« Action ! » Renvoyé devant la justice, le 21 septembre, dans l’affaire Clearstream, Dominique de Villepin lance, dans la moiteur de l’été, quelques méchants signaux au pouvoir actuel qu’il juge, non sans raison, responsable de sa relégation judiciaire et de sa mise en quarantaine politique. Oublié le timide rapprochement que l’on avait pu noter, au printemps dernier, entre Villepin et Sarko !
Sur le plan politique d’abord, un axe se dessine désormais entre l’ancien Premier ministre et le patron du groupe UMP à l’Assemblée, Jean-François Copé. Les deux hommes, qui se parlent souvent, ont au moins un adversaire en commun, l’actuel chef de l’Etat. Pas sûr que l’alliance résiste très longtemps aux ambitions féroces de l’un et de l’autre, mais peu importe. L’union fait la force !
Apparemment, cet activisme ne plaît guère à l’Elysée. Lors du conseil des ministres du 29 juillet, Nicolas Sarkozy a piqué une crise, comme Le Canard Enchainé l’a rapporté, contre les initiatives de l’ancien Premier ministre. Une certitude, confie un proche de Nicolas Sarkozy à Bakchich, « la rentrée sera chaude entre les ex-chiraquiens et les sarkozystes ». Et les couteaux sortis !
Scuds à répétition
Développé notamment par Libération et par le site Mediapart,le dossier de l’attentat de Karachi se veut un avertissement au camp sarkozyste. La thèse avancée dans ces médias fait de l’arrêt des commissions versées par la DCN International (DCNI), dans le contrat des trois sous-marins Agosta vendus en 1995 au Pakistan, la principale cause de l’attentat de Karachi sept ans plus tard ; onze ingénieurs français y trouvaient la mort.
Cette véritable campagne de presse repose seulement sur une fiche, qui figure dans le dossier Karachi instruit par le pôle anti-terroriste sous le nom de code de « Nautilus ». Ce document, apprenait-on dans Libération et Mediapart, était signé par un ancien de la DST, Claude Thévenet,, qui travaillait à l’époque pour le compte de la DCNI. La thèse avancée est simple, voire grossière : les Balladuriens auraient monté, autour de ce contrat de sous-marins, un savant montage de commissions, dont une partie pour leur propre compte. Elu en 1995, Jacques Chirac aurait mis fin à toute cette usine à gaz. Du coup, les engagements vis-à-vis de certains militaires pakistanais n’auraient pas été honorés. Et ces derniers se seraient vengés, en provoquant l’attentat de Karachi.
Premier trouble, ce monsieur Thévenet est connu pour ses amitiés chiraquiennes. Il se vantait d’ailleurs, dans ces années-là auprès de ses collègues, d’être inscrit à l’UMP. Sa proximité avec Yves Bertrand, l’ancien patron des RG et spécialiste des coups tordus contre les sarkozystes, sème un sérieux doute sur ses brillantes analyses.
Amusant, le journaliste qui signe dans Libération les deux « une » consacrées au dossier de l’attentat, Guillaume Dasquié, ne se cache pas d’avoir travaillé, ces dernières années, pour le compte de Claude Thévenet. Les deux hommes, très proches, ont choisi le même avocat, Maître Fédida. En interne à Libération, les papiers très partisans de Dasquié ont heurté de nombreux journalistes qui s’en sont ouverts à Laurent Joffrin, le patron du quotidien.
Deux fiches pour le prix d’une !
Deuxième surprise, deux fiches et non une ont été versées au dossier de l’attentat, toutes deux signées Thévenet. Rédigée en septembre 2002, la première évoque simplement l’existence de commissions et de rétro-commissions, lesquelles auraient été versées, précise le document, aux seuls balladuriens. La seconde fiche date de novembre 2002. C’est là qu’on lit la fameuse thèse reprise à satiété par Libération et par Mediapart.
Or, la comparaison des styles et des caractères d’imprimerie indique que les deux fiches n’ont pas été rédigées par une seule et même personne ! Comme si Thévenet, du moins pour la seconde note, avait été une simple courroie de transmission de discrets commanditaires.
Troisième étonnement, nos confrères ne disent pas un mot de la déposition devant les juges anti-terroristes au mois de mai de l’ancien directeur financier de la DCNI, Gérard-Philippe Menayas, qui écartait catégoriquement tout lien entre une hypothétique interruption des commissions du contrat des sous-marins et l’attentat. Rien, non plus, sur la conviction, à l’époque, des services français et du parquet anti-terroriste qui ont enterré, eux aussi, la thèse avancée par les fiches Thévenet. « Une fable », tranche dans Bakchich Michel Debacq, le patron du parquet anti-terroriste à l’époque, qui s’était rendu à Karachi dans les heures qui avaient suivi l’attentat. « Les écrits de Thévenet ne sont pas sérieux », estime quant à lui Alain Chouet, qui était encore, en juin 2002, le plus proche collaborateur de Jean-Claude Cousseran, le patron des services français.
Quant au juge chargé du dossier au sein du pôle anti-terroriste, Marc Trévidic, il a confié récemment à un de ses collègues n’accorder aucun crédit aux écrits de monsieur Thévenet. Ce magistrat se démarque également des choix faits par son prédécesseur, le juge Brugière, qui croyait à la piste islamiste.
Luttes internes pakisto-pakistanaises
Plus vraisemblablement, l’attentat de Karachi s’explique par une redistribution des commissions occultes entre les diverses factions de l’armée pakistanaise, sous l’autorité du président Musharraf, nouvellement élu. Le 11 septembre 2001, le monde a changé et Musharraf doit donner des gages à ses alliés français et américain. Les services pakistanais, l’ISI, traditionnellement proches des milieux islamistes, se voient alors privés de leurs sources de financement habituelles.Et les gens de l’ISI vont évidemment réagir, instrumentalisant quelques fanatiques !
A l’évidence, la DCN française, constamment en relations avec la fraction pro-occidentale du régime et notamment le ministère de la Marine pakistanais, n’était pas la mieux placée pour arrondir les fins de mois des militaires pro-islamistes. Les bagarres financières au sein de l’armée pakistanaise, en 2002, concernent d’autres contrats que celui des sous-marins, qui date, rappelons-le, de sept ans avant l’attentat. Et si certains au sein de l’ISI vont s’en prendre violemment aux Français et à la DCNI, c’est en tant qu’alliés et amis de leurs adversaires pro-occidentaux au sein du sérail.
Ecoutes compromettantes
Mais le coup médiatique était finement joué. Le projecteur a été mis sur les mythiques rétro-commissions des grands contrats des années 93-96, frégates, sous-marins et autres. Et les balladuriens soupçonnés à nouveau d’avoir pris dans la caisse. Comme si d’ailleurs un Chirac, arrivé au pouvoir en 1995, avait fermé vertueusement les robinets des rétro-commissions, sans en profiter lui aussi. « A l’époque, les chiraquiens ont simplement réorienté les circuits d’argent occulte vers leurs propres comptes », confie un ancien haut cadre de la Sofresa, l’office gouvernemental qui vient en aide aux industries d’armement dans la conquête des marchés extérieurs.
Cet été, la guerre entre chiraquiens et sarkozystes ne fait que commencer. Villepin et ses amis ont encore quelques cartouches. Secrétaire général de l’Elysée après l’élection de Chirac, Villepin a fait écouter discrètement d’anciens membres du cabinet du ministre de la Défense entre 1993 et 1995, François Léotard. De quoi parlent ces imprudents quand ils appellent des proches de Balladur et de Léotard ? Et bien justement, confie une source proche des services français, de gros contrats et de gros sous. Le dossier Karachi, habilement médiatisé, pourrait bien préparer le terrain pour d’autres fuites, autrement plus gênantes.
Entre les suites du dossier pakistanais, le grand show de l’affaire Clearstream à partir du 21 septembre ou encore la mise à mort judiciaire de Gaston Flosse, qui pourrait éclairer les frasques financières de Jacques Chirac, l’automne risque d’être chaud.
Et c’est tant mieux !
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