revêt plusieurs formes, plusieurs sens, et même plusieurs expériences par le passé… qu’il serait trop long hélas d’exposer ici dans le détail. À ma connaissance, nous vivons dans une démocratie (le papier ne refuse pas l’encre) représentative d’inspiration libérale. Mais il existe aussi la démocratie directe, participative. Le régime présidentiel, parlementaire. La démocratie fonctionnant sur le fédéralisme, l’État unitaire (dé)centralisé. Il y a aussi le suffrage censitaire, universel direct, le vote à main levée… Toutes ces composantes ne donnent évidemment pas le même aspect à la démocratie, et les composites de nos régimes tant souhaités et exportés comme religion (héritage aussi triste que fascinant de la théorie positiviste d’Auguste Comte, où le modèle de démocratie occidentale doit être exporté à tous les pays pauvres) ont été bien finement sélectionnés par les élites libérales du siècle des Lumières. En réclamant la démocratie vue dans le sens commun, les gens de gauche acceptent la propagande médiatique actuelle qui voit la démocratie néolibérale des élites comme une religion, la première des vérités... Passons. Ils acceptent aussi la non-participation des citoyens aux affaires publiques, ainsi que le jeu républicain des élites socialement sélectionnées.

La démocratie telle qu’on la scande de nos jours, fut érigée définitivement en 1776 aux États-Unis contre le peuple, par notables, aristocrates et banquiers, pour contenir les révoltes de la foule, afin d’éviter que celle-ci ne prenne le pouvoir politique et économique. (Dixit Howard Zinn, et tant d’autres.) Si au départ, les entreprises étaient dévolues à fournir les infrastructures nécessaires à la population, dans le respect du bien commun, le quatorzième amendement de 1865 attribuait la personnalité juridique morale aux entreprises, et leur permettait de passer des contrats, intenter des procès, et faire du profit au même titre qu’une singulière personne physique. [2] Cent cinquante ans après, c’est cette logique alliée à la nécessité de rentabilité et de compétitivité qui s’est imposée aux États, dans un contexte géopolitique belliqueux, où aucune régulation n’est possible sur les échanges multilatéraux. Des relations multilatérales en théorie, d’États égaux entre eux selon la mafia réaliste des relations internationales, qui sont unilatérales, entre les puissants. Une institution qui s’est retournée contre son créateur, un bolide sans pilote qui se dirige droit dans un mur. D’où cette myriade de contestations éparses depuis peu : les peuples commencent à prendre conscience de l’infâme pot-aux-roses qui se cache derrière leurs vies d’Hommes serviles.

La démocratie, la seule où le peuple dirige et prend des décisions publiques de manière collective, ce que les pseudos démocrates nomment la démagogie ou le populisme pour s’en laver les mains, est celle du « pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple »... Elle est directe et participative. Le vote s’effectue à main levée, dans un État fédéré aux communes semi-autonomes. Elle est souvent associée à de la démagogie, car populaire, donc socialisante, elle n’est pas souhaitable par les rédacteurs bourgeois de la théorie des régimes. Le gouvernement démocratique doit être composé des acteurs intéressés de la société civile, et non des membres de la classe dirigeante et possédante. C’est, à mon sens, ce type d’État social et civil qui permettrait d’instaurer une réelle démocratie. Mais l’ordre économique et géopolitique actuels ne risquent pas de permettre cela. Le régime actuel est vu comme "Représentatif", c’est-à-dire représentant les masses qui, dans l’impossibilité de gérer les tâches nationales, délèguent à leurs élus les pouvoirs locaux ou centraux, mais c’est Sieyès et ses amis de la bourgeoisie aristocratique (anti monarchiste, révolutionnaire de 1789) qui ont opté pour la représentation du peuple par une élite capable et éclairée, car il était dangereux que le peuple gouverne lui-même. La démocratie représentative libérale, est un moule juridique destiné à protéger la bourgeoisie, la loi, la propriété privée et les inégalités sociales. (Depuis les écrits de Montesquieu)

Les "révolutions" du "Monde Arabe", n’en sont donc pas. J’entends d’ici hurler que cet article est une insulte aux gens qui payent de leur vie sous les balles policières leur mobilisation, une insulte à l’éveil d’un peuple qui parvient à lutter pour sa liberté. Une révolution est la destruction collective du socle institutionnel précédant la révolte, avec non seulement le changement du corps gouvernemental, mais aussi celui de la Constitution. Ce n’est pas seulement une lutte pour un changement de président. Comment peut-on célébrer une révolution lorsque les élites et les chiens de garde du pouvoir impérial capitaliste du monde entier se félicitent et cautionnent ces chutes de têtes tombantes ? Les oligarques se féliciteraient tout d’un coup des aspirations de la société civile ? Comment caractériser une révolte autorisée par l’armée pour changer la tête du chef d’État ? C’est un tour de passe-passe mafieux.

Autrement dit mais vous m’aurez compris, quand les élites applaudissent une révolution, je pense qu’il faut se méfier et regarder ce qui se trame en coulisse. Car on n’entend que peu d’applaudissements, par exemple, à propos de la Bolivie, de l’Équateur, du Venezuela, encore moins de Cuba ou de l’Iran... Pire, les médias à grand public insistent sur les dysfonctionnements (inflation, partis d’opposition financés par les États-Unis, émigration vers des pays libéraux) au lieu de parler des progrès sociaux (économie sociale et solidaire, prohibition constitutionnelle d’un niveau trop élevé de profits, hausse du niveau d’éducation, amélioration des systèmes publics de santé, agriculture raisonnée, souveraineté alimentaire, gestion publique des transports, nationalisations permettant emplois, régulation des prix). Revenons au "Monde Arabe et Musulman" (entre guillemets, car c’est une catégorie qui n’a aucun sens, parle-t-on d’un "Monde Catholique", d’un "Monde Juif" ?). Peut-être pourrions nous alors parler de soulèvements, luttes à la base immensément saines de peuples réveillés du Maroc au Bahreïn, mais insistant sur le fait que ces révoltes sont instrumentalisés pour trouver de nouveaux débouchés à l’ogre déifié du Capital ?

Dans l’engouement que véhicule cette vague de contestation, on se prend à rêver, à raison, que celle-ci traverse la Méditerranée. Mais transposé à nos frontières, même si la longévité du mandat de nos gouvernants politiques est moindre, (tant les problèmes économiques et sociaux se ressemblent), je fais le pari que la colère collective s’accommoderait sans complexe de voir remplacer Nicolas Sarkozy par DSK, pensant avoir du changement : un mouvement social d’envergure nationale détourné au profit des classes sociales favorisées. Comme en 1789, 1830, 1848, 1870, 1968… J’ai peine à croire à la non-instrumentalisation d’une Révolution citoyenne, socialiste et démocratique. Néanmoins, un choc frontal violent est en train de se préparer entre les sociétés civiles et les détenteurs du pouvoir.

 

[1] legrandsoir.info

[2] Documentaire sur l’histoire de l’entreprise et son rôle : The Corporation, youtube.com


Commentaire (1)

1. Marina - Le 22/02/2011 à 17:29


(1) Ici la définition de RÉVOLUTION donnée par l'auteur est “destruction collective du socle institutionnel précédant la révolte …”. Donc, il s'agit d'un changement radical plus ou moins immédiat, un renversement total des institutions, de l'orientation politique.
Pourtant, il existe des révoltes, des réformes, des changements de rapports de forces, qui œuvrent dans le cadre d'un travail révolutionnaire dans la durée.
Et si notre conception de “révolution” était tributaire de notre conception du TEMPS?

(2) D'autre part, à différents degrés, l'instrumentalisation est, a été et sera toujours présente, dans toutes les luttes d'émancipation. Peut-on dire aujourd'hui que la Révolution Française ou la Révolution Mexicaine n'ont pas été instrumentalisées?

(3)Finalement, dans quelle catégorie range-t-on les forces armées lorsqu'on a une représentation générale du style “sociétés civiles” versus “détenteurs du pouvoir”?
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Dernière mise à jour de cette page le 21/02/2011

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