Pour Zelaya, Obama ignore le coup d'Etat au Honduras

Marianne2. 22 spetembre 2010 par Christophe Ventura

Près d'un an après le coup d'État qui l'a évincé de son poste de président du Honduras, José Manuel Zelaya revient sur les raisons de cet événement «tragique» pour son pays et son peuple. Et selon lui, les multinationales américaines tout comme les États-Unis n'y seraient pas totalement étrangers. Il adresse un message à l'Union européenne. Une interview engagée de Christophe Ventura, de Mémoires des luttes.

( Dessin - Louison )
Il y a un peu plus d’un an, le 28 juin 2009, un coup d'État organisé par des secteurs de la droite, les forces armées et mené avec l’accord, au moins tacite, de l’administration des États-Unis, renversait José Manuel Zelaya, président légitimement élu du Honduras (2006-2010). Depuis le 27 janvier 2010, Manuel Zelaya réside, exilé, en République dominicaine. De là bas, il dirige le Front national de résistance populaire (FNRP) et conduit le combat pour la restauration de la démocratie dans son pays.

L’ex-président vient d’être nommé (18 septembre 2010) député du « Parlacen » - Parlement centre-américain - qui constitue le forum politique régional du Guatemala, du Honduras, du Nicaragua, du Panama et du Salvador (1). Pour le président nicaraguayen de cette institution, Jacinto Suárez, «  il n’était pas concevable que ce parlement puisse prendre une position aboutissant à la négation des droits politiques du président Zelaya ». De son côté, le FNRP considère qu’il s’agit d’un pas important vers la possibilité que  « Manuel Zelaya puisse revenir d’exil ». Et ce, alors que le mouvement populaire hondurien vient de remporter une importante victoire politique malgré la persistance de la répression organisée par le gouvernement du nouveau président Porfirio Lobo. Près de 1,4 millions d’Honduriens (2) ont, en effet, signé une pétition du FNPR intitulée «  Oui à la Constitutante ! » en faveur de la refondation démocratique du Honduras.

Le Honduras est devenu un espace de confrontation politique et diplomatique entre, d’une part, les États-Unis et leurs alliés locaux (gouvernements de droite et de centre-gauche conservateurs) (3) et, d’autre part, les États progressistes (4) de la région. Ces derniers sont opposés au retour des ambitions impérialistes des États-Unis en Amérique latine et ne reconnaissent pas Porfirio Lobo.

Dans cet entretien réalisé à Saint-Domingue, le président Manuel Zelaya analyse la situation du Honduras, expose sa vision géopolitique de l’Amérique centrale et latine en général, et donne son point de vue sur le rôle joué par les États-Unis dans la région. Il juge également l’action de l’Union européenne et présente, en conclusion, sa stratégie pour rétablir la démocratie au Honduras.
(Wikimedia commons - José Cruz/ABr - cc)
Christophe Ventura : Un peu plus d’un an après le coup d'État dont a été victime le Honduras, et après les «élections» du 28 novembre 2009 qui ont installé Porfirio Lobo au pouvoir, dans quelle situation précise se trouve votre pays ?
Manuel Zelaya : Un coup d’État est une tragédie. Dans le cas hondurien, les forces armées ont pris le pouvoir indirectement, par l’intermédiaire de civils. Un an après, nous vivons les conséquences tragiques de l’arrivée au pouvoir d’une des oligarchies les plus extrémistes et criminelles d’Amérique centrale. Dix familles dirigent le pays. Elles contrôlent les ressources naturelles, énergétiques ainsi que les principaux moyens de production, les banques, les moyens de communication et les deux principaux partis politiques qui se sont réparti le pouvoir pendant les cent dernières années. Désormais, elles contrôlent totalement les trois pouvoirs de l’État et toutes les institutions, y compris les forces armées et la police. Ces familles ont décidé d’utiliser les armes parce qu’elles avaient perdu le contrôle politique de l’État et n’avaient plus la capacité d’arrêter les réformes mises en place par notre gouvernement. Cette offensive a montré la fragilité des nouvelles démocraties d’Amérique centrale qui sont nées dans les années 1980 avec les accords de paix et la fin supposée de la guerre froide.

Un an après le coup d'État, près de 99% des mesures mises en place durant les trois années et demie de mon gouvernement ont été annulées: la démocratie participative, le respect de la souveraineté populaire, la liberté économique et la liberté de la presse, et aussi la liberté en matière de relations internationales. Le Congrès national, contrôlé par le nouveau président Porfirio Lobo et par Roberto Micheletti, a abrogé la loi de participation citoyenne qui donnait au peuple le droit d’être consulté sur tous les sujets d’intérêt national. Il a remis en place le système que nous avions aboli qui permettait d’organiser, en faveur des grandes compagnies du capital international, la prolifération de contrats juteux dans la production de l’électricité. Il a également suspendu la loi sur le salaire minimum que nous avions instaurée.

Les privilèges accordés aux transnationales nord-américaines du pétrole, que nous avions supprimés, ont été restitués. Ce Congrès a dénoncé le traité international souscrit avec l’Alliance bolivarienne des peuples d’Amérique (ALBA) que nous avions signé avec les pays socialistes d’Amérique du Sud. En conclusion, l’économie est en récession : elle est affectée par la réduction drastique des recettes. L’année fiscale se solde par une croissance négative de notre économie -de - 4%- accompagnée d’une baisse conséquente de l’investissement et de l’augmentation accélérée du nombre de pauvres. Tout cela va à l’encontre des résultats de mon action. En trois ans, et pour la première fois dans l’histoire du Honduras, nous avions réduit l’extrême pauvreté de plus de 12 points et obtenu une croissance économique de 6 à 7 %.

Un an après le coup d'État, la situation politique est dramatique. Le pays est victime de fréquentes exécutions extrajudiciaires, de torture et d’assassinats politiques. Sur les neuf mille dénonciations de violations des droits de l’homme, plus de quatre mille correspondent à des cas de personnes emprisonnées, violées, torturées, sans compter les 166 assassinats de personnes qui portent d’évidents signes de torture et de viol. Toutes les victimes, femmes et hommes, sont des membres connus du Front national de résistance populaire (FNRP). Pour notre plus grande honte, les responsables du coup d'État et de ces crimes continuent d’assumer leurs fonctions. Ils ont même été promus aux plus hautes fonctions au sein du gouvernement de Monsieur Porfirio Lobo. L’impunité est au coeur du régime.

Depuis les élections de novembre 2009, Washington a assumé totalement la véritable conduite du pays, tant sous le régime de Micheletti que sous celui de son successeur Porfirio Lobo. Ils ont feint d’ ignorer que celui-ci n’a fait aucun pas vers la restauration de la démocratie.
(Wikimediacommons - cc)
CV : Selon vous, quels sont les facteurs internes, régionaux, politiques et économiques qui peuvent expliquer ce coup d'État?
MZ : Au fond, ce qui est totalement clair et prouvé, c’est que l’intérêt économique des transnationales américaines et de leurs affidés locaux l’a emporté au Honduras. Elles se sont senties mises en danger par les politiques menées par mon gouvernement. Et en particulier par notre association avec Petrocaribe et l’Alba, qui nous a permis d’avoir du pétrole à meilleur prix et de profiter de remises sur ce produit (4). En un an, le Honduras a obtenu plus de bénéfices économiques et sociaux qu’il en a obtenus en dix avec les États-Unis… Au niveau intérieur, la crainte de la classe possédante suscitée par notre proposition de développer une démocratie participative, basée sur l’exercice de la démocratie directe et de la souveraineté populaire, a déclenché un séisme. Elle a eu peur de perdre ses privilèges traditionnels et le monopole des décisions politiques.
CV : Comment jugez-vous l’attitude de Washington et du président Barack Obama?
MZ : S’il est certain que le Département d'État nie sa participation au coup d'État, cela ne veut pas dire qu’il n’en était pas pleinement informé. Une des choses qu’il n’ignore pas est que le Commando Sud – qui contrôle la base de Palmerola – s’est associé à la CIA, aux militaires honduriens et à deux pouvoirs de l'État pour destituer le pouvoir exécutif. Il y a suffisamment de preuves aujourd’hui pour le démontrer. Il est maintenant facile de comprendre pourquoi Washington s’obstine autant et quel est son intérêt à affirmer qu’au Honduras « tout est revenu à la normale ».

CV : Que pensez-vous de la proposition des États-Unis et de Porfirio Lobo d’organiser la réintégration du Honduras à l’Organisation des États Américains (OEA) ?
MZ : Les forces d’extrême droite de notre région et d’Amérique du Nord déploient, comme elles l’ont démontré publiquement, un plan de contrôle du Honduras et utilisent leur influence et des moyens de pression multiples pour créer la fiction d’une reconnaissance politique du gouvernement Lobo. Et cela même si elles savent pertinemment que s’est installé au Honduras un régime incapable de répondre à une seule des conditions de cette reconnaissance fixées par les organisations internationales.
Sans méconnaître le fait que, sur quelques questions secondaires, le président Lobo a fait preuve de bonne volonté, il faut tout de même rappeler qu'il contrôle tout l’appareil médiatique et qu'il a mis en place une politique de répression dans notre pays. Il n’existe aucun signe tangible de son gouvernement témoignant d’une volonté réelle de construire un dialogue avec sa véritable opposition, le FNRP, et de restaurer la démocratie. Ceci est le véritable accord entre Mme Hillary Clinton et Porfirio Lobo.
CV : Certains médias affirment que Porfirio Lobo cherche à passer un accord avec vous. Ce scénario serait-il possible?
MZ : C’est une campagne médiatique. En réalité, les États-Unis, ainsi que ses acolytes impliqués dans le coup d’Etat, font tout pour empêcher mon retour. Les procédures judiciaires lancées contre moi par Micheletti durant la période où il a dirigé le gouvernement de facto devaient, selon la Constitution,  être annulées. Elles ne l’ont pas été. Lobo et son gouvernement continuent d’engager des procédures contre moi dans le but de m’humilier et de m’obliger à me présenter devant un appareil judiciaire co-auteur du coup d'État. Pour que mes propres bourreaux deviennent mes juges.
CV : Vous êtes exilé en République dominicaine alors qu’une partie de votre famille réside toujours au Honduras. Comment vivez-vous cette situation?

MZ : L’exil est une torture pour la personne qui la subit, ainsi que pour sa famille. C’est un déracinement forcé. Tout ce qui a une signification profonde dans la vie d’une personne est affectée: la terre, les gens, la lumière, la Patrie… C’est particulièrement vrai et douloureux pour des personnes qui, comme nous, viennent d’une zone rurale où l’attachement à la terre nous enseigne de puiser profondément dans la racine des choses. Ce qui a soulagé ce sacrifice, c’est l’hospitalité et l’affection du peuple dominicain, ainsi que celle du président Leonel Fernández et de sa famille.
Durant trente ans, j’ai lutté avec mon peuple pour arriver à la présidence. Je suis un homme politique à temps complet. Quand je reviendrai au Honduras, je reprendrai le poste qui me correspond. Je ne serai pas candidat à la présidence car la Constitution l’interdit, mais je serai actif aux côtés de mon peuple en résistance. Pour ce faire, j’ai décidé de créer une fondation pour la défense de la démocratie du XXIème siècle dont la vocation sera de la protéger de ses ennemis, qui sont ceux de nos peuples et de nos victoires.

CV : Quelles sont vos relations avec le FNRP ? Quelles actions mène-t-il et quelles sont ses perspectives ?

MZ : Aujourd’hui, l’opposition s’est regroupée au sein de cette nouvelle force connue sous le nom de Front national de résistance populaire (FNRP), né le même jour que le coup d'État. C’est une plateforme de lutte qui regroupe toutes les organisations sociales et politiques dont le but est de sauver la démocratie du groupe d’oligarques usurpateurs actuellement au pouvoir. En tant que coordinateur général du mouvement, mes relations avec le FNRP se sont consolidées à travers la construction d’un objectif commun : refonder le Honduras. Si le FNRP est limité dans ses actions, jour après jour, grandit au sein du peuple la nécessité d’avancer vers un système politique basé sur une plus grande participation citoyenne qui puisse, par des moyens pacifiques et participatifs, restaurer la légitimité institutionnelle de l'État. A court terme, le but du FNRP n’est pas de se convertir en parti politique car des forces de diverses tendances y sont impliquées : ouvriers, paysans, secteurs sociaux organisés, mouvements démocratiques qui ont surgi en opposition au coup d’État, socialistes, libéraux progressistes... Actuellement, nous travaillons à l’élaboration d’un projet de nouvelle Constitution.
Nous pourrions avancer plus si Washington ne se mêlait pas autant de la situation et si des membres de la communauté internationale aidaient à trouver des solutions au lieu de contribuer à masquer la réalité de ce qui se passe au Honduras. Je suis conscient que nous vivons dans un monde où il est difficile de penser librement. Quand un chef d’État décide de le faire, les droites internationales, avec leurs gouvernements et leurs partenaires régionaux, font le pari d’une « normalisation » forcée du statut quo et laissent impunis les auteurs de coups d’État qu’elles ont elles-mêmes encouragée.

CV : Sur le plan politique et philosophique,vous vous définissez comme un «libéral pro-socialiste». Qu'est-ce que cela signifie?

MZ : Quand Adam Smith a formulé ses premières réflexions sur le libéralisme économique, il n’a pas écarté l’objectif social de celui-ci dans le sens d’une responsabilité assumée dans le processus de création de richesses. Mais nous devons comprendre que le concept de libéralisme économique, loin d’assurer de telles promesses, a évolué dans la direction contraire. Le néolibéralisme, la mondialisation du commerce, les échanges financiers spéculatifs et commerciaux licites ou non, les brevets, les subventions à l’agriculture et les politiques protectionnistes de l’Union européenne et de l’union Mexique - États-Unis - Canada sont des processus de perversion du libéralisme philosophique qui contient, lui, une promesse de justice.
Je considère qu’un processus libéral à but social doit organiser le transfert équitable à l’ensemble de la société des chances qui étaient jusqu’ici réservées à une élite. Il s’agit d’un processus de transfert qui doit s’orienter vers les principes du socialisme. Le libéralisme pro-socialiste est un combat pour une liberté avec équité. C’est, au fond, une « idéologie de transition ».

CV : Quelles sont vos attentes concernant les gouvernements de l’Union européenne?

 MZ : Je remercie les efforts faits par les pays de l’Union européenne, mais ils n’ont pas été pas suffisants… Encore moins pour un pays qui, comme le Honduras, a été gouverné pendant cinquante ans par les préceptes du Consensus de Washington et qui, de ce fait, est devenu le pays d’Amérique latine le plus pauvre et inégal. Au début de la crise, l’Europe a montré une certaine force lorsqu’elle a condamné le coup d’Etat. Mais celle-ci lui a ensuite manqué pour exiger un processus de restauration de la démocratie. Elle a alors reconnu sans condition le nouveau régime, par intérêt commercial et en opposition aux positions de nombreux mouvements sociaux européens et à la majorité des gouvernements d’Amérique latine. L’Union européenne a appelé Porfirio Lobo à signer l’Accord d’associations qu’elle souhaite finaliser avec les pays d’Amérique centrale.
Méconnaissant les véritables problèmes d’une Amérique latine qui fait face à la réapparition du néofascisme militaire putschiste, l’Europe a accepté que le gouvernement de Porfirio Lobo résulte d’élections illégitimes conduites par une dictature. Elle n’a rien fait jusqu’à aujourd’hui pour empêcher la violation des droits de l’homme, pour contenir la répression et la persécution des résistants, et encore moins pour restaurer l’ordre démocratique.
Les processus sociaux et leurs avancées en Amérique latine et dans les Caraïbes ne pourront pas être freinés par les transnationales du commerce même lorsque ces dernières influencent des gouvernements ou renversent des présidents. Mon message aux droites européennes est donc le suivant : «elles doivent commencer à comprendre que la démocratie ne se résume pas seulement à faire du business dans les pays d’Amérique latine. Il s’agit de respecter mutuellement les revendications légitimes de justice de nos peuples, de veiller sur nos institutions et le bien-être des citoyens et citoyennes». Je dis aux peuples européens et au réseau d’organisations sociales qui nous soutient que nous ne disparaîtrons pas avant d’avoir réussi à restaurer la légalité constitutionnelle et la démocratie dans mon pays.

Entretien réalisé par Christophe Ventura à Saint-Domingue (République Dominicaine) le 13 juillet 2010. Revu par Manuel Zelaya dans sa version finale du 27 juillet 2010.
(1) Le Parlacen a été créé en 1991. La République dominicaine y est également représentée par le biais de députés de son Assemblée nationale désignés.

(2)  Le pays compte près de 7,5 millions d’habitants.

(3) Le Colombie, le Costa Rica, le Guatemala, El Salvador, le Panamá, le Pérou, le Mexique et le Chili constituent le club des pays qui ont rétabli les relations commerciales et/ou diplomatiques avec le gouvernement de Tegucigalpa.

(4) Les membres de l’Alliance bolivarienne des peuples d’Amérique, (Alba) - Antigua et Barbuda, Bolivie, Cuba, La Dominique, Équateur, Nicaragua, Saint-Vincent et les Grenandines, Venezuela, ainsi que l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay.
Commentaire (1)

1. Laurie - Le 23/09/2010 à 20:57

Dommage que peu de médias parlent de cette horrible affaire!Merci à vous de le faire!
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Dernière mise à jour de cette page le 23/09/2010

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