On pourra, certes, argumenter que les représentants du président constitutionnel Manuel Zelaya ont fait preuve d’une grande ingénuité en signant, le 30 octobre, l’accord dit de San José-Tegucigalpa avec ceux du putschiste Roberto Micheletti, sous le regard attentif — mais surtout la pression — du sous-secrétaire d’Etat américain pour l’hémisphère occidental Thomas Shannon. Ainsi donc, M. Zelaya, renversé le 28 juin, expulsé, et réfugié dans l’ambassade du Brésil (depuis le 21 septembre), après être rentré clandestinement dans son pays, serait restitué dans sa fonction, après consultation du Congrès. Un seul détail manquait : la date de cette consultation.
Ingénuité d’un côté — ce qui n’est pas un crime. Duplicité de l’autre — ce qui en est un, eu égards aux derniers développements de la situation. A la veille des élections générales du 29 novembre, le Congrès ne s’est pas réuni, le chef d’Etat légitime est toujours reclus dans la représentation diplomatique de Brasilia. La Cour suprême du Honduras, qui avait appuyé le golpe, s’est prononcée sans surprise le 26 novembre contre sa restitution. La consultation aura lieu sous le contrôle des autorités de facto.
L’Accord stipulait également : « Pour parvenir à la réconciliation et renforcer la démocratie, nous formerons un gouvernement d’unité et de réconciliation nationale composé de représentants des divers partis politiques et organisations sociales, reconnus pour leur compétence, leur honnêteté, et leur volonté de dialogue (…) ». Un tel gouvernement a été constitué par le président illégitime — première anomalie — et, en signe de « réconciliation nationale », aucun membre du gouvernement de M. Zelaya n’y a été intégré.
Depuis la fin juin, le pari du régime de facto a été clair : gagner du temps, compter sur la fatigue et le désintérêt progressif de la « communauté internationale », puis lui vendre les élections comme « sortie de crise », blanchissant ainsi — comme on blanchit de l’argent sale — le coup d’Etat. Le vainqueur ne pouvant être, dans l’ordre naturel des choses, que M. Elvin Santos (Parti libéral ) ou M. Porfirio Lobo (Parti national), représentants du groupe de la douzaine de familles « propriétaires » du Honduras.
Cette stratégie a pu compter, en sous-main (sinon en première intention), sur l’aide de la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton. Le 18 novembre, au terme d’une visite à Tegucigalpa, le sous-secrétaire d’Etat adjoint pour l’Hémisphère occidental, M. Craig Kelly, a confirmé l’appui des Etats-Unis au processus électoral — et donc au coup d’Etat —, ajoutant cyniquement : « Personne n’a le droit d’enlever au peuple hondurien le droit de voter et de choisir ses dirigeants. » Tombant le masque, et dans la grande tradition des relations de l’Empire avec son « arrière-cour », les Etats-Unis accompagnent la politique du « fait accompli » d’un pouvoir antidémocratique, dictatorial et répressif.
Depuis le début de la gestion du président « intérimaire » (euphémisme en cours à Washington), on recense vingt-six personnes assassinées, deux cent onze blessées lors des actions de répression, sept attentats, près de deux mille détentions illégales, deux tentatives d’enlèvement et cent quatorze prisonniers politiques accusés de sédition.
Tandis que le président Zelaya demande le report des élections et a incité la population à poursuivre sa résistance pacifique, jusqu’au retour de la démocratie, plus d’une centaine de candidats se sont retirés — la majorité appartenant au secteur anti-putschiste du Parti libéral auquel appartient M. Zelaya. Parmi eux, cinquante-cinq candidats députés, le maire de San Pedro Sula (deuxième ville du pays) et la postulante à la vice-présidence, pour le Parti libéral, une militante historique de ce parti, Mme Margarita Elvir.
Les médias opposés au coup d’Etat — Radio Globo, Radio Uno, Radio Progreso, Gualcho, etc. — sont placés sous surveillance constante ; Cholusa Sur a vu ses émissions interrompues. M. Micheletti — qui a annoncé son absence du pouvoir du 26 novembre au 2 décembre — menace de sanctions sévères les citoyens qui appellent à ne pas voter. Les militaires rassemblent d’importantes troupes dans la capitale et dans les grandes villes : douze mille soldats, quatorze mille policiers et cinq mille réservistes exerceront un contrôle direct sur les bureaux de vote et assureront « la régularité » des élections. Pour traiter des urgences, une partie de l’hôpital central de Tegucigalpa a été réquisitionnée.
Le Front national contre le coup d’Etat — une vaste alliance d’organisations populaires — a appelé au boycott de ce simulacre d’élection. L’Amérique latine, emmenée par l’Argentine, le Brésil et les pays de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA : Bolivie, Cuba, Equateur, Nicaragua, Venezuela, etc.), exigent la restitution de l’ordre constitutionnel et de l’Etat de droit dans la nation d’Amérique centrale. Ils ne reconnaîtront pas les autorités issues d’un processus réalisé sous un régime qui a usurpé le pouvoir. A l’instar de l’Organisation des Nations unies (ONU), de l‘Organisation des Etats américains (OEA), du Groupe de Río et de l’ALBA, aucun organisme multilatéral n’a accepté d’envoyer des observateurs. En revanche, les Etats-Unis dépêcheront des membres de l’Institut national démocrate (NDI), présidé par l’ex-secrétaire d’Etat Madeleine Albright, et de l’Institut international républicain (IRI), que préside l’ancien candidat à la Maison Blanche John McCain ; ces deux organismes reçoivent des fonds du Département d’Etat. Ainsi se trouve confirmé que, au-delà de la rhétorique permanente sur la démocratie, Washington n’en a pas terminé avec sa politique traditionnelle d’appui aux coups d’Etat et aux régimes autoritaires en Amérique latine. Dans cette partie du monde, l’Etat de grâce dont jouissait le président Barack Obama appartient déjà au passé.