Notre-planete.info. Le 19 Janvier 2011 par Michel Tarrier
C’est en 2008 dans le Limousin que des particuliers contactent l’association Générations futures pour les aider à se défendre en justice contre des arboriculteurs voisins pratiquant des traitements de biocides à proximité de maisons d’habitations. Fin 2009, les autorités sont saisies d’une plainte dénonçant plusieurs pomiculteurs pour des pratiques agricoles constitutives d'infractions selon l’arrêté de 2006. Il s’agit du non-respect des conditions d'épandage de pesticides s’appliquant dans le cas présent aux conditions météorologiques à observer, les relevés météo attestant qu’au moment des épandages le vent était supérieur à 3 sur l’échelle de Beaufort. La première instance aura lieu ce mois-ci au Tribunal de Brive.
Alors que d’innombrables maladies environnementales alimentent régulièrement la chronique et que bon nombre de médecins, de nutritionnistes, d’agronomes et de scientifiques indépendants nous informent tant de la contamination des sols et des eaux, que de la dangerosité croissante des produits agricoles, le caractère à la fois exceptionnel et anecdotique d’un tel recours en justice ne peut que nous interpeller.
« On arrête les gangsters, on tire sur les auteurs de hold-up, on guillotine les assassins, on fusille les despotes - ou prétendus tels - mais qui mettra en prison les empoisonneurs publics instillant chaque jour les produits que la chimie de synthèse livre à leurs profits et à leurs imprudences ? » écrivait en 1963 Roger Heim préfaçant la traduction française de l'ouvrage de Rachel Carson Le Printemps silencieux. « Nous ne faisons plus de la culture en Europe, nous gérons de la pathologie végétale. » déclare aujourd’hui l’agronome dissident Claude Bourguigon. « Savez-vous qu’il y a des pesticides dans la rosée du matin sur les fleurs ? » écrivaient Fabrice Nicolino et François Veillerette dans leur livre Pesticides : Révélations sur un scandale français.
Des pesticides dans la rosée matinale sur les fleurs ? Et dans l’eau de pluie de toutes les villes, dans les sources, les cours d’eau, les nappes les plus profondes… Et dans les sols, dans toute notre alimentation, jusque dans notre pain quotidien devenu exécrable. Il y a des pesticides dans le sang des nouveau-nés, dans le lait maternel, dans la graisse de nos corps. Il y en a même dans l'air intérieur de nos maisons ! Les pesticides sont partout, et leurs molécules s'attaquent directement à la vie des humains et de tous les êtres vivants.
Empoisonnement de l'humanité et des animaux domestiques par l’emploi irraisonné de milliers de pesticides, dont nombre sont mortifères à plus ou moins long terme, avec comme seul objectif un enrichissement de l’élite et une mise sous tutelle budgétaire du monde paysan (25 000 suicides de cultivateurs surendettés en Inde) ; contamination de la biodiversité alimentaire ; alimentation non seulement nulle parce qu’exempte de substances nutritives, mais aussi de grande dangerosité ; mort biologique des sols des grandes contrées fertiles dont 30% sont fatigués ou exténués… Depuis donc une soixantaine d’années, les gouvernements de tous les pays et de toutes les tendances mentent comme des arracheurs de dents et sont complices des transnationales de l’agrochimie, en promouvant une agriculture industrielle hautement toxique, saccageant les valeurs basiques de la planète, exposant la salubrité publique aux pires conséquences, répandant mort et dégénérescence chez les populations. Les enfants d’agriculteurs présentent deux fois plus de malformations génitales que les autres, mais on nous dit que le cause à effet n’est pas prouvé alors qu’un cocktail de quelque 100 000 molécules de synthèses sont baladeuses dans les sols, les eaux et les airs agricoles. Ce qu’il y a de tout à fait diabolique dans la démarche économique des groupes chimiques, c’est que de leur grand chaudron de sorcière sortent aussi les médicaments soi-disant aptes à guérir des maladies et des cancers qu’ils nous inoculent froidement.
Un pesticide, ou biocide, est une substance capable de contrôler, d’attirer, de repousser ou de détruire des organismes vivants considérés comme nuisibles ou de s'opposer à leur développement. On en distingue trois catégories génériques : les insecticides, les herbicides et les fongicides. Il existe des pesticides de contact, qui agissent sur un point précis de l’organisme, et des pesticides systémiques, qui se propagent intrinsèquement. D’innombrables données, pour la plupart assez récentes et sujettes à contestations de la part des secteurs intéressés, suggèrent que les agriculteurs développent plus de cancers spécifiques que la moyenne des gens, et donc qu’il existe un lien réel entre les pesticides et l’apparition de certains cancers environnementaux. Les types de cancers suspectés sont de types hémopathies malignes (leucémies, lymphomes malins, myélomes), cancers cérébraux, cancers cutanés, sarcomes des tissus mous, cancer de l’estomac, cancer de la prostate, du testicule et de l’ovaire et cancer des lèvres. On a également répertorié 47 pesticides perturbateurs du système hormonal, soupçonnés d’agir comme modulateurs endocriniens, c’est-à-dire qu’ils peuvent mimer le comportement des hormones. Ils seraient associés au développement des cancers du sein, de la prostate, des testicules et à l’endométriose. L’effet cancérigène des biocides chimiques est lié à la manipulation (main d’œuvre), à la consommation (consommateurs des fruits et légumes chargés en résidus) et à l’environnement (respiration, notamment dans les zones agricoles d’épandages récurrents). Comme on le sait, c’est aussi la dose qui fait le poison. Dans les exploitations de maraîchage intensif, les quotas sont toujours dépassés.
L'agriculture occidentale moderne est une agriculture hors-sol produisant des aliments-poisons. C'est une agriculture militarisée ou terroriste, comme on voudra, qui bombarde le sol de tout un arsenal de produits toxiques. 96 % de nos cours d'eaux et 61 % de nos nappes phréatiques sont pollués par un cortège délétère de 230 pesticides, avec comme molécule prééminente l'atrazine, remarquable génératrice de cancers (du sein et des ovaires), de maladies cardiovasculaires, de dégénérescences musculaires, de lésions des poumons et des reins.
Le recours aux produits chimiques pour la protection des cultures date en Europe du XIXe siècle, avec l’utilisation viticole du soufre, puis des sels de cuivre comme fongicides en 1885, et enfin de l’irruption du sulfate de fer en qualité d’herbicide et des premiers insecticides. Depuis, tous les efforts ont été investis en faveur d’une lutte sans répit pour contrer l’incidence des adventices, vaincre les maladies et les effets de toute concurrence pourtant aussi loyale que biologique, et que nous nommons ravageurs. Depuis la prise de conscience des années 1970, la filière phytosanitaire nous fait accroire à la légitime tendance vers des substances au profil toxique moindre et d’un impact moins brutal sur l’environnement. Au su des chiffres relatifs aux cancers environnementaux et d’une marginalisation forcenée et élitaire de l’agriculture biologique, force est de constater qu’il n’en est rien.
La France est un des plus gros consommateurs de pesticides au monde, avec 100 000 tonnes à l’année pour ses 660 000 exploitations agricoles. Un Français ingère chaque année le chiffre fantastique de 1,5 kilogramme de pesticides divers. Nos migraines spontanées et récurrentes ont une explication, comme nos coups de stress ou d’apathie. Le cancer est un plat courant, on nous le sert au quotidien. Les maladies dégénératives connaissent une hausse vertigineuse.
Preuve que l’agrochimie est redoutable : l’agriculture est le secteur professionnel le plus touché par les maladies liées à l’usage des produits toxiques. Les épidémiologistes ont montré que les personnes âgées ayant été exposées aux biocides ont 5,6 fois plus de risques de développer la maladie de Parkinson et 2,3 fois plus la maladie d’Alzheimer. Enfin, c’est au sein du monde agricole que l’on observe un taux anormalement élevé de tumeurs cérébrales, de cancers des ganglions et de la prostate, et de leucémies. Et j’ai préalablement parlé du taux anormal de naissances avec déformations génitales chez les agriculteurs.
Que ce soit par la faute des nitrates ou des pesticides, disposer d’une eau de qualité n’est plus un droit citoyen. Certains secteurs, soutenus par les gouvernements, ont délibérément dégradé les eaux de surface et souterraines. 75% des eaux françaises sont ainsi contaminées et seront inaptes à satisfaire l’objectif fixé pour 2015 par la Directive européenne quant au bon état des eaux. Quant au tissu terrestre, 80% du Vivant étant concentré sur les trente premiers centimètres d’épaisseur du sol, la mort biologique de ce dernier est chose accomplie dans toutes les contrées où sévit une telle agriculture.
En dépit du combat d’un trop petit nombre de consommateurs lucides, peu soutenus, peu écoutés et même raillés par les intoxiqués potentiels, bien moindre que celui qui su faire reculer le tabagisme, les quantités mises en œuvre par les exploitants agricoles n’ont pas sensiblement baissé. 5% des fruits et légumes vendus en Europe présentent encore des valeurs résiduelles en biocides supérieures aux plafonds autorisés. La commission de l’Union européenne conteste l'existence d'un lien de causalité entre l'usage de pesticides et l'apparition de certaines maladies, position évidemment confortée par l'Association européenne de la protection des plantes (ECPA), laquelle regroupe 80% des producteurs de pesticides de l'Union européenne (Bayer, Monsanto, BASF, DuPont de Nemours...).
Le marché national des produits de protection des plantes est dominé par les fongicides : entre 50 et 60% du total, notamment employés dans l’arboriculture, la viticulture et la céréaliculture. La seconde catégorie des substances phytosanitaires utilisées est constituée des herbicides, avec 28 à 37% du tonnage des produits actifs employés. Systématiquement désherbées chimiquement, ce sont les unités de céréales et de maïs qui en absorbent la majeure partie. Viennent enfin les insecticides (et acaricides) qui ne représentent que quelque 5% de l’ensemble, avec les aléas annuels causés par les fluctuations des attaques. Les oranges, les citrons, les mandarines, les pêches et les fraises outrepassent toujours les normes admises, déjà très généreuses. Les autres aliments frais les plus contaminés sont les concombres et les salades. Par suite des modifications apportées au blé et à toutes les céréales, notre bon pain quotidien est aussi devenu un vrai poison.
En Picardie, les poiriers reçoivent jusqu’à 27 traitements à l’année ! Les cerisiers reçoivent chaque saison entre dix et quarante traitements de pesticides ! Voici, en vrac, la chimie qui leur est le plus souvent associée : fongicide, pesticides, hormones, azote, phosphore, potassium, tétrachlorure de carbone, bisulfite de carbone, chlopyriphosméthyle, chlorure de nitrosyle, acide ascorbique, silicate de calcium, permanganate de potassium, hydrox toluène de butyle, antioxydants (ascorbate de sodium, alpha-tocophérol de synthèse, butylhydroxytoluène ou éthoxyquine...), émulsifiants (alginate de calcium, alginate de propylène-glycol ou polyéthylène glycol), conservateurs (acide formique), colorants (capsanthéine), agents liants (lignosulfate, stéarate de sodium), appétant (glutamate de sodium), antibiotiques et anticoccidiens, agents actifs de surface (acide cholique), antibiotiques (flavophospholipol, monensin sodium...). Avant d’être commercialisées, les cerises sont décolorées à l'anhydride sulfureux et recolorées de façon uniforme à l'acide carminique ou à l'érythrosine. Elles sont plongées dans une saumure contenant du sulfate d'aluminium et à la sortie elles reçoivent un conservateur comme le sorbate de potassium. Elles sont enfin enduites d'un sucre qui provient de betteraves qui, comme les blés, ont reçu leur dose d'engrais et de pesticides. Ce sucre est extrait par défécation à la chaux et à l'anhydride sulfureux puis décoloré au sulfoxylate de sodium, avant d’être raffiné au norite et à l'alcool isopropylique. Il est enfin azuré au bleu anthraquinonique.
Quant aux engrais, des 20 à 30 kilogrammes d’azote à l’hectare préconisés, ils ont atteint tranquillement 250 kilogrammes sur des parcelles de plus en plus vastes, sans relief et démunies de haies.
Première chaîne de télévision, 30 juillet 1972, 20h, le speaker Philippe Gildas parle du 1er Congrès international de la défense de la Nature, tenu à Fleurance (Gers), dont le maire est alors l'illustre Mességué. Un des participants à ce congrès, agriculteur dans le Gers, est présenté aux téléspectateurs et déclare : « J'ai autrefois craché le sang à la suite de traitements chimiques avec lesquels j’empoisonnais moi-même les autres…. Tout le monde sait que les produits phytosanitaires sont cancérigènes ».
Allez savoir pourquoi la Ligue contre le cancer suggère comme recommandation préventive de consommer chaque jour et dès le plus jeune âge 5 fruits et 5 légumes en se gardant bien de conseiller leur traçabilité bio et donc en privilégiant la filière intensive traditionnelle ? Pour qui roule ce type d’ONG ?
L’agro-productivisme peut être assimilé à une forme de terrorisme. Et ce n’est pas parce que certains agriculteurs sont des kamikazes qu’il faut avoir pitié et accepter qu’ils nous contaminent. Il conviendrait désormais de mettre ces gens et leurs dealers de substances hors d’état de nuire. Ce devrait déjà être le cas, par exemple, des exploitants sans foi ni loi des 40 000 hectares d’agriculture surintensive sous plastique d’Almeria (Espagne) exportant à l’année trois millions des tonnes de fruits et des légume pestiférés, souvent chargés d'isophenphos méthyl sur des terres dont les nappes sont encore gavées d’atrazine ; des producteurs de fraises espagnoles transgéniques et bourrées de fongicides ; des cultivateurs de bananes de la Martinique et de la Guadeloupe recourant jusqu’en 2003 au chlordécone, un insecticide organochloré de la famille du DDT pourtant interdit en France dès 1990, ayant pollué les sols et les eaux et provoquant cancer du foie, malformations et stérilité (délétion de la spermatogenèse) à l’homme et aux animaux. Mais ces délits contre la santé publique jouissent de la totale immunité qui caractérise l’attitude capitaliste laxiste à l’endroit de toute industrie, et spécialement celles chimiques et pharmaceutiques.
Nous pourrions, tout de même, nous interroger sur une scandaleuse inversion des valeurs. Pourquoi en sommes-nous arrivés à ce que le bio, c'est-à-dire le naturel, le bon, le salutaire, le « normal » nous soit proposé comme le rare, l’exceptionnel, l’inaccessible, le hors de prix ? Une amnésie citoyenne, ajoutée à un décervelage médiatique, doux ingrédients de nos démocraties, nous permettent d’accepter un des plus criminels détournements, opéré par le système au fil de décennies de fieffés intérêts agrochimiques. C’est ainsi que la merde létale offerte comme plat courant nous semble légitime et qu’il nous paraît parfaitement logique qu’une saine nourriture soit taxée d’un bonus. Tout un chacun est depuis belle lurette rompu, non seulement à la fadeur et à la médiocre qualité d’un fruit ou d’un légume, mais aussi à la dangerosité révélée de sa consommation. La pomme du Paradis perdu et celle de la sorcière de Blanche Neige ont peut-être leur rôle à jouer dans l’inconscient de cette conception. Alors, au royaume des obèses obsédés par l’anorexie, on courbe l’échine et on se bâfre. Et on se dit qu’il faut avoir les moyens pour manger sain, qu’il faut aller faire ses courses on ne sait où pour ne pas se faire avoir, que c’est un privilège de retrouver le goût de la tomate, la saveur de la pêche, qu’il est normal qu’un fruit acheté le midi soit pourri (ou vomi) le soir.
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