C Durable. Le 16 Janvier 2011 par David Naulin
Les 21 millions d’Australiens aiment surnommer leur grand pays "the lucky country" (le pays chanceux). Mais ce début d’année 2011 demeurera comme un cauchemar dans leur mémoire : depuis maintenant un mois, les États du Queensland et de la Nouvelle-Galles du Sud dans le nord-est de l’Australie sont littéralement noyés sous de fortes pluies : les plus abondantes depuis que les relevés météorologiques existent, entraînant des débordements de nombreuses rivières. Et cette catastrophe sans précédent n’est pas prête de s’arrêter. L’Australie est victime du phénomène climatique La Niña qui devrait se poursuivre encore au moins trois mois et a déjà fait 250.000 sinistrés et isolé 70 villes et villages au milieu d’un océan de boue et d’eau brune sur un territoire grand comme la France et l’Allemagne réunies. Cependant, la Niña n’est pas seule responsable de ces inondations, il y a aussi beaucoup à dire sur "l’australian way of life"... Quelles sont les conséquences économiques et environnementales ? Existe-t-il un lien entre cette catastrophe et celles survenues ces derniers jours au Brésil et aux Philippines ? Voici quelques éléments de réponse.
Depuis une trentaine d’années, les experts météorologiques ont pu établir un lien de cause à effet entre la Niña et les fortes pluies en Indonésie, Malaisie et Australie, des périodes de sécheresse en Amérique du Sud, des tempêtes dans l’Atlantique tropicale, des vagues de froid en Amérique du Nord et un temps pluvieux dans le sud-est de l’Afrique. Les catastrophes naturelles de l’année dernière sont incontestablement dues à la Niña, affirme le bureau de météorologie du gouvernement australien qui a même qualifié de "Niña majeur" les précipitations qui se déversent depuis la fin décembre.
Qu’est-ce que la Niña ?
Le terme "la Niña" désigne le refroidissement de la surface des eaux dans la zone centrale et orientale du Pacifique. Selon Omar Badour, météorologue à l’Organisation météorologique mondiale (OMM) ce "refroidissement des eaux est provoqué par la circulation des vents d’Est en Ouest, modifiant ainsi les températures océaniques". En Australie, le refroidissement des eaux, associé à des conditions météorologiques extrêmes, a apporté sur le Queensland des précipitations bien au-dessus de la moyenne : jusqu’à 250 litres par m² sur les villes de Rockhampton, Mackay, Bundaberg et Charleville le 24 décembre dernier.
L’Organisation Météorologique Mondiale a indiqué que La Niña était désormais bien installée et devrait perdurer une "bonne partie du premier trimestre de 2011". Elle reconnaît également que "le réchauffement climatique influence la portée de la Niña. Lorsque celui-ci est plus ou moins important, l’impact de la Niña est plus ou moins conséquent", conclut-elle.
Alors que les médias se font l’écho d’un mécanisme météorologique soudain présenté comme seul "responsable" de la catastrophe, il y a pourtant beaucoup à dire sur "l’australian way of life"...
En effet, pour expliquer l’intensité de ces inondations, il faut savoir que l’Etat du Queensland connaît une croissance démographique deux fois plus importante que la moyenne nationale. Rien ne paraît pouvoir arrêter l’urbanisation du littoral du Queensland : deux millions d’habitants occupent une centaine de km². Ainsi, l’agglomération de Brisbane s’étale avec comme seule limite le Pacifique, se prolongeant vers le nord en direction des stations balnéaires donnant sur Moreton Bay (Woody Point, Margate, Redcliffe ou Scarborough).
"Aujourd’hui, si les inondations sont plus importantes, plus sales et plus dangereuses, c’est à cause du déboisement excessif, du surpâturage et de la compaction des sols. Le résultat : la quantité d’eau qui s’infiltre profondément dans les sols est moindre, ce qui augmente la taille et l’intensité érosive des inondations" explique de son côté Nick Heath, porte-parole du WWF-Australie.
Le WWF-Australie estime donc que la restauration des terres boisées dans les zones sensibles aux inondations des bassins versants du fleuve Fitzroy et du bassin Murray-Darling, aiderait à protéger les communautés et l’environnement de futures inondations.
"Les inondations actuelles seraient encore susceptibles de se dérouler, mais les arbres et les zones humides ralentiraient le flux des inondations et absorberaient l’eau, ce qui limiterait l’impact des inondations. Nous pouvons mieux nous préparer pour les inondations futures en reboisant les zones du bassin versant qui ont été déboisées ."
Le changement climatique renforcera probablement les phénomènes de sécheresses et d’inondations. L’érosion des sols de surface sera donc renforcée et parfois accentuée par de plus grands épisodes de pluies tropicales, ce qui augmentera les dégâts dûs aux inondations.
Le besoin de reconstruire les fermes dans le bassin versant des fleuves qui atteignent la barrière est une opportunité d’introduire de meilleures pratiques pour leur aménagement et leur gestion. Cela permettrait d’améliorer les profits des fermes et de réduire de façon significative l’impact de l’agriculture et des inondations sur la grande barrière de corail.
"Aussi dévastatrices et tragiques que soient ces inondations, elles fournissent une chance d’introduire des technologies nouvelles et meilleures qui réduiront la pollution et augmenteront les profits », conclut-il. « Une meilleure gestion et un aménagement plus intelligent de nos fermes peut réduire les risques pour les populations, la faune et la flore, mais aussi améliorer les profits. En effet, si l’infiltration profonde et l’humidité des sols augmente, la rétention des sols de surface est améliorée, et la productivité par la même occasion."
"De nombreux cours d’eau à travers la région ont atteint des niveaux record. Les dommages aux infrastructures et aux biens ainsi que le coût économique des pertes de récoltes et du retard de production dans les mines, devraient représenter plusieurs milliards de dollars australiens", relève le Bureau Météorologique australien. En effet, certaines rivières sont par endroits montées de huit mètres en une heure, prenant les habitants et les autorités totalement par surprise.
La ville de Rockhampton - 75 000 habitants, l’une des principales villes de cette région agricole et minière - est touchée par des inondations qualifiées de "bibliques". Toutes les routes qui mènent à la ville sont coupées et la piste de l’aéroport est impraticable.
Autres conséquences de ces inondations : des serpents, crocodiles et requins ont été signalés en ville. Les serpents posent un sérieux problème car ils entrent dans les maisons, à la recherche d’endroits secs. Quant aux crocodiles, il est difficile de les repérer au milieu des débris charriés par les flots. Or les secouristes refusent de s’exposer à ce risque, face à certains habitants qui ne veulent pas évacuer leurs logements. De surcroît, les moustiques pullulent alors que les eaux de pluie se sont mélangées aux fosses septiques, ce qui fait craindre l’apparition d’épidémies.
La capitale de l’Etat, Brisbane, sous les eaux
Mercredi 12 janvier, Brisbane, capitale du Queensland et troisième ville la plus peuplée d’Australie avec 1 600 000 habitants, a été finalement envahie par l’eau : près d’un mètre d’eau noie le centre ville. Des milliers d’habitants ont été contraints d’évacuer leur domicile. La crue de la rivière Brisbane a envahi la capitale : un torrent s’est déversé dans les rues désertes du centre-ville. En effet, des milliers de personnes ont été évacuées, les inondations menaçant 20 000 logements, rapporte ABC News. L’électricité a été coupée en centre-ville par mesure de précaution.
Le port de Brisbane (troisième port à conteneurs du pays) et un important terminal d’exportation du charbon, ont été fermés. Anna Bligh, Premier ministre du Queensland, a évoqué une situation "sombre et désespérante".
Près de 75% des mines de charbon sont bloquées par les eaux dans le Queensland, un Etat qui fournit à lui seul la moitié de la demande mondiale pour la sidérurgie. Les récoltes de blé, elles aussi menacées, font flamber les cours mondiaux. Si les inondations en Australie sont spectaculaires, leurs conséquences économiques ne vont pas tarder à l’être aussi. Même s’il est encore trop tôt pour en mesurer l’impact exact, les observateurs constatent déjà les effets néfastes sur les cours des matières premières.
C’est en effet dans la région la plus touchée du nord-est que se trouvent les plus importantes mines de charbon du pays. Le travail a déjà été interrompu dans 75% des mines de l’État du Queensland. Or ce dernier fournit à lui seul la moitié des besoins mondiaux de coke de charbon, une matière nécessaire à l’industrie sidérurgique. L’an dernier, ce sont même les deux tiers de la production mondiale qui venaient de cette région. "Les trois-quarts de toutes nos mines ne peuvent plus travailler et ne peuvent donc plus approvisionner le marché. Il devrait y avoir un effet significatif à long terme, pas seulement au niveau national mais aussi à l’international", a déclaré le premier ministre de l’Etat, Anna Bligh.
Le blé grimpe
Autre secteur durement frappé par ces pluies : l’agriculture. Le Queensland, le New South Wales et la région de Victoria, tout trois touchés, représentent 42 % de la production de blé et 75 % de la production de colza au niveau national, selon la société de conseil Agritel. L’Australie, acteur majeur sur la scène internationale, exporte environ 15 millions de tonnes de blé chaque année et 1,5 million de tonnes de colza.
Premier problème : quand le blé n’a pas été détruit, sa qualité a été "sérieusement dégradée", selon Agritel, société spécialisée dans la gestion du risque de prix dans le secteur agro-alimentaire. "Dans un contexte déjà tendu sur la scène internationale, les cours des blés de qualité meunière pourraient en 2011 dépasser les plus hauts atteints en 2008 , soit près de 300 euros la tonne". Les cours touchent déjà les 257 euros à Paris. Au même moment à Chicago, le boisseau de blé atteint les 818 dollars la tonne, en hausse d’environ 5% en cinq jours. La diminution des exportations devrait toucher de plein fouet plusieurs pays, à commencer par la France, qui "pourrait ne plus avoir de disponibilités dès la fin du mois d’avril 2011".
Deuxième souci : plusieurs pays s’étaient tournés vers le colza d’Australie pour compenser le manque de colza d’origine russe dont la production s’était effondré après un été caniculaire. Or désormais, les exportations australiennes diminuent à vu d’œil. Ainsi, les opérateurs européens, qui espéraient importer 700.000 tonne de colza d’Australie, ne devraient pouvoir en acheter que la moitié.
Alors que la demande chinoise progresse et que l’Argentine est frappée par la sécheresse, les dégâts australiens laissent envisager une nouvelle flambée des cours des céréales en ce début d’année.
Impact de 0,6% sur le PIB
De son côté, le gouvernement australien s’attend à un impact économique très lourd. La production de charbon devait rapporter 33 milliards de dollars de recettes fiscales à la fin de l’année. Mais le pays ne pense plus être en mesure de fournir les 160 millions de tonnes prévu à la fin de l’année fiscale, poussant les gros acheteurs – Chine et Inde en tête - à se tourner vers la concurrence canadienne et russe. Un manque à gagner énorme qui, à lui seul, devrait coûter 0,25% du PIB.
A cela s’ajoute les pertes agricoles, l’impact sur le tourisme et sur les petites entreprises. Au total, les premières estimations évoquent un impact d’environ 0,6% du PIB sur une période de 12 mois.
La pollution qui résulte des inondations des fermes et des villes de la côte du Queensland a un impact désastreux sur la grande barrière de corail et touchera vraisemblablement de façon significative les dugongs, les tortues et le reste de la vie marine de la région. C’est l’avertissement lancé par le WWF-Australie. "En plus des terribles coûts pour les fermiers et les communautés du Queensland, un déclin majeur et extrêmement dangereux de la qualité de l’eau dans la Grande barrière de corail est attendu", explique Nick Heath, porte-parole du WWF-Australie.
Cette semaine, des pluies diluviennes ont également touché la région de Rio de Janeiro. Avec plus de 500 morts, les médias brésiliens ont souligné que cette tragédie était considérée "comme la plus grande catastrophe naturelle de l’histoire du pays". Elle s’est produite dans le décor majestueux de montagnes couvertes de végétation tropicale à une centaine de kilomètres au nord de Rio où, depuis des décennies, les riches Cariocas fuient la chaleur estivale provoquant une urbanisation sauvage. Ce décor de rêve s’est transformé en quelques heures en scène de cauchemar : des torrents de boue ont dévalé les versants en emportant tout sur leur passage. La catastrophe survient dans un contexte de pluies et de sécheresses plus intenses au cours des dernières années qui coïncident aujourd’hui au Brésil avec le phénomène météorologique de La Nina, le même qui est montré du doigt dans les inondations qui frappent le nord-ouest de l’Australie...
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