La crise a été l’évident déclencheur et propagateur de l’économie du partage :
« La crise a généré un changement de mentalité, elle a contraint les gens à s’interroger sur les nouveaux moyens à leur disposition leur permettant d’effectuer des économies et de gagner de l’argent à partir de leurs biens », affirme Daniel Noble , fondateur de Drivemycar, qui met en relation propriétaires de voitures et personnes recherchant des locations de courte durée en Australie.
« Lorsque j’ai entendu pour la première fois parler du concept [de la location de voitures entre particuliers], j’ai pensé que c’était une très mauvaise idée, je n’aurais jamais laissé quelqu’un conduire ma voiture […] Mais la crise a été un catalyseur, j’ai commencé à réfléchir à comment diminuer certaines de mes dépenses et comme la voiture est un des principaux pôles de dépense… » Drivemycar rencontre un vrai succès en Australie : toutes sortes de voitures sont disponibles y compris les plus beaux modèles, Noble explique ainsi : « J’ai maintenant des Ferrari et des Porsche disponibles à la location, les gens en parlent à leurs amis, ils n’ont pas honte » (nous ne sommes pas en reste : une magnifique SLK est disponible à la location sur Voiturelib à La Ciotat, une très belle calèche est également proposée par un particulier sur le site de Deways ;).
Si la crise a été un évident accélérateur du mouvement par la contrainte budgétaire nouvelle qui en a résulté, elle ne saurait expliquer à elle seule le rejet croissant dont l’hyperconsommation fait actuellement l’objet. Aujourd’hui c’est même sur le terrain de la mode et du prêt-à-porter (souvent initiateurs des futures tendances) que s’expriment ces nouvelles pratiques : du mouvement des recessionistas aux sites de vides-dressing , en passant par les sites de locations de sacs ou de bijous de mode comme Avèle , les sites de troc, d’échange et de location de vêtements se multiplient, quand ce ne sont pas les créateurs eux-mêmes qui s’en emparent en faisant appel à la créativité du consommateur . « Nous n’avons pas besoin d’acheter de nouvelles fringues à chaque nouvelle saison.» Interrogée par le Sydney Morning Herald, Lara Mc Pherson met en place des événements de troc de vêtements par l’intermédiaire de son blog (dans le même esprit, saluons Pretatroquer en France), elle explique : « j’ai pris la décision d’arrêter d’acheter de nouveaux habits jusqu’à ce que je trouve un moyen socialement responsable et bon pour l’environnement de vivre ma passion pour la mode.»
Au-delà des économies permises par ces sites, c’est l’impact social généré (en un mot la rencontre) qui est au cœur de leur succès.
« De la crise naît la nécessité de s’assembler, et de cette nécessité naît le plaisir de s’assembler. On y trouve son compte pour ses intérêts individuels et matériels, puis très vite, quelque chose se passe et la communauté d’intérêts devient une communauté de liens. » (lu sur le blog de la Ruche qui dit Oui ! dans l’un des articles français les plus enthousiasmants sur la Consommation Collaborative).
La capacité à récréer du lien social est pour beaucoup dans l’engouement de nombreuses plateformes de consommation collaborative. Un avis que partagent de nombreux historiens et sociologues. Interrogée par Le Monde, Laurence Fontaine, historienne et directrice de recherche au CNRS voit dans le mouvement un rejet de l’économie capitaliste :
«La crise, ou plus exactement l’appauvrissement, pousse les gens vers ces nouvelles formes d’échanges. Mais on peut également analyser ce mouvement comme un refus de la société de marché, commente-t-elle. Au XVIIIe siècle, les aristocrates payaient en objets et habits. L’arrivée de l’argent a été une libération des liens sociaux. Les hommes ont ainsi accédé à l’anonymat et à l’individualisme. Mais maintenant que ces valeurs ne sont plus portées aux nues, on cherche de nouveau à tisser du lien social avec d’autres moyens. »
Stéphane Hugon, sociologue et cofondateur du cabinet Eranos, partage ce constat et envisage les implications économiques de ces évolutions :
« Cette nouvelle consommation sonne le glas d’une approche de la société et des marchés à partir de « l’individu rationnel qui optimise sans contrainte ». A-t-il d’ailleurs jamais été rationnel ? […] La consommation est ici largement motivée par une recherche de relation sociale qui vient épaissir le prétexte rationnel d’un geste qui n’est économique que par extension. C’est probablement toute notre culture économique qui s’en trouve modifiée. »
Erwan Lecoeur, sociologue, ancien Directeur de l’observatoire du débat Public développe l’idée que l’explication du succès de ces nouveaux comportements est à rechercher dans une quête de liens et de confiance en soi et en l’autre : « Avec ces nouveaux comportements, plusieurs attentes apparaissent, que l’on pourrait appréhender par la centralité du besoin du « lien », d’une qualité particulière et d’une confiance renouvelée.
Derrière les produits et les services concernés, c’est avant tout une nouvelle forme de relation, de partage qu’il s’agit de vivre. Plus qu’une simple proximité géographique, on peut y voir une recherche de relation affinitaire à nouer ; le besoin d’une rencontre réelle, d’un contact avec le producteur, l’inventeur, le fournisseur de biens ou de services. […] On passe du bien à ce qu’il permet : un lien. [...] Le bonheur n’est pas contenu dans l’objet échangé, semblent dire des millions de nouveaux consommateurs mais dans l’acte d’échange et la rencontre qu’il permet. »
Et d’envisager la propagation et la contagion du partage…
« Ces formats d’échanges de produits et de services qui se développent un peu à l’écart du monde de la grande consommation ne sont qu’embryonnaires ; ils n’en ont pas moins beaucoup d’avenir. Parce qu’ils créent une convivialité, une confiance qui fait défaut à l’extérieur, ils attirent à eux de nombreux adeptes, intrigués par ces étranges manières, puis désireux de faire partie de cette petite société-là, au moins par bribes, par moments, par intérêt. »
Et vous, vous trouvez que cette économie-là fait du sens? Couchsurfing, l’autopartage (entre particuliers), les AMAP, le coworking, le colunching, le troc de vêtements, le Booksurfing, le crowdfunding, … vous y croyez, ça vous parle, ça vous inspire ? N’hésitez pas à me faire part de vos expériences et de vos commentaires !
Parce que je suis également convaincu de l’impact social et de la contagion possible, attendue et souhaitable de cette économie du partage, j’ai commencé à réunir des adeptes du partage pour échanger autour de la thématique, publier des articles encore plus pointus et plus fréquemment et réfléchir à l’organisation d’évènements. Ce projet vous intéresse ? Vous souhaitez juste en savoir plus ? N’hésitez pas à rejoindre notre toute nouvelle page Fan, vous pouvez aussi me contacter directement sur facebook, twitter ou par mail : je serais ravi d’échanger avec vous sur ces nouvelles formes de partage entre individus et sur les implications de cette nouvelle économie.
Pour aller plus loin :
*C to C : Consumer to Consumer; ici les vendeurs ne sont (pour la plupart) pas professionnels et vendent leurs réalisations originales par le biais de la plateforme. On dépasse le cadre du partage au sens stricte. Etsy est davantage une forme de distribution directe qui « court-circuite » l’économie centralisée.
*Peer-to-Peer : Selon Michel Bauwens, « le P2P [ou échange entre pairs] est un certain type de dynamique relationnelle… C’est une forme d’organisation basée sur les réseaux, reposant sur la libre participation de partenaires équipotents engagés dans la production de ressources communes. Il ne recourt pas aux compensation financières comme motivation principale, et n’utilise pas les méthodes traditionnelles de commande et contrôle. Il crée un Commun plutôt qu’un marché ou un état, et se base sur des relations sociales pour allouer les ressources, plutôt que sur un mécanisme de prix ou un système hiérarchique. » (voir http://p2pfoundation.net/index.php/1._Introduction)
Credits Flickr : Victoria Diaz Colodrero, Daniel Gillet
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